EPIQUE EPOQUE
laroutenapoleon@yahoo.fr
21, av du général Lanrezac - 35400 SAINT-MALO
La RN 85
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  France
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ROUTE DE L'ILE D'ELBE
L'ILE D'ELBE
PARME
NAPOLEON GOLFE-JUAN
CANNES
GRASSE
SAINT VALLIER-DE-THIEY
ESCRAGNOLLES
SERANON
CASTELLANE
BARREME
COL DU COROBIN
DIGNE-LES-BAINS
MALIJAI
VOLONNE
SISTERON
LE R.I.S. DE GAP
GAP
LA FARE SAINT-BONNET
CORPS EN ISERE
PONT-HAUT / LA MURE
PRAIRIE LA RENCONTRE
VIZILLE
BRIE et ANGONNES
EYBENS
GRENOBLE
QUELQUES LIVRES
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CUNEO D'ORNANO
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LORD BROUGHAM
Vign_brougham
Colonel GAZAN
Vign_senequier
CAMILLE BARTOLI
Vign_bartoli
DE CASTEL
Vign_pjcast
MON LIVRE A PARAITRE
Vign_AAROUTEENAPO

Déja paru en e.book : https://www.amazon.fr/Route-Napol%C3%A9on-Jacques-LAZOU-ebook/dp/B07LDVZ282/ref=sr_1_2?qid=1570010341&refinements=p_27%3AJacques+L%27AZOU&s=digital-text&sr=1-2&text=Jacques+L%27AZOU

LA CARTE
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MALIJAI
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EN JUILLET
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DE GOMBERT
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DE MANTEYER
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Georges de Manteyer a publié en 1943,
à la Société  d'Etudes des Hautes-Alpes,
un fort volume de 785 pages,
" La Fin de l'Empire dans les Alpes, 1813-1815 ",
dans lequel il retrace tous les courriers échangés 
par les autorités des régions traversées
par la Route Napoléon...
1932
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MASSENA
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1932
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1932
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Marcel DELEON
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Gabriel FAURE
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CORPS LA SALETTE
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VIZILLE
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ELBA
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CAP D'ANTIBES
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DEBARQUEMENT
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GOLFE-JUAN EN 1965
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CANNES
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CASTELLANE
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Porte des Gorges du Verdon
CASTELLANE
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Plan de la vieille ville
et chemin montant au Roc
CAMBRONNE
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Statue du général P. Cambronne
Cours Cambronne, à Nantes

SAINT SEBASTIEN
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LA BAUGERIE
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Ancienne maison des Cambronne,
à Saint-Sébastien-sur-Loire,
Loire-Inférieure

LA MISERICORDE
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Cimetière de La Miséricorde
à Nantes

RUE CAMBRONNE
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Avenue Cambronne à Lasne,
près de Waterloo...
CLUE DE TAULANE
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La Pierre Percée,
de la clue de Taulane

TRAIN DES PIGNES
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A Barrême, la Gare du Train des Pignes
arrivant de Nice, allant à Digne.
CLUE DE CHABRIERES
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La clue de Chabrières,
les gorges de l'Asse
LE GROGNARD
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Un institution de la RN 85,
l'Auberge Le Grognard
LA GARE
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DIGNE-LES-BAINS
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A Digne, la Cathédrale Saint Jérôme,
près de la prison,
qui a vu Gaston Dominici
Mgr. MIOLLIS
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Presbytère de Mgr. Miollis, evêque de Digne en 1815,
il deviendra Mgr. Myriel dans les Misérables de V. Hugo.
Son factotum, Pierre Morin, sera Jean Valjean

RUE MERE-DE-DIEU
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Arrivant par les Thermes,
les soldats entrent à Digne
par la rue Mère-de-Dieu,
où est apposée cette céramique

CHAMPTERCIER
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A Champtercier,
entre Digne et Malijai,
cette tombe d'un soldat de la Grande Armée
MALIJAI
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Le château de Maljai,
avec vue sur la Durance
LE BIVOUAC
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Le bivouac dans les jardins du château.
Journées Napoléon organisées tous les 2 ans
CHATEAU
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La château côté rue.
Entrée de la Mairie
LES MEES
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Les Pénitents des Mées,
à 5 mn de Malijai
L'ESCALE
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Après Malijai pour rester sur l'authentique Route Napoléon,
passer sur la rive gauche de la Durance, à l'Escale
VOLONNE
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Pour arriver à Volonne...
SISTERON
PORTE DU DAUPHINE
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La Citadelle
et le pont de La Baume
LA DURANCE
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La ville basse de Sisteron,
au bord de La Durance
RUE SAUNERIE
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Où est l'Auberge du Bras d'Or

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CLUE DE SISTERON
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La clue de Sisteron,
porte de Provence,
porte du Dauphiné.
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LA SAULCE
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PORTE COLOMBE
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La Porte Colombe,
entrée sud de Gap
HOTEL MARCHAND
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19, rue de France, à Gap
LA FRESQUE
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La fresque de l'hôtel Marchand
REFUGE NAPOLEON
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Au Col de Manse,
près du Bayard
LE DRAC
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qui rejoint l'Isère à Grenoble
DE RENFORT
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Pour monter le Bayard, on a besoin de chevaux de renforts.
Arrivés en haut, par habitude, ils resdescendent seuls
LA FARE EN CHAMPSAUR
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Au bord du Drac,
en face de Saint-Bonnet,
au pied du Col du Noyer.

LA HALTE
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CORPS LA SALETTE
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La vieille rue de Lara,
entrée de Corps en 1815
JOURNEES NAPOLEON
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Hôtel de La Poste
Route Napoléon à Corps

http://www.hotel-restaurant-delas.com/
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L'OBIOU
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1.850 m. au dessus du lac du Sautet
LA SALETTE
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Sanctuaire N-D de La Salette
PONT-HAUT
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LA MURE
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Face à la Mairie, une ruelle montante
mène à la colline du Calvaire
LE CALVAIRE
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De la colline du Calvaire,
le paysage vers Laffrey

LAFFREY
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LA STATUE
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A Grenoble, face à la Préfecture
jusqu'en 1871, avant Laffrey

A LAFFREY
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A Laffrey, depuis 1932,
Prairie de La Rencontre

POSITIONS
LA PLAQUE
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Contre le mur de l'église
la plaque commémorative

VIZILLE
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Les Lanciers Polonais
à l'Equirando de Vizille 2010
BRIE ET ANGONNES
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TAVERNOLLES
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Cette borne militaire royale montre
que nous sommes bien
sur la route militaire
EYBENS
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PORTE DE BONNE
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A GRENOBLE
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AUBERGE NAPOLEON
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Rue Montorge
http://www.auberge-napoleon.fr/

BOURGOIN-JALLIEU
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Plaque commémorative sur l'hôtel où a dormi Napoléon à Bourgoin, le 9 mars 1815, allant de Grenoble à Lyon.

Villefranche-sur-Saône
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Mâcon
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C'est ici que se trouvait l'hôtel Sauvage, où Napoléon passa la nuit du 13 mars.

Tournus
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Sur la maison du grognard Putigny, à Tournus.

Mercurey
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Sur la maison natale du général Duhesme, enterré à Genappe, près de Waterloo.

Autun
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Sur l'hôtel Saint-Louis et de La Poste, à Autun. Cet hôtel a conservé la chambre, où a dormi Napoléon, le 15 mars.

Saulieu
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La Borne impériale.

Saulieu
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Les différents passages de Napoléon à Saulieu.

Auxerre
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Statue du maréchal Davout, à Auxerre.

Sens
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Sur la maison natale de Bourrienne, alors ministre de la Police.

Belliard
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Sur la maison natale du général Belliard à Fontenay-le-Comte, en Vendée. Belliard commandait les troupes royalistes à Melun.

Moret-sur-Loing
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Moret-sur-Loing
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La plaque commémorative sur cette maison.

Montereau
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Statue de Napoléon, à Montereau.

Capitaine Coignet
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Le capitaine Coignet, ici représenté par Pierre Pagès, d'Auxerre.

Fontainebleau
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Napoléon à Fontainebleau
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20 mars 1815
Vign_Samson
http://elbe.activebb.net/
Vign_rod_steiger
Tutto conoscere dell'isola di Elba
http://elbe.activebb.net/
OU L'ILE D'AIX
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Bon séjour à l'Hôtel Napoléon, place d'Austerlitz...
http://www.hotel-ile-aix.com/
http://www.iledaix.fr/
NIORT
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La Boule d'Or, devenue Les Relais d'Alsace...

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Plaque commémorative sur la façade.

FOURAS
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La stèle sur la plage

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HOTEL NAPOLEON
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Place d'Austerlitz, sur l'île d'Aix.

LE MUSEE
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La maison où Napoléon a passé ses derniers jours sur le sol français, sur l'île d'Aix.

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La Route Napoléon c'est aussi un film de Jean Delannoy avec Pierre Fresnay dans le rôle principal. Scénario d'Antoine Blondin
GRASSE 1ère bouquinerie
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CORPS 2ème bouquinerie
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LE CAILLOU
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Pièce rarissime : Affiche du siècle dernier ! Le musée a bien changé depuis, mais je garde de très bons souvenirs de mes Salons du livre en ses murs...
Vign_P1000505
Vign_bertier_amazon

NOUVEAU !!!

https://www.amazon.fr/Mar%C3%A9chal-Berthier-Visconti-Princesse-Wagram-ebook/dp/B095FT21D5/ref=sr_1_1?dchild=1&qid=1623856521&refinements=p_27%3AL%27AZOU+Jacques&s=books&sr=1-1&text=L%27AZOU+Jacques

Vign_MACDO
http://napoleon-monuments.eu/Napoleon1er/Macdonald.htm
Pont de La Guillotière
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Comte d'Artois
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Vign_SOUVENIRS_MACDO
Duc d'Orléans
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Maréchal Macdonald
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Vign_pub
AVANT-PROPOS
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Evidemment, Napoléon n'a jamais pris la Route Napoléon, puisque la route n'existait pas lorsqu'il a débarqué dans le Golfe-Juan, à Vallauris, le 1er mars 1815. La Nationale 85 a pris le nom de l'Empereur pour devenir la première route touristique à caractère historique. Sur l'initiative du Touring-Club de France, en 1909, voit le jour la Grande Route des Alpes. La RN 85, à l'instigation des syndicats d'initiative locaux en 1932 est baptisée Route Napoléon pour faire pendant à cette Grande Route des Alpes, fermée l'hiver. La Route Napoléon est donc la route qui va de la Côte d'Azur au coeur des Alpes, praticable toute l'année. C'est à l'abbé Jules Chaperon, curé de la Martre que l'on doit la paternité de cette appellation. En 1913, membre du syndicat d'initiative d'Artuby, il demande aux pouvoirs publics de « décerner à la Route Nationale 85, le titre exceptionnel de Voie Napoléon comme sous les Romains, il y avait une voie Aurélienne », mais la guerre 14-18, retarde le projet. La volonté de l'état de déclasser la Route Napoléon, connue comme telle depuis le 1er juillet 1932, fait se mobiliser de nombreux élus locaux qui fondent l'Action Nationale des Elus pour la Route Napoléon : l'A.N.E.R.N. Créée le 4 février 1969 à l'initiative du préfet Jacques Biget, maire de St Vallier de Thiey et de M. Bellon maire de St Auban, conseiller général. L'A.N.E.R.N. regroupe 42 communes situées sur la RN 85 qui déssert 5 départements et 2 régions : Provence, Alpes-Côte d'Azur et Rhône-Alpes. Le premier combat de l'association est de s'opposer au déclassement de la partie basse de la Route Napoléon, c'est à dire de l'ôter du réseau national au profit du réseau départemental comme en avait décidé l'Etat. Ce déclassement aurait brisé l'unité administrative de la route et aurait été dramatique pour le reste de la RN 85. Sa mission demeure de faire valoir le caractère essentiel et national au sens de l'aménagement du territoire de ce parcours emprunté par Napoléon, désormais dédié au tourisme.  L'A.N.E.R.N. se consacre à l'amélioration constante du réseau routier et à l'organisation d'une signalisation tant directionnelle qu'informative dont le fleuron a été, dès 1986, le premier Relais Information Service : le R.I.S. Il y a actuellement 13 R.I.S. en place tout au long du tracé. Avec le logo de « L'Aigle » à l'entrée de chaque commune, ces R.I.S. vous aideront dans votre progression. Si elle ne suit pas exactement les chemins de l'époque, dont beaucoup ont d'ailleurs disparu, la Route Napoléon donne une bonne idée du périple effectué en 1815 par l'Empereur allant de Vallauris à Grenoble, par Grasse, Digne, Sisteron, Gap, et Corps. Ce qui totalise plus de 300 kilomètres, à pied le plus souvent, en une semaine. Un exploit ! Le Vol de l'Aigle, volant de clocher en clocher, jusqu'aux tours de Notre-Dame se poursuivra par Lyon, Mâcon, Châlons-sur-Saône, Autun, Auxerre et enfin Paris où Napoléon retrouve le trône, que vient d'abandonner Louis XVIII, en fuite vers Gand. Ce seront les Cents-Jours, Waterloo, la Seconde Abdication, enfin le départ vers Rochefort, puis Plymouth et I'île de Ste Hélène...

Mon livre " LA ROUTE NAPOLEON " est publié à compte d'auteur,

comme la biographie du général Piré, " De Quiberon à Waterloo ".

Vous pouvez me les commander à mon adresse mail : laroutenapoleon@yahoo.fr

En cliquant sur les photos, vous pourrez les agrandir.
Si vous désirez de plus amples renseignements, envoyez-moi un mail : laroutenapoleon@yahoo.fr

Bonne Route !

LA JEUNESSE DU GENERAL BUONAPARTE A ANTIBES - 1794
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Napoléon, tout le monde connaÎt son histoire... Dans le monde entier, son chapeau, sa redingote, ont rendu sa silhouette familière. «Cet homme étrange a comme enivré le monde... » a déclaré Victor Hugo. «Il a été publié plus de livres sur l'Empereur qu'il ne s'est écoulé de jours depuis sa mort» nous dit Jean Tulard. Napoléon n'aurait pas assez de toute une vie pour lire tous les ouvrages écrits sur lui. Et c'est sans compter les gravures, tableaux, images d'Epinal, statues, figurines, pièces de théâtre, opéra et maintenant les films et autres feuilletons télévisés. Plus haut qu'Alexandre, plus haut que César, plus haut que Charlemagne, plus haut que Frédéric de Hohenstaufen, Son étoile aura brillé au plus haut. Oublié le million de Français perdu durant les guerres de l'Empire, oubliés les massacres en Calabre, au Tyrol, en Espagne, oubliées les deux invasions, l'épopée reste et la légende devient mythologie. En 1785, en garnison à Valence, le lieutenant Buonaparte va dévorer la librairie Aurel de la Maison des Têtes. Il se nourrit de Plutarque et de Rousseau et en restera imprégné toute sa vie. Ce qui aurait dû le rendre plus sage...Parti de moins que rien, ce jeune lieutenant autodidacte, par son habileté militaire, parviendra à des sommets jamais égalés. La carrière de Napoléon ne peut être entièrement expliquée tant il y eut des hasards heureux ou malheureux. On peut l'interpréter par la conjonction de son génie et des circonstances extraordinaires de l'époque. Le plus surprenant est que trahi par tous, et se sachant trahi, Napoléon, guidé par son étoile, poursuive sa destinée « poussé par une force intérieure ». Jamais, homme aussi puissant n'aura été aussi trompé, par ses femmes, par ses frères et soeurs, par ses ministres et ses maréchaux.
La Route Napoléon, beaucoup en ont entendu parler, mais peu la connaissent vraiment.
Pourtant cette campagne napoléonienne, « l'invasion d'un pays par un seul homme », est la plus belle des campagnes puisqu'elle se déroule sans tirer un coup de fusil, sans verser une goutte de sang. Mais La Route Napoléon c'est surtout l'épilogue de ces vingt années d'une vie hors norme. Questionné par son médecin Irlandais, Barry O'Meara, à Sainte-Hélène, Napoléon lui confiera que le moment le plus heureux de son existence a été « La marche de Cannes à Paris », moment inoubliable où la France s'offrait à lui sans combattre, comme envoûtée. Pour mieux apprécier votre randonnée, faisons tout d'abord une courte excursion dans le temps : ce mercredi 1er mars 1815, à Vallauris, sur la plage de Golfe-Jouan, la route de Napoléon, Empereur des Français et souverain de I'île d'Elbe, croise le chemin du citoyen-général Buonaparte. Par un extrordinaire retour du destin, rare dans l'Histoire, Napoléon, à 46 ans et après 10 mois d'exil, retrouve les traces du jeune artilleur de 25 ans qui vient de se distinguer au siège de Toulon...
1793, Toulon qui s'était livrée aux Anglais, vient d'être repris par le général Dugommier, en partie grâce à une action décisive du commandant Buonaparte qui est proposé au grade de général « à titre provisoire ». Dugommier contresigne le décret des commissaires en y ajoutant de sa main cette réflexion ironique : « Si on ne l'avançait pas, cet officier avancerait tout seul. » En février 1794, il est confirmé dans son grade par le représentant Salicetti auquel se sont adjoints Ricord et Robespierre (Augustin, le frère de Maximilien, alors au faîte de son pouvoir). Buonaparte est affecté au commandement de l'artillerie de l'armée d'Italie, à l'état-major de Dumerbion à Nice. Comme il a pour mission d'inspecter les batteries côtières, il réquisitionne pour son usage personnel le Château Salé sur les hauteurs d'Antibes, et y fait venir toute sa famille: sa mère Letizia, ses soeurs Elisa, Pauline, Caroline et ses jeunes frères Louis et Jérôme. Joseph, l'aîné est employé au commissariat des guerres et a fait la connaissance de Julie Clary, fille de riches négociants marseillais. Ils vont bientôt se marier et séjourneront quelque temps au Château Salé.
De même, Lucien, qui en ces temps révolutionnaires se fait appeler Brutus, sert dans l'intendance : il est magasinier à St Maximin et va convoler avec la fille de son aubergiste Christine Boyer.

Après tant d'années difficiles, c'est enfin pour tout ce petit monde le début du bonheur : les bonnes places, l'argent et cette belle bastide au milieu des oliviers et des eucalyptus avec une superbe vue sur la mer, le fort Carré d'Antibes, les montagnes de l'arrière-pays niçois. Le Château Salé verra aussi passer un groupe de jeunes officiers que Napoleone a remarqués au siège de Toulon et qui lui servent d'aides de camp, dont il fera la carrière : Junot, Marmont, Duroc, Sébastiani, Desaix, Suchet, Victor, Desgenettes. On peut les voir galoper le long des plages, désertes à l'époque, vers Nice qui vient d'être annexée ou vers les montagnes toutes proches vers Grasse, sous-préfecture du Var en ce moment, ville commerçante déjà industrielle, avec ses parfumeurs et ses tanneurs, capitale de fait de la région avec ses 12.000 habitants, quand Antibes, le poste frontière avant le Var, n'en compte que 4.000 et Cannes n'est qu'un modeste port de pêche, avec 3.000 habitants. Ce cercle d'officiers avec sa famille sera le premier clan et Napoleone devient le centre de ce système qu'on retrouvera plus tard. Cette année 1794, au Château Salé d'Antibes combien de futurs rois, de futures princesses, de futurs maréchaux, de gouverneurs... On pouvait voir dans les rues d'Antibes en 1794, maman Letizia et ses filles dans une calèche conduite par un superbe noir appelé Domingo. Domingo, qui parfois accompagnait le général Buonaparte à Nice, sera blessé lors d'un combat au-dessus d'Eze. Ironie du sort, il sera à Rochefort en Août 1815, où Napoléon le rencontrera, avant d'embarquer sur le Bellerophon, en partance pour Plymouth...Le Château Salé existe toujours, mais il n'est plus dans une oliveraie. Vous pouvez le trouver encerclé d'immeubles, derrière l'église de l'Assomption sur la route de Grasse. En 1834, il faillit être acheté par Lord Brougham, le « créateur » de Cannes, mais ce fut finalement le général Reille, Antibois gendre du maréchal Masséna, qui en fit l'acquisition auprès d'un certain M. Servelle. Cette bastide historique appartient désormais à la ville d'Antibes et abrite les pépinières municipales. Elle mériterait un meilleur sort...

La batterie du Graillon est un bel exemple de ce qui peut être réalisé pour préserver un patrimoine historique. Chargé d'inspecter les batteries côtières, le général Buonaparte commandant l'artillerie, restaure en cette année 1794, ce fortin du Graillon, dans le Cap d'Antibes, sous le phare de la Garoupe, face aux Îles de Lérins. Il y installe 16 pièces d'artillerie. Aujourd'hui, cette batterie du Graillon, mise en valeur par André Sella, riche hôtelier du Cap d'Antibes, est devenue le Musée Naval et Napoléonien, géré par le Musée de la Marine. Il se trouve boulevard Kennedy, au-dessus du petit port de l'Olivette. Ce musée rassemble de très belles pièces de collection, de magnifiques maquettes et des figurines charmantes. Bien sûr, une visite s'impose avant d'entamer le parcours de la Route Napoléon.
On peut imaginer les chevauchées de Napoleone et de ses jeunes officiers promis à un bel avenir mais insouciants en ces temps incertains. Le plus court chemin du Château Salé à la batterie du Graillon passe par la Garoupe. En cette fin de XVIII° siècle, toute la côte n'est que marais et dunes, et le Cap d'Antibes, une forêt inhabitée. Par le chemin du Calvaire, on monte au plateau de la Garoupe. Panorama splendide. Côté mer le coup d'oeil va de l'Estérel à la côte italienne, côté montagne, il découvre les premières Alpes enneigées l'hiver, et tous ces villages perchés. Du haut de la Garoupe vous verrez des trirèmes romaines, des felouques barbaresques, des caraques génoises, des galères florentines, des caravelles aragonaises. Ce n'est pas hors sujet, le jeune Napoleone, pétri de culture antique avait les mêmes hallucinations du haut des tours à feux de la Garoupe. Il devait méditer sur le sort du Masque de fer enfermé, en 1687 pendant 17 ans sur l'île Ste Marguerite. Le phare date de 1837, détruit en 1944 et reconstruit quatre ans plus tard. On peut le visiter: 116 marches en marbre pour monter à 103,70 mètres au-dessus de la mer. Tout près sur le plateau une magnifique chapelle du XII° siècle abrite dans ses deux nefs juxtaposées une collection impressionnante d'ex-voto offerts pour la plupart par des marins dont le plus ancien est de 1779, offert par un bagnard antibois, pour remercier la Bonne Mère de la Garoupe de l'avoir aidé lors de son évasion du bagne de Toulon ! Vers tribord, admirez les Îles de Lérins, Ste Marguerite et St Honorat qui valent le détour d'une journée pour le moins.
Pendant la Révolution, elles sont décrétées bien national sous l'appellation Île Marat et Île Lepelletier, deux héros révolutionnaires.
Sic transit gloria mundi...
L'ABDICATION DE FONTAINEBLEAU - LE CHOIX DE L'ILE D'ELBE
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1814 : Campagne de France, la fin en deux mois, février et mars, tout s'écroule sur les routes de la vallée de la Marne de La Ferté-sous-Jouarre jusqu'à Châlons, en passant par Montmirail, La Ferté-Gaucher, Champaubert. Le premier à trahir sera Talleyrand qui a vendu tous ceux qui l'ont acheté. Le 11 mars les Alliés rentrent dans Paris, à 11 heures, et se réunissent chez Talleyrand qui prêche pour les Bourbons : « Louis XVIII est un principe, c'est le roi légitime. » Le Tsar Alexandre très hostile d'abord, puis contraint, s'y résigne. Les souverains alliés signent une déclaration refusant toute négociation avec Napoléon Bonaparte et sa famille, invitant le Sénat à nommer un gouvernement provisoire. Talleyrand en est le président. Napoléon est à Fontainebleau, regroupant ses troupes. Il négocie avec le Tsar par l'intermédiaire de Caulaincourt, qui fait des aller-retour entre l'hôtel Talleyrand et le Château de Fontainebleau. Par l'intermédiaire de Marie-Louise, Napoléon traite également avec son beau-père, l'Empereur d'Autriche, qui est à Dijon.
Jeune femme de 23 ans, l'Impératrice, Régente de fait, escortée par les frères de l'Empereur et le ministère, court sur les routes entre Rambouillet, Chartres, Vendôme, Blois. C'est une partie d'échecs après la partie de poker menée sur la Marne. Le comte Schouwaloff, aide de camp du Tsar et commissaire des alliés, accompagné du comte Auguste de Saint Aignan, le beau-frère de Caulaincourt. Ils ont passeports et argent, ce qui permet aux ministres et haut dignitaires de se volatiliser, puis ils conduisent Marie-Louise  à Orléans sous bonne escorte. Les frères, Joseph ex-roi d'Espagne, et Jérôme, ex-roi de Westphalie, passent en Suisse. Les ministres s'évaporent en direction de Paris. Pas un ne passe par Fontainebleau !
Echec à la Reine...
Au même moment, à Fontainebleau, c'est la défection des grosses épaulettes, les maréchaux se rallient aux Bourbons... A Corbeil-Essonnes, les troupes du Maréchal Marmont, plus de 10.000 hommes, quittent leurs positions, mettant Napoléon à découvert.
Echec au Roi.
Séparé de sa femme et de son fiIs pour qu'il ne puisse pas abdiquer en sa faveur, Napoléon est lâché par ses maréchaux.
Echec et mat !

Le 11 avril, Caulaincourt négocie une sortie honorable. Dans le bureau de Talleyrand, devant une mappemonde, Alexandre, puisqu'il faut un établissement hors de France, hors du continent, sur une Île, propose la Corse. L'honnête Caulaincourt se récrie : « Mais la Corse fait partie intégrante de la France ! ». Alexandre fait glisser son doigt sur le globe terrestre : « Alors l'île d'Elbe ? » Va pour l'île d'Elbe. Napoléon aurait préféré la Corse, mais il savait que la Corse n'aurait pas voulu de lui. La Corse entière a applaudi à la chute de l'Empereur. A la nouvelle de l'abdication, le maire d'Ajaccio, François Lévie, fait illuminer la mairie. La foule en délire jette à la mer le buste du « Bastardino ». Le séjour du général Morand, gouverneur de l'île de 1803 à 1811, avait laissé de mauvais souvenirs...
Le traité de Fontainebleau accorde à Napoléon, l'île d'Elbe en pleine souveraineté, avec maintien du titre d'Empereur, une rente annuelle de 2 millions du gouvernement français, et le duché de Parme à Marie-Louise avec promesse de succession pour leur fils.

Le 20 avril, ce sont les Adieux de Fontainebleau, belle image d'Epinal. Napoléon pour la dernière fois s'adresse à la Garde dans la cour d'honneur: « Dans ces derniers temps, comme dans ceux de notre prospérité, vous n'avez cessé d'être des modèles de fidélité et de bravoure. Avec des hommes tels que vous, notre cause n'était pas perdue.» Il embrasse en pleurant le drapeau tenu par le général Petit, puis s'éloigne accompagné de Bertrand, Drouot, Cambronne, de 600 hommes volontaires et des trois commissaires des alliés chargés de l'escorter jusqu'à Fréjus. Pas un de ses frères, pas une de ses soeurs : ils se sont envolés comme une nuée de moineaux, riches et bien pourvus quand la bise fut venue. Pourtant, presque toute la famille a passé aux environs de Fontainebleau et nul ne s'est détourné de sa route pour saluer celui à qui on doit tout.

Marie-Louise est toujours à Orléans. Metternich, chancelier d'Autriche, lui écrit pour lui confirmer l'attribution du duché de Parme et que « le plus convenable serait qu'elle se rendît momentanément en Autriche avec son enfant en attendant les arrangements». Pour ce faire, il l'invite à rejoindre son auguste père à Rambouillet. Bausset, préfet du palais, porteur de cette lettre, pour rentrer à Orléans, passe par Fontainebleau. Il a une longue conversation avec l'Empereur qui lui confie une lettre pour sa femme lui demandant de le rejoindre à Briare et de là, continuer sur Nevers, Moulins, le Mont Cenis jusqu'à Parme où elle se reposera avec son fils pendant que lui-même ira à I île d'Elbe préparer tout pour la recevoir. Bausset va bientôt trahir lui aussi, en envoyant aux Bourbons l'expression de son continuel dévouement, faisant bien sonner son titre de marquis. Dans ses mémoires, il se présente comme l'un des plus ardents « à combattre le retour de cette niaiserie sentimentale ». Son arrivée à Orléans avec ses deux lettres n'est pas sans influer sur les décisions de l'Impératrice et va marquer le début de la "trahison" de Marie-Louise. Bausset met en avant les avantages à se rendre près de son père François II, Empereur d'Autriche, lui présenter son fils, lui demander protection, recevoir ses conseils. Corvisart, le médecin, préconise un séjour à Aix-Ies-bains pour se refaire une santé. La duchesse de Montebello, dame de compagnie, épouse du maréchal Lannes tué à la bataille d'Essling en 1809, déteste Napoléon et surtout ne veut pas aller à l'île d'Elbe. elle a cinq jeunes enfants qu'elle ne peut pas quitter. Voilà tout le monde sur la route de Rambouillet.

Dans la nuit du12/13 avril, Marie-Louise, écrit à l'Empereur pour le prévenir : " Je t'écris un mot par un officier Polonais qui vient de m'apporter ta lettre, à Angerville. Tu sauras déjà que l'on m'a fait partir d'Orléans et qu'il y avait des ordres de m'empêcher d'aller te rejoindre, même à recourir à la force. Sois sur tes gardes, on nous joue, je suis dans des inquiétudes mortelles pour toi...Nous avons emporté ce que nous pouvions du trésor. je te le ferai passer par tous les moyens, mais je suis sûre que je te l'apporterai moi-même." Aussitôt prévenu, Napoléon fait partir à marches forcées un détachement de la Vieille Garde avec le général Cambronne avec le trésorier Peyrusse qui a pour mission de récupérer ce qui reste du trésor déjà bien dilapidé. Cambronne a pour mission réelle de rejoindre l'Impératrice et de l'escorter jusqu'à Fontainebleau. Trop tard, quand il arrive à Orléans, Marie-Louise est déjà arrivée à Rambouillet, escortée par des Cosaques. Malgré tout, Peyrusse récupère une partie de l'argent.

Cet itinéraire de l'Impératrice, qui va être, à l'insu de son plein gré, séparée définitivement de son mari est très important pour la suite. Cette séparation sera la cause essentielle du départ de I'île d'Elbe. Le sacrifice accompli par l'Acte d'Abdication, Napoléon ne rêve plus que d'un établissement bourgeois, comme Dioclétien se retirant à Savone. L' île d'Elbe, le duché de Parme voisin pour sa femme et son fils et du temps pour écrire son épopée : voilà une existence bien supportable à quarante-quatre ans... Il ne faut pas se leurrer sur les raisons officielles de son brusque départ, Napoléon quitte Porto-Ferrajo, le 1er mars 1815, pour retrouver sa Marie-Louise et surtout son petit Napoléon, nouvel Astyanax !
Il ne les a pas revu depuis le 25 Janvier 1814, date à laquelle il rejoignait l'armée pour la Campagne de France.

L'ILE D'ELBE - MAI 1814 - FEVRIER 1815
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Le 28 avril 1815, Napoléon s'embarque à St Raphael, Louis XVIII, appelé Louis le désiré, arrive à Compiègne où il prépare son entrée dans la capitale, Marie-Louise passe la frontière à Bâle. Une frégate anglaise débarque Napoléon et sa suite, le 4 mai, à Porto-Ferrajo aux acclamations des habitants. A la nouvelle de la chute de l'Empire, les Elbois avaient souhaité se donner aux Anglais et le pavillon britannique flotta quelque temps sur I'île. L'annonce de la venue du nouveau souverain, règle tout, d'un seul coup. Dès le 7, Napoléon fait à cheval le tour de I'île, visite les mines, les salines, les ports, les défenses et se met aussitôt au travail. Il rencontre là un ancien compagnon des années Château Salé : André Pons, dit Pons de l'Hérault, ancien officier de marine resté Jacobin, mis au placard à la direction des mines après un pamphlet contre le pouvoir. Ils se remémorent les souvenirs et entre autres une bonne bouillabaisse dégustée à Bandol... ! André Pons est le premier mémorialiste de l'empereur. Ayant conscience que son temps est révolu et qu'il n'appartient plus qu'à l'Histoire, Napoléon « l'invite à écrire ce qui se passerait à I île d'Elbe.» En 1815, Pons sera préfet du Rhône pendant les Cent Jours et devra s'enfuir après Waterloo. Ses notes seront retrouvées en vrac à la bibliothèque de Carcassonne puis éditées en 1897.

Sous l'empire, I'île était une sous-préfecture du département de la Méditerranée, chef-Iieu Livourne. Napoléon transforme le sous-préfet Balbi en intendant de I'île, Antoine Drouot général d'artillerie, qu'on appelait « le Sage de la Grande Armée», devient gouverneur, Peyrusse ministre des finances, Bertrand, Grand Maréchal du Palais, devient ministre d'état et Pierre Cambronne commandant de Porto-Ferrajo. Sous les ordres du général Dalesme, il y avait en garnison sur I'île trois bataillons du 35° de ligne surtout composés de réfractaires, de déserteurs et de fortes têtes. Napoléon fait savoir qu'il accepte de garder les officiers et les soldats qui veulent rester à son service et constitue ainsi un bataillon de 400 hommes appelé Bataillon Corse, 400 miliciens Elbois forment le Bataillon de l'Ile ou Bataillon Franc. Le 28 mai, le détachement de la Garde Impériale arrive de Fontainebleau, par Montmélian et Savone, en tout 607 grenadiers et chasseurs tous volontaires et triés sur le volet. Ils forment le Bataillon Napoléon sous les ordres du colonel Mallet. Arrivent un escadron de 118 Polonais du major Jermanowski, 21 marins de la garde, un peloton de vétérans. Trois brigades de gendarmerie complètent cette petite armée de 1.600 hommes. Les soldats conservent l'uniforme français, mais prennent la cocarde elboise blanche et rouge, semée d'abeilles d'or. Napoléon adopte pour ses nouvelles armes un ancien écusson de I'île, datant de Cosme 1er : d'argent à la bande de gueules chargé de trois abeilles d'or. Le brick l'Inconstant, de 46 canons, cédé par la France en vertu du traité de Fontainebleau, l'espéronade la Caroline, deux felouques l'Abeille et la Mouche, appartenant aux mines de Pons et un chébec l'Etoile, acheté par l'Empereur avec un grand canot constitue la Flotte sous la responsabilité de l'enseigne de vaisseau Taillade, marié à une Elboise et aussitôt promu lieutenant.
« Ce sera I'île du repos ! » dit Napoléon en débarquant. Pendant les six premiers mois, il déborde d'activité voulant comme toujours tout organiser : il transforme la douane, lève des droits sur les blés, afferme les salines, installe un nouvel hôpital, augmente les fortifications, plante de la vigne, acclimate des vers à soie, fait réparer les routes. Il prenait avec philosophie le revers de fortune qui le plaçait à la tête d'un si petit pays après avoir fait trembler toute l'Europe. Châteaubriand qui exagère souvent, écrit « qu'on le vit passer sans effort des rois et des reines qui se pressaient à Erfurt, aux boulangers et marchandes d'huile qui dansaient dans sa grange à Porto-Ferrajo. » Rassasié de tout et surtout des hommes, que lui importe de vivre là ou ailleurs ? Pardessus tout, il attend sa Marie-Louise et son petit Napoléon qui tardent à prendre possession de leur duché de Parme. Parme, Livourne, Porto-Ferrajo tout ça n'est pas très éloigné. La tristesse et l'ennui viennent vite et l'inquiétude ensuite. Il apprend en juin la mort de Joséphine, le 29 mai à la Malmaison. On le voit pleurer sur le passé. « Joséphine, c'est la maîtresse, Marie-Louise, c'est l'épouse. Bonaparte, c'est l'homme, Napoléon c'est le rôle. » comme le dira Alfred de Vigny. Sa mère, puis sa soeur préférée Pauline arrivent durant l'été. En septembre, c'est le tour de Marie Waleska et de son fils naturel qui a maintenant cinq ans. Il la renvoie... Il attend sa femme et son fils...

A Vienne va s'ouvrir le Congrès qui doit régler le sort de l'Europe après la chute de l'empire français. Pour fuir la capitale autrichienne où toutes les cours affluent, Marie-Louise, qui ne veut voir personne profite d'organiser un séjour thermal à Aix-Ies-bains, ville restée française. Elle quitte Vienne le 6 juillet avec ses gens de compagnie, mais sans son fils. Sous prétexte que le petit Napoléon risque de l'embarrasser, on l'a gardé à Vienne et il est décidé qu'elle aurait auprès d'elle une personne familière pour être son conseil afin de faire la liaison avec la Chancellerie sur ses projets concernant le duché de Parme. Schwarzenberg, qui doit désigner ce garde du corps, est un des pires ennemis de Napoléon. De sa propre initiative ou poussé par quelque personnage de la famille impériale, il nomme le général Adam Von Neipperg, commandant un régiment à Pavie. A quarante ans, Neipperg est militaire et diplomate, portant beau l'uniforme de hussard, un bandeau sur l'oeil droit perdu au combat. Il est né à Vienne des relations adultères de sa mère et d'un officier français. Napoléon le connaît ce Neipperg. En Juillet 1800, après le succès de Marengo, alors colonel, il était venu à Paris, pour assister le Comte de Saint-Julien chargé par l'Empereur d'Autriche de négocier avec Talleyrand et Maret, les préliminaires du traité de paix, qui sera signé à Lunéville. Ces négociations se passent mal et à leur retour à Vienne, le deux négociateurs furent envoyés réfléchir pendant trois mois dans une forteresse. Neipperg, au dire d'Albert Sorel, en conçu une haine féroce envers la France et son Premier Consul : « Il en fit une affaire personnelle; il attendit longtemps. Sa vengeance lui vint par de prodigieux ricochets...II paya, par un scandale de la grande histoire, ce petit affront de coulisse diplomatique.» Neipperg est habitué aux missions délicates pour avoir participé à la trahison de Bernadotte et ensuite à celle de Murat. Il a bien compris le but de la manoeuvre. Un fait important, fin août 1814, vient de se dérouler : Marie Waleska, avec son fils, embarquent à Gênes pour aller à Naples, négocier les rentes sur une principauté napolitaine. Un fort coup de vent oblige le bateau a se dérouter sur l'île d'Elbe. Aussitôt, tout le monde pense que c'est Marie-Louise et l'Aiglon. Quand l'arrivée de Marie Waleska sera connue, la nouvelle va se propager, jusque Piombino, puis Turin, puis Vienne, sans oublier Paris... Marie-Louise va bientôt l'apprendre à Aix-les-Bains, par Mme de Brignole qui relaie Talleyrand. Marie-Louise note dans son carnet intime, que l'on peut voir au Musée Glauco Lombardi à Parme, " Ah ! cette visite de la Waleska et de son fils, c'est comme une lame dans mon âme ! "

Lors du retour d'Aix, pour éviter les fêtes du Congrès de Vienne où elle aurait eu un méchant rôle, Marie-Louise fait traîner le voyage en Suisse. Bausset le préfet du palais est couché, malade de la goutte, Méneval s'oublie chez Joseph Bonaparte, à Prangins, près de Genève. Adam Neipperg a les mains libres. Il est aimable, infatigable aux excursions, romantique, mélomane. Enfin, il devient son amant. André Castelot précise que l'événement se déroule, le 27 septembre, dans une auberge suisse « Au Soleil d'Or », près de la Chapelle de Guillaume Tell, par un soir d'orage. Ceci n'est pas prouvé car les lettres de Marie-Louise à la maréchale Lannes  disent le contraire. Mais a-t-elle voulu se venger de la Waleska ? Quoiqu'il en soit le beau hussard sera récompensé au retour à Vienne avec le titre de Chevalier d'Honneur de l'Impératrice. « Ce polisson de Neipperg » comme dira Napoléon en serrant ses poings dans les poches, va devenir son maître et Marie-Louise va s'appuyer sur lui pour obtenir le Duché de Parme que veulent les Bourbons. Puis, à Parme, elle épousera son amant en septembre 1821. Neipperg lui fera trois enfants, « déposant ses oeufs dans le nid de l'Aigle » dira Chateaubriand. Redevenue veuve en 1828, elle contracte un troisième mariage avec son chambellan, le comte de Bombelles, fils de l'évêque d'Amiens. " Une trouvaille..." dit-elle.

A l'occasion des bals de fin d'année, Adam Neipperg officialise la liaison, d'autant plus que la nonciature de Vienne propose à S.M. la duchesse de Parme de faire valider son mariage avec Napoléon, maintenant qu'il est libre depuis la mort de Joséphine. Marie-Louise est ahurie : ainsi donc, selon le Pape, elle n'est que la concubine de Napoléon et son fils n'est qu'un enfant naturel, « l'enfant du crime » disait-on à la nonciature. Le cardinal Consalvi aura plusieurs entretiens avec Marie-Louise. Reépouser Napoléon ? Il n'en est pas question ! Metternich qui souhaite humilier Napoléon, peut se frotter les mains...
Il est à Vienne assez de mauvaises langues pour que la nouvelle de la liaison arrive bientôt à Napoléon qui expédie Cipriani à Vienne, via Gênes. Cipriani est un Corse républicain qui est rentré à son service en 1810, en qualité de maître d'hôtel. C'est en fait une couverture, il lui sert de confident, d'espion. Napoléon le connaît bien ce Franceschi Cipriani, qui orphelin, a passé son enfance chez les Buonaparte, faisant de petits boulots pour la famille. C'est Lucien qui lui a appris à lire. Ensuite, il a secondé Salicetti, dont on dit qu'il est le fils naturel. En tout cas, ils sont ensemble avec Joseph quand il sera nommé roi de Naples. Ils combattent contre les Anglais à Capri contre un certain Hudson Lowe que Cipriani retrouvera plus tard à St Hélène. Pour l'instant, de Vienne toujours par Gênes, Cipriani réussit à faire passer des billets rapportant les rumeurs qui circulent dans l'entourage des souverains, dans les couloirs du Congrès. De son côté Méneval écrit à Bertrand que l'enlèvement de Bonaparte et sa déportation aux Açores ou à Ste Hélène sont étudiés par les diplomates de Vienne, à l'instigation de Talleyrand. Le baron Méneval, outré par l'inconduite de l'Impératrice, laisse entendre à mots couverts que Marie-Louise ne rejoindra pas et pour cause. C'est par les billets de Cipriani qui a la liberté de langage, qu'il apprendra la trahison de Marie-Louise. Quand Cipriani reviendra à Elbe, Napoléon aura quitté I'île. Cipriani rejoindra à Paris puis suivra à Ste Hélène, où il trouvera la mort en 1818, dans des conditions restées mystérieuses.

Le nouveau gouverneur de la Corse est le général Bruslard, un chouan que le nouveau ministre de la Guerre le général Dupont, le vaincu de Baylen, a nommé pour lancer des attentats et faire assassiner Napoléon. Talleyrand a fait nommer à Livourne, un consul de France hostile à l'empereur, Mariotti. Mariotti, un Corse qui servait Elisa quand elle était Grande duchesse de Toscane avant de la trahir, cherche à gagner le lieutenant Taillade, commandant le brick l'Inconstant, qui passait pour peu dévoué à l'empereur. Mariotti écrit à Talleyrand : « Napoléon va souvent à Pianosa. On m'a assuré que n'ayant pas de logement dans cette île, il couche à bord. Il sera facile à Taillade de l'enlever et de le conduire à I'île Ste Marguerite ». Le filet se resserre autour de Napoléon qui juge que le traité de Fontainebleau est caduque, d'autant plus que Louis XVIII n'a pas payé un centime de la rente de deux millions prévue par le traité de Fontainebleau, allant jusqu'à confisquer les bijoux de l'Impératrice. Le colonel Campbell, commissaire anglais à Porto-Ferrajo, que l'Empereur a invité à rester une fois sa mission terminée, a écrit dans ses mémoires, Napoléon at Elba : « Je n'en persiste pas moins dans mon opinion que si Napoléon reçoit la rente stipulée dans les traités, il restera ici parfaitement tranquille à moins d'un événement extraordinaire en Italie ou en France.»

« Ce sera I'île du repos ! » avait dit Napoléon en débarquant le 4 mai. Pons de l'Hérault, le Républicain, a beaucoup parlé avec l'Empereur durant le séjour à I'île d'Elbe. Il était très ami avec Drouot. Il avait à Rio Marine, sa résidence personnelle, un cercle où l'on parlait librement, ce n'est pas un écrivain de métier, il écrit ce qu'il pense librement de l'Empereur et de l'Empire. La description est souvent méticuleuse et originale, on découvre un Napoléon peu connu, en particulier dans ses rapports avec les ouvriers et le portrait n'est pas toujours flatteur : « On a mal connu l'Empereur. Il avait besoin d'affection, il ne s'habituait pas à son isolement, il ne se résignait pas à l'absence de son fils et peut-être à celle de sa femme. L'Empereur souffrait, des amis éprouvés l'entouraient, mais ils ne pouvaient pas lui dispenser les consolations qu'il aurait puisées dans l'amour paternel et dans la tendresse fraternelle, je n'ose pas me permettre de dire dans le dévouement conjugal : sa fatale compagne n'avait jamais été dévouée, elle n'avait point compris la grandeur de sa destinée; elle avait traversé des jours de gloire sans s'occuper d'autre chose que des pierreries précieuses dont elle était surchargée: c'était une pagode couronnée. Elle ne sût même pas se faire oublier. Mais, il y avait un fils : cela seul explique les soupirs et les voeux de l'Empereur.»

On fait tout pour le faire partir... Qu'auriez-vous fait à sa place ?..

PORTO-FERRAJO - LE DEPART - DIMANCHE 26 FEVRIER 1815
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Le 12 février 1815, Fleury de Chaboulon, ancien sous-préfet de Reims, déguisé en matelot à bord d'une petite felouque, aborde dans I'île. « L'intrépide sous-préfet » a rencontré Maret, duc de Bassano et vient informer l'Empereur de ce qui se trame en France. Sans doute, Napoléon sait ce qui se dit à Paris ou à Vienne, par les journaux, par les racontars des touristes anglais qui affluent sur I'île, par les récits des officiers mis en demi-solde qui viennent se réfugier près de leur idole. Fleury lui apporte un rapport complet, précis et authentique, révélant l'existence d'un complot comprenant Fouché, Davout, Maret, qui a pour projet d'établir la régence. « Une régence ! s'écrie Napoléon, pourquoi faire ? Suis-je donc mort ? » Depuis quelque temps, Napoléon projetait de rentrer en France. Il en a parlé à Drouot, hostile au projet. Mais l'exécution n'en est pas arrêtée. Les renseignements de Cipriani sur l'inconduite de l'Impératrice le déterminent à brusquer le départ. Coïncidence, le 16 février, le commissaire anglais Campbell s'en va rejoindre sa maîtresse, la belle Mme Bartoli, sur le continent pour une douzaine de jours... C'est le moment ou jamais ! Napoléon ordonne à Drouot de réarmer l'Inconstant, d'embarquer vivres et munitions, de distribuer à chaque fantassin deux paires de souliers. Des courriers sont expédiés dans tous les coins de I'île pour défendre de laisser partir ou de débarquer quiconque, pas même les pêcheurs. Fleury est envoyé auprès de Murat, le beau-frère toujours roi à Naples. Le 22, il réquisitionne les bâtiments marchands et demande à Peyrusse de payer les factures, d'emballer le trésor dans des caisses.Dans la nuit du 23 au 24, la frégate de Campbell accoste à Porto Ferrajo, mais sans Campbell retenu à terre par d'autres préoccupations. Débarquent seulement quelques touristes anglais qui veulent voir l'Empereur. La frégate anglaise repart aussitôt !
Le 25, les préparatifs continuent. Jermanowski embarque quatre pièces de campagne à bord de l'Inconstant, cinq chevaux dont Tauris le cheval de l'Empereur, cadeau du Tsar. L'embargo est maintenu, les soldats du bataillon Corse sont consignés de crainte de désertions, les grenadiers patrouillent dans les rues et sur la côte. On parle sans mystère du prochain départ. Sur le port, on dit qu'on va en France. Dans les cafés, on parle de l'Italie. Les marchands de Porto-Ferrajo, qui ont largement profité de la présence des Français, sont d'autant plus affligés que les officiers et les soldats laissent de nombreuses dettes. Marchand, le premier valet de l'empereur, remarque que ce jour là Napoléon reste enfermé aux Mulini, le Palais, contrairement à son habitude. Il s'occupe de rédiger trois proclamations, les deux premières adressées au Peuple français et à l'armée, la troisième adressée par la Garde Impériale aux généraux, officiers et soldats de l'armée. Les trois pièces sont imprimées secrètement dans la soirée et dans la nuit.
La première : « Français, j'ai entendu dans mon exil vos plaintes et vos voeux. Vous réclamiez le gouvernement de votre choix, qui est seul légitime. J'ai traversé les mers. J'arrive reprendre mes droits qui sont les vôtres ! » La seconde : « Soldats, venez vous ranger sous les drapeaux de votre chef. Son existence ne se compose que de la votre, ses droits ne sont que ceux du peuple et les vôtres. La victoire marchera au pas de charge. L'aigle, avec ses couleurs nationales, volera de clocher en clocher jusqu'aux tours de Notre-dame, alors vous pourrez montrer avec honneurs vos cicatrices, alors vous serez les libérateurs de la Patrie ». Dans la troisième, il fustige les maréchaux traîtres en mars 1814, Marmont coupable d'être passé à l'ennemi à Essonnes, Augereau coupable d'inaction à Lyon, alors qu'avec son armée il pouvait prendre les alliés à revers sur la Marne. Il donne pour raison de son abdication l'intérêt de la patrie, « les Bourbons imposés par l'étranger n'ont rien appris, ni rien oublié. »

Le dimanche 26 février, tout le monde est dans l'attente du départ sans pourtant savoir s'iI aura bien lieu ce jour là. A neuf heures, l'Empereur va à la messe avec sa mère. Après l'office, il passe en revue le bataillon Corse et remonte aux Mulini. Vers onze heures, Cambronne avertit les adjudants majors que la troupe aura la soupe à quatre heures, embarquera à cinq. Napoléon n'a pas une flottille suffisante pour embarquer tout le monde. A midi, le Bataillon Franc et la Garde Nationale relèvent les postes occupés par la Vieille Garde, ils resteront garder Madame Mère et la princesse Pauline au cas ou... Un bateau se présente, c'est le St Esprit, polacre venant d'Agde. Jermanowski, sur ordre de l'Empereur monte à bord avec vingt hommes. Le capitaine n'oppose aucune résistance, mais commence à crier quand les Polonais jettent à la mer toutes ses marchandises. Le trésorier Peyrusse vient le calmer pour acheter la cargaison. La négociation s'éternise, le capitaine demandant le plus cher possible, Peyrusse chinant, demandant des factures. Napoléon saute dans un canot et monte à bord du St Esprit, fait voler d'un revers les papiers étendus sur la table : « Peyrousse ! (il prononce les noms propres à l'italienne) Vous n'êtes qu'un paperassier ! Payez au capitane tout ce qu'il demande ». Guillaume Peyrusse donne aussitôt les vingt-cinq mille francs pour les caisses détruites.

L'Empereur rejoint le Palais des Mulini et fait battre la générale. Les troupes sortent des casernes, chaloupes et canots sillonnent la rade. Pendant l'embarquement, il reçoit aux Mulini le directeur des domaines Lapi, promu gouverneur, une compagnie du Bataillon Franc et un détachement de la Garde Nationale. Il leur fait un petit discours : « Je vous confie la défense de la place. Je ne puis vous donner une plus grande preuve de confiance que de laisser ma mère et ma soeur à votre garde... » Il est calme, assuré, mais l'inquiétude règne autour de lui. Antoine Drouot et le comte Bertrand sont soucieux, Madame Mère et Pauline pleurent, Mme Bertrand étouffe ses sanglots. Letizia écrit ce jour même à Lucien alors à Rome, pour le prévenir du départ de l'Empereur. Joseph, le frère aîné, ex-roi d'Espagne, à Prangins en Suisse, ne sera averti que le 8 mars par un courrier de sa femme Julie qui est à Paris. Quant au beau-frère Joachim Murat, encore roi à Naples, il sera informé dès le 5 mars par le chambellan de Madame Mère, Colonna d'Istria qui lui recommande bien de se tenir tranquille. Sept heures sonnent. Napoléon embrasse une dernière fois sa mère, descend vers le port dans une petite voiture qui va au pas, que suivent à pied Bertrand, Drouot, Peyrusse, Pons, le docteur Foureau Beauregard, Marchand, les fourriers du Palais avec les magistrats de I'île. La ville a été spontanément illuminée. La population, massée sur les remparts voit passer l'Empereur dans sa tenue légendaire, petit chapeau, redingote grise. « E viva Napoleone ! » Mille cris éclatent quand il embarque sur l'espéronade la Caroline, qui va le conduire à bord de l'Inconstant. Un coup de canon tiré du brick donne le signal d'appareiller. Il ya très peu de vent, la flottille composée du brick l'Inconstant, de l'espéronade la Caroline, de la polacre le St Esprit, des chebecs l'Etoile et le St Joseph et des deux felouques l'Abeille et la Mouche. La flottille reste plusieurs heures dans la rade. Enfin vers minuit, la brise se lève et on voit les bâtiments voguer vers la haute mer. Le peu de vent contraint à tirer de bords. Le lundi 27 février, on est seulement au large de Capraja, et, de l'Inconstant, on peut voir à l'horizon la frégate The Partridge qui ramène le colonel Campbell à I'île d'Elbe.

Le brick double le Cap-Corse dans la soirée, quand la vigie signale à bâbord un bâtiment venant droit devant, vent arrière. « Branle-bas de combat ! » Les sabords sont enlevés et les pièces chargées. Après quelques instants, Taillade reconnaît le Zéphir qu'il a souvent croisé et que commande un camarade, le capitaine Andrieux. Napoléon ordonne aux grenadiers d'ôter les bonnets à poil et de se coucher sur le pont. Les deux bricks passent bord à bord... A l'aide du porte-voix, Taillade appelle son collègue :
- Où allez-vous ?
- A Livourne! Et vous ?
- A Gênes... Avez-vous des commissions ?
- Non ! répond Andrieux, et comment va le grand homme ?
- A merveille ! »
Les deux bâtiments s'éloignent. La journée du mardi 28 est calme. Les fourriers et les grenadiers qui savent écrire font des copies des proclamations. Les soldats et les officiers subalternes sont joyeux, l'état-major inquiet. Drouot et Cambronne sont peu enthousiastes et Napoléon, heureux d'avoir échappé aux croisières comme quand il était revenu d'Egypte en 1799. Pour leur donner confiance, il finit par leur dire « une Révolution a éclaté à Paris, un gouvernement provisoire est établi. J'ai reçu des adresses de plusieurs régiments. J'arriverai à Paris sans tirer un coup de fusil.» et il rabroue le trésorier qui a le mal de mer : « Allons, Monsieur Pérousse, un peu d'eau de Seine vous fera du bien ! » Le vent fraîchit dans l'après-midi. On aperçoit les cimes des Alpes. Vers neuf heures, les vigies signalent les feux de plusieurs bâtiments. C'est la flottille qui se rallie, Napoléon monte sur le pont pour s'en assurer, puis redescend finir une partie d'échecs avec Bertrand qui poliment le laisse gagner.

Le mercredi 1er mars, au point du jour, la flottille est à la hauteur du Cap d'Antibes. Napoléon apparaît sur le pont une cocarde tricolore au chapeau. On amène le pavillon de I île d'Elbe. Le drapeau tricolore, hissé en haut du mât du brick et des autres bâtiments, est salué par une grande acclamation. Devenu myope, il regarde à la lunette les souvenirs de sa jeunesse. Le Fort Carré, le Château Salé, la Garoupe. Il y a 20 ans, ici même, l'avenir s'ouvrait à lui. Il y a un an, jour pour jour, il était à La Ferté-sous-Jouarre, bataillant contre Blücher. Que lui réserve le destin ?A bord de l'Inconstant, l'enseigne de vaisseau Sari, à la barre, franchit les passes début d'après-midi. A ce moment la vigie crie un homme à la mer. L'équipage se précipite sur les sabords : un nageur, coiffé d'un bonnet rouge est hissé à bord, amené à l'Empereur : Ton nom ?
- Pierre Moulac, ancien marin de la garde !
- Mais d'où viens-tu, que se passe-t-il là-bas ? Pouvons-nous aborder ?
Sans répondre, l'homme se faufile parmi les soldats, court à la barre, donne droit sur l'entrée du golfe et vient mouiller en son milieu. Le reste de la flottille s'approche au plus près de la plage. « Allons messieurs, dit Napoléon, tout va bien, la mer nous envoie des héros ! »
Ce Pierre Moulac, Antibois qui s'est battu à Trafalgar, a été fait prisonnier par les Anglais. Ramené en France à la faveur d'un échange de prisonniers, il est revenu au pays où il s'établît pêcheur. Il a cru rêver lorsque, depuis sa barque, il aperçoit le chapeau et la redingote légendaires. Pierre Moulac suivra l'armée de I'île d'Elbe jusqu'à Paris. Il trouvera la mort à Waterloo...

A cette époque, l'endroit est pratiquement désert, une dizaine de cabanons pour une quarantaine d'habitants dit Hector Acrome, il est donc méconnaissable aujourd'hui puisque envahi d'immeubles, boulevards, terrasses et autres paillotes. A ce sujet, consultez l'excellent livre de Camille Bartoli « La Côte d'Azur Assassinée ». Golfe-Juan fait partie de la ville de Vallauris, la ville des potiers rendue célèbre par Pablo Picasso et plus près de nous par Jean Marais. Tous les ans, sur les lieux même du débarquement, l'Office de Tourisme de Vallauris Golfe-Juan organise une commémoration de ce moment important de la légende napoléonienne avec la volonté d'en faire une manifestation originale, populaire et la plus fidèle possible à la réalité historique. Cette manifestation est devenue incontournable. Une charmante stèle en mosaïque indique sur le quai l'endroit du débarquement. Sur le même trottoir, remarquez bien cet abri de verre : c'est un Relais Information Service, un R.I.S. installé là à dessein par l'A.N.E.R.N., l'Association Nationale des Elus pour la Route Napoléon.
VALLAURIS LE DEBARQUEMENT DANS LE GOLFE-JOUAN - MERCREDI 1er MARS
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Un détachement de vingt grenadiers avec le capitaine Lamouret débarque dans un canot pour s'assurer de la batterie de la Gabelle que Napoléon sait se trouver près de la plage. La batterie était désarmée. Les grenadiers se mettent en position sur la route de Cannes sur les hauteurs voisines de la tour de la Gabelle. Drouot, débarqué peu après Lamouret, expédie un autre capitaine en civil vers Antibes porteur de proclamations. Antibes, en 1815, est dans le département du Var et le Fort Carré, le poste frontière avant le fleuve Var qui marque la limite du pays avec le royaume de Piémont-sardaigne, où règne Victor Emmanuel 1er de la Maison de Savoie.
Après le rattachement du Comté de Nice à la France en 1860, sous Napoléon III, l'arrondissement de Grasse sera réuni aux Alpes-Maritimes. Le Var offre cette singularité de porter le nom d'un cours d'eau ne coulant pas sur son territoire. Le colonel Cunéo d'Ornano commande la place. Ses supérieurs, le général Corsin et le général Paulin sont absents, en inspection aux Îles de Lérins. Prévenu, il lit les proclamations, puis arrête le capitaine quand on l'avertit qu'un détachement de grenadiers de I'île d'Elbe se présente à la Porte Royale. Ce sont les hommes de Lamouret qui outrepassant ses instructions avait projeté de soulever la garnison. Il accourt, les laisse entrer après avoir parlementé avec Lamouret, dès qu' ils ont-ils franchi l'enceinte que le colonel fait lever le pont-levis. Le détachement se retrouve prisonnier ! Il est à noter que ce sera le seul échec et que Napoléon le doit, non seulement à un compatriote corse, mais qui plus est, à un parent, allié à la famille par Isabelle Bonaparte. Arrivé aux Tuileries, l'Empereur fera appeler Cunéo d'Ornano. Loin de le blâmer, il le nommera général au poste de commandant de la place de Valence...
Pendant cette équipée, la petite armée impériale effectue son débarquement. Au fur et à mesure que la troupe débarque, les hommes établissent un bivouac dans une oliveraie entre la mer et la route de Cannes à Antibes. Il reste à débarquer le trésor, les bagages, les canons et les chevaux. Un témoin oculaire, le capitaine Gazan en demi-solde à 23 ans, se trouve sur les lieux ce soir là. Il a raconté la scène à l'historien Grassois Paul Sénéquier : « La soirée était splendide, l'air calme, la mer tranquille et le ciel, reflétant les derniers rayons du crépuscule, commençaient à donner au lointain ce vague vaporeux qui précède nos belles soirées de printemps.» Napoléon quitte le brick l'un des derniers, et touchant le sol de la Patrie s'écrie: « Salut, France ! Terre des Braves ! » et va s'asseoir sur son fauteuil de campagne, près des feux allumés par les soldats, non loin de la bastide de Jérôme Jourdan. Madame Jourdan attend un heureux événement,et Napoléon lui promet d'être le parrain si c'est un garçon et qu'il rentre dans la Garde, nous raconte Hector Acrome. Il y a encore des descendants de Jourdan à Antibes.
Le général Cambronne est dépêché à Cannes avec une compagnie de cent chasseurs et grenadiers : « Cambronne, je vous confie l'avant-garde de ma plus belle campagne ! Vous ne tirerez pas un seul coup de fusil. Je veux reprendre ma couronne sans verser une goutte de sang ! » Le général Drouot place des sentinelles et des postes de garde le long de la route. Il faut faire vite. Des voitures sont arrêtées et on achète quelques chevaux. Le capitaine Alexis Gazan refuse de vendre sa jument qui ne lui appartient pas. Après être resté assis quelques instants près du feu, Napoléon vient sur la route, à l'auberge Jacquemin, parle avec des passants et des paysans accourus en curieux. Deux soldats, en garnison à Antibes ont déserté et rejoignent. On apprend ainsi que Lamouret et ses grenadiers sont retenus prisonniers. Napoléon envoie le capitaine Casabianca et un officier de santé nommé Muraour à Antibes pour les réclamer. Ils se feront arrêter, mais, l'Empereur refuse de prendre Antibes d'assaut : « Le temps est trop précieux. Le meilleur moyen de remédier au mauvais effet de l'affaire d'Antibes, c'est de marcher plus vite que la nouvelle ! Si la moitié de mes soldats se trouvaient prisonniers, je les laisserais de même. S'ils y étaient tous, je marcherais seul.»
Le piqueur Saint Denis, qui se fait appeler Ali, raconte dans ses mémoires : « Il était déjà tard lorsque l'Empereur, sentant le besoin de se reposer, s'enveloppa le corps d'un couvrepied, d'un tricot de laine, s'assit dans son fauteuil pliant, les jambes allongées sur une chaise, et couvert de son manteau. Il chercha à dormir quelques heures. Jusqu'au moment fixé pour le départ, il resta dans la même position.» Vers minuit, les hommes, ayant nettoyé leurs armes, mangé la soupe et reçu leur solde pour quinze jours, la colonne est formée et gagne Cannes par un magnifique clair de lune. Napoléon chevauchant son cheval Tauris, passe les troupes en revue.
A cet emplacement, il y a une colonne surmontée d'un buste, non de Napoléon, mais de Bonaparte... Buste offert par M. et Mme Pardée. Quant au cheval, un beau persan gris pommelé, il est enterré au lieu-dit Le Cimetière aux chevaux dans le domaine de Brazeux, propriété du baron de Montaran à qui Napoléon avait confié ce cheval, le 29 juin 1815.
Le 28 juillet 1838, Châteaubriand  évoquera : « l'invasion d'un pays par un seul homme». Il écrit à Madame Récamier : « J'ai quitté Marseille pour venir voir le lieu où Bonaparte, en débarquant, a changé la face du monde. Jacquemin, potier et aubergiste, me mena à la mer, entre les oliviers sous lesquels Bonaparte avait bivouaqué. Jacquemin lui-même l'avait reçu et me conduisait. Parvenu à la grève, je vis une mer calme que ne ridait pas le plus petit souffle. Il y avait dans le golfe qu'une seule barque à l'ancre et deux bateaux : à gauche, on apercevait le phare d'Antibes, à droite, les îles de Lérins. Les Îles de Lérins reçurent autrefois quelques Chrétiens fuyant les barbares, St Honorat monta sur un palmier, fit le signe de la croix, tous les serpents expirèrent et la nouvelle civilisation naquit dans l'Occident. Quatorze cents ans après, Bonaparte vint terminer cette civilisation où le saint l'avait commencée. Du silence du Golfe-Jouan, de la paix des îles aux anciens anachorètes sortit le bruit de Waterloo, qui traversa l'Atlantique et vint expirer à St Hélène...»
Victor Hugo vient, lui aussi, un an après, en 1839 : « Le Golfe-Jouan est une petite baie mélancolique et charmante, abritée à l'Est par le Cap-d'Antibes dont le phare et la vieille église font une assez belle masse à l'horizon, à l'Ouest par le cap de la Croisette. Un demi-cercle de hautes croupes vertes entoure le Golf et le ferme aux vents de la terre. Vis-à-vis du petit chemin au bord de la tour de Cannes, il y a deux mûriers. C'est entre ces deux mûriers que l'Empereur se plaça pour passer en revue le bataillon qui sera dans l'histoire aussi grand que la Grande Armée. Puis il se dirigea vers l'Ouest, passa près de cette vieille batterie basse que je viens de voir, traversa des torrents que je viens de traverser. Près des vieux mûriers, on a bâti un cabaret à l'enseigne " Au débarquement de l'Empereur ". A quoi pensait Napoléon ? Lui qu'attendait cette prison appelée Sainte Hélène laissa derrière lui cette autre prison appelée Sainte Marguerite. Peut-être se retourna-t-il un moment pour donner une pensée au Masque de Fer ? Trop occupé des mystères de l'avenir pour songer à ceux du passé, il continua sa marche et se plongea hardiment dans l'inconnu. Pendant deux heures, j'ai marché sur le sable où cet homme a marché il y a 24 ans, je me suis mouillé les pieds dans ce flot où est tombée sa rêverie pleine d'anxiété. J'ai quitté cette solitude comme le jour baissait et j'ai continué ma route vers Antibes. En sortant des collines qui bordent le Golfe-Jouan, j'ai enfin rencontré une figure humaine. C'était une vieille femme qui faisait sécher du linge sur un aloès.»

M. Dor de la Souchère, créateur du musée Picasso à Antibes a réuni tous les courriers rédigés à cette époque par les administrations en place, ce qui a fait l'objet d'une exposition en 1937, donnant un catalogue essentiel en deux tomes. Georges de Manteyer de la Société d'études des Hautes-Alpes de Gap, s'en est servi pour son livre très précieux « La Fin de l'Empire dans les Alpes ». Il est à remarquer que le débarquement s'est effectué au grand jour, les navires ancrés depuis le matin, au vu et au su de tous. On peut voir en relisant ces lettres que, alors que les troupes n'ont pas fini leur manoeuvre, la sous-préfecture de Grasse sera déjà informée par la mairie d'Antibes. Mais que faire ? Rien ne sera fait par manque de moyens ou par laxisme ou par stupéfaction devant l'événement. En fait, il est urgent de ne rien faire. « Je n'ai rien fait... Mais, j'ai rendu compte !... » Tel va être le raisonnement des maires, sous-préfets, préfets et autres chefs de corps de gendarmerie, tout au long de cette campagne qui se veut pacifique. Chacun souhaite l'échec de l'entreprise, mais personne ne veut le provoquer. C'est ce qu'avait d'ailleurs prévu Napoléon, en fin stratège... Il est à remarquer également que pour avoir habité la région 20 ans auparavant, Napoléon sait très bien où il débarque, et n'oublions pas qu'en 1815, la France finit à Antibes, et au-delà, après le Var c'est le royaume de Sardaigne...
Enfin, il faut souligner que la marche se fera toujours d'une façon toute réglementaire. Le général Drouot , de Nancy, ce sera une constante, reste en arrière-garde avec un détachement. Le général Cambronne, de Nantes, en avant-garde ouvre la route avec pratiquement une demi journée d'avance sur le bataillon et une journée entière sur l'arrière-garde. Pierre Cambronne trouve les rations, c'est à dire la nourriture, donc du pain qu'il faut cuire spécialement pour environ 1.000 bouches à nourrir ! On ne sait pas exactement le nombre : officiellement 607 grenadiers et chasseurs, 118 chevau-Iégers polonais, 21 marins de la garde, 43 canonniers, 400 chasseurs Corses et 30 officiers sans troupes venus à Porto-Ferrajo demander du service. A cela il faut retrancher 30 grenadiers en congé, des déserteurs chez les Corses qui n'étaient d'ailleurs jamais 400 présents sous les armes et les hommes de Lamouret prisonniers à Antibes. Enfin, il paraît qu'un certain nombre de canonniers sont restés à Porto-Ferrajo et que l'adjudant du génie Monier a été oublié sur l'îlot de Pianosa : aux archives de la guerre c'est le chiffre de 1.000, annoncé par M. de Bouthillier, préfet du Var, qui a été retenu. D'ailleurs Cambronne ne cessera de gonfler les effectifs pour faire croire à une armée plus importante, il réclamera de 2 à 3.000 rations ! Rappelons aussi que le gros de la troupe est composée de grenadiers ayant effectué les grandes campagnes, tous volontaires et très aguerris. Pour suivre, il y a le bataillon proprement dit. A l'intérieur marche Napoléon parfois à pied, parfois à cheval, devant avec la troupe ou alors parmi ses officiers sans troupes. On marche à pied d'abord. A Golfe-Juan, on réquisitionne une berline pour Guillaume Peyrusse, le trésor et les bagages. Encore une constante, on achète des chevaux, des mules et même des ânes dès qu'on en trouve, c'est qu'il faut remonter les cavaliers, surtout les Polonais qui marchent en portant leur selle sur le dos, pas très pratique en montagne.
Les chaussures sont du modèle courant, c'est à dire uni pied, gauche et droit identiques. Trois tailles : petite, moyenne et grande taille de longueurs internes de 240 mm, 270 mm et 300mm. Il existe une pointure au-dessus de la grande taille, et une autre au-dessous de la petite taille, mais seulement 3 paires par 100 paires ! C'est un soulier bas, bout carré, fermé par un laçage fait d'une lanière de cuir. Un seul trou, pas d'oeillet. Le tout est en peau de vache corroyée en huile et employée la chair au dehors. L'empeigne et le quartier noircis et cirés au suif. La chaussure réglementaire pèse 611 grammes. Le manuel d'infanterie 1808 est précis. C'est important pour des hommes qui feront des milliers de km. Le capitaine Coignet cite ce dicton : « une paire de chaussures s'use de Paris à Poitiers ». Le havresac pèse environ 30 kg. L'arrière-garde marche une journée en arrière de l'avant-garde. Comme une journée de marche est en moyenne de 10 lieues, environ 40 kms, le général Drouot qui commande l'arrière-garde ne verra pratiquement pas le général Cambronne avant Grenoble. Des estafettes à cheval font la liaison. Drouot est chargé d'assurer la sécurité, et surtout de récupérer les traînards. Il est à noter qu'une trentaine de soldats malades ou épuisés trouveront refuge dans les hospices échelonnés le long du parcours.
CANNES-LE BIVOUAC - MERCREDI 1er MARS
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A cette époque, la route vers Cannes n'est qu'un chemin à peine carrossable, le long de la côte à travers des dunes et des marais. C'est maintenant une quatre voies, longeant la ligne de chemin de fer. Cannes n'est en 1815 qu'un village de pêcheurs. Son petit port sert surtout au commerce des tanneurs et des parfumeurs de Grasse, qui est alors la ville la plus importante. C'est le vieux Cannes d'aujourd'hui, l'ancien Castrum accroché à sa colline du Suquet, qui de sa hauteur domine le port. Le général Cambronne, avec son avant-garde et Pons de l'Hérault, se présente à Cannes vers trois heures et s'annonce comme venant de débarquer de I'île d'Elbe pour rentrer en France avec des congédiés et des malades. Cambronne réquisitionne tous les chevaux de poste sous prétexte qu'il en a besoin pour ses malades. Pendant ce temps, André Pons à la mairie essaie d'obtenir un passeport pour aller à Toulon et à Marseille afin de rallier Masséna commandant la région militaire. A Cannes, on avait d'abord cru à un débarquement de corsaires algériens. L'arrivée de l'avant-garde dissipe les craintes et la foule se presse autour des grenadiers. Le rapport du maire de Cannes, Augustin Poulle, nous dit que Cambronne fait une réquisition pour 12 voitures à 4 colliers dont il exige le récépissé. " Sur environ les 7 heures et demie, il revint faire une autre réquisition pour 3.000 rations de pain et de viandes, prêtes à distribuer à minuit précise, dont il exigea aussi le récépissé. Je fis de suite appeler les bouchers et boulangers, je leur intimai l'ordre de pourvoir: les bouchers dirent que les marchands piémontais étaient arrivés avec des boeufs, qu'il en faudrait trois pour les fournitures. Je leur ordonnais d'en faire le marché et de les égorger de suite, ce qui fut exécuté. J'intimai le même ordre aux boulangers, je nommai douze commis pour faire prendre tout le pain. MM. les adjoints marchaient avec eux . A 11 heures, il y eut 1.700 rations de pain dans le magasin que j'avais assigné. Pour le restant, les commis s'étant divisés dans les quartiers, se portèrent chez les habitants qui se prêtèrent avec bonne grâce. A 1 heure les rations furent à peu près complétées. Dans l'intervalle, vers les 8 heures et demie, un officier vint me présenter une proclamation signée Napoléon avec ordre de lui donner publicité... Vers les deux heures, on vient m'annoncer l'arrivée de Bonaparte qui établit son bivouac sur les sables hors la ville, près de Notre-Dame, où il fit allumer un grand feu qui fut entouré par la troupe et de beaucoup de gens de la ville. Il ne parla à personne, excepté à Mgr le prince de Monaco qui était arrivé la veille vers les cinq heures. Le général Cambronne l'avait consigné dans son appartement avec un piquet, sous la garde d'un caporal. Le prince fut appelé par Napoléon... »
Le prince de Monaco qui avait jusque là refusé de croire à la présence de l'Empereur, témoigne d'un grand étonnement.
- Venez-vous avec nous, Monaco ?  demande l'Empereur en riant.
- Mais, Sire je vais chez moi.
- Et moi aussi ! répond Napoléon
- Je m'en vais me retourner, car votre armée sera plusieurs jours à passer. Peut-être même mon voyage à Monaco est-il inutile et avez-vous déjà fait occuper cette ville ?
- Mais que croyez-vous donc ?
- Mais je suppose que votre armée est de 25 à 30.000 hommes, que vous avez eu le secours des Anglais et des Autrichiens.
- Je suis surpris de votre opinion, vous qui avez servi sous mes ordres. Croyez-vous que je vienne souiller le sol de la patrie avec des troupes étrangères ? Dans une heure vous pourrez continuer votre route, car mon armée consiste dans ce bivouac.
- Mais que prétendez-vous avec si peu de troupes ?
- Etre sur mon trône avant la fin du mois !
L'Empereur prend à part le prince, cause une demi-heure avec lui, demandant des nouvelles de différentes personnes, hommes et femmes, de la cour. Ensuite il donne des instructions au général Cambronne, qui prend les devants avec 100 grenadiers et 4 chevau-Iégers, pour former l'avant-garde, avec ordre de préparer des vivres à Grasse.
Malgré l'ordre de ne laisser partir personne de Cannes, un gendarme s'échappe au galop vers Fréjus pour prévenir le Préfet du Var, M. de Bouthillier. Heureusement pour les Elbois, ce gendarme ayant remarqué que les 4 canons étaient placés sur la route de l'Estérel, donne comme indication que l'expédition se dirige sur Marseille où commande le maréchal Masséna ancien compagnon de Bonaparte.
Il y a aujourd'hui à Cannes une rue Bivouac-Napoléon, il y avait à la place de ce quartier cossu, des dunes désertes, où les hommes fatigués par la traversée et la marche se sont endormis dans leurs couvertures après avoir mangé le pain de maître Poulle et la viande grillée au grand feu de bois. Les factionnaires veillent aux quatre coins du camp, qui occupe un quadrilatère formé par les actuelles rue d'Antibes, rue Buttura, rue Bivouac-Napoléon et rue des Belges. La tente de l'Empereur est dressée à l'emplacement du n°15 de la rue des Belges. La chapelle Notre-Dame de Bon Voyage a été remplacée par une église, sur laquelle est apposée une superbe plaque mémorisant la halte nocturne. Cette plaque commémorative de belle taille pourtant, attire le regard de peu de monde, plus intéressé par le Palais des Festivals et son célèbre tapis rouge cher aux cinéphiles...
Le 25 mai 1815, le beau-frère de Napoléon, Joachim Murat, dépossédé de son royaume de Naples, débarquera au même endroit.
CANNES - GRASSE - SERANON - JEUDI 2 MARS
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A Grasse, le bruit d'une descente de corsaires s'était répandu comme à Cannes. Mais bientôt le maire, le marquis Lombard de Gourdon, est renseigné du débarquement de Napoléon par une estafette venue d'Antibes. Il réunit dans la nuit le conseil municipal et fait appeler le général Honoré Gazan qui, depuis peu en demi-solde, s'est retiré dans sa ville natale. Gazan, général de division, un des héros d'Iéna, la veille à dix heures du soir avait expédié une dépêche au maréchal Soult ministre du roi, pour lui apprendre la nouvelle du débarquement. A la mairie de Grasse, on parle d'armer la population pour former une centaine de partisans qui, en supposant qu'il prenne la route de l'Estérel, iraient s'opposer au passage de l'usurpateur ou, s'il voulait marcher sur Grasse, résisteraient depuis les remparts. Gazan demande l'état de l'armement pour résister : le maire répond qu'on a trente fusils dont cinq en état de marche et pas une seule cartouche. Honoré Gazan conseille donc à ce grand guerrier de se tenir tranquille. Lui-même trouve quelque chose d'urgent à faire dans sa maison de campagne, à Mougins. Le général Cambronne avec son avant-garde arrive à Grasse entre 6 et 7 heures. On se met aux fenêtres et bientôt quinze cents personnes sont réunies sur le Cours et sur la place du Clavecin où était dressée la guillotine pendant la Révolution. Le maire Lombard de Gourdon lui demande au nom de quel souverain il fait ses réquisitions. Cambronne lui répond : 
- Au nom de l'Empereur Napoléon !
- Nous avons notre roi et nous l'aimons.
- Monsieur le maire, je ne viens pas pour faire de la politique avec vous, mais pour demander des rations parce que ma colonne sera ici dans un instant.
Bon gré, mal gré, le maire s'exécute. « Rien, pourtant, dira plus tard Cambronne devant le conseil de guerre, n'était plus facile que de me tuer, seul au milieu de la population. Il ne suffit pas de dire : j'aime le roi, il faut le montrer.» Apprenant que le général Gazan est à Grasse, Cambronne se rend chez son divisionnaire, rue Neuve, aujourd'hui rue Gazan, tambourinant à la porte. La cuisinière passe la tête par la fenêtre et lui dit :
- Le général est parti dans sa campagne !
- Dis-y que c'est un jean-foutre !
Et il ajoute le mot de Cambronne si célèbre.
Il y a à Grasse un descendant de Cambronne, le docteur Alain Cambronne, qui a raison de dire que la Route Napoléon aurait pu s'appeler la Route Cambronne tant son ancêtre sera déterminant dans le bon déroulement de cette épopée. Pierre Cambronne, ce breton têtu, général aux 17 blessures, est une des figures légendaires de la Révolution et du 1er Empire, pas rancunier, après avoir répondu Merde aux Anglais, laissé pour mort à Waterloo, il épousera une Anglaise pour mourir dans sa bonne ville de Nantes à 72 ans !
Cambronne, suivant les ordres, cherche ensuite, rue de l'Oratoire, l'imprimeur Dufort, pour faire imprimer les proclamations afin de les répandre plus facilement. Il passe devant la maison de Guidal, général resté républicain, qui a fait partie de la conjuration de Malet en octobre 1812, avec le général Lahorie, le parrain de Victor Hugo, son vrai père dit-on. Les conjurés ont mis à mal le pouvoir durant toute une matinée, déclarant que l'Empereur est mort durant la campagne de Russie. Le gouvernement à Paris, se laisse berner, prêt à accepter un gouvernement provisoire, sans penser que l'Empire est héréditaire, qu'il y a le fils Napoléon II, une Régente sa mère.
« Ah ! Celui-là on n'y pense jamais ! » Rentrant de Moscou, Napoléon est à peine étonné de voir son pouvoir si fragile.

Pour l'instant, Napoléon, encore à Cannes, est constamment tenu au courant par les estafettes de liaison, les lanciers Polonais en l'occurrence. Rassuré sur la marche, l'Empereur fait lever le camp. Partant du bivouac, ils prennent l'actuelle rue maréchal Joffre et le carrefour Carnot. L'authentique route Cannes-Grasse de l'époque s'écarte peu de la RN 85 entre Rocheville et Mougins, passant comme maintenant par le Val de Mougins et Tournamy. La troupe s'arrête à Mouans-sartoux, sur la place de la mairie, en attendant les nouvelles de Cambronne parvenu à Grasse. A Cannes, Napoléon avait pris un guide qui avait servi au siège de Toulon et à l'Armée d'Italie. Ce guide rusé , très madré, lui donne toute espèce de renseignements sur les hommes et l'esprit public. Il lui apprend que le maire et la municipalité sont mal intentionnés, mais « le peuple est bon et si l'Empereur faisait un signal, le peuple se lèverait et égorgerait la douzaine d'aristocrates qui dominent la ville ». Cambronne et ses 100 grenadiers d'avant-garde s'organisent place de la Foux où ils forment les faisceaux. La place de la Foux se trouve en dehors de la ville, sous les remparts qui, à cette époque enferment la ville. C'est une sous-préfecture de 12.000 habitants, ce qui est important en 1815. C'est en fait la première vraie ville que les Elbois rencontrent depuis si longtemps ! ...Sur la place de la Foux a été construit en 1767, ce grand lavoir en forme de U, au milieu d'une aire plate et gazonnée, lavoir qui servait à laver le linge, mais aussi à abreuver les bêtes. En été on s'y baignait. C'est une aubaine pour nos soldats ! Ceux qui sont montés,à pied, de La Paoute à Grasse comprendront. « Ville industrielle et commerçante, disait déjà Bouche au XVII° siècle, surtout à cause de ses cuirs qu'on tanne avec de la poudre de lentisques. Beaucoup d'hôtels particuliers : l'hôtel de Théas, qui fut gouverneur français de Francfort-sur-le-Main que le jeune Goethe côtoya dans sa jeunesse; L'hôtel de Pontevès où Pauline Bonaparte devenue princesse Borghèse fit quelques séjours; l'hôtel de Cabris un « Petit Trianon » qu'a fait construire la soeur de Mirabeau; la Villa Maubert où s'est réfugié le peintre Fragonard pendant la Révolution et dont l'escalier est décoré de motifs révolutionnaires, faisceaux, haches, bonnets phrygiens, peints par le grand Honoré Fragonard et son fils Evariste, tous deux nés à Grasse; l'hôtel de Luce où séjourna D'Artagnan lors de la guerre de succession d'Espagne; l'hôtel de Villeneuve de la famille de l'amiral vaincu à Trafalgar; l'hôtel Russan de Thorenc, où vint résider Catherine de Médicis. Sur la place aux Aires, il y a l'Hôtel du baron Isnard, parfumeur et ancien député du Var, à la Législative et réélu à la Convention dont il sera quelque temps le président. Il est un des chefs des Girondins, violent orateur et « le plus bel appétit de la Convention ». Il est devenu mystique, on dit qu'il va prier chaque année, le 21 janvier ,sur la place de la Concorde, à l'emplacement où Louis XVI a été guillotiné. Ce remords ostentatoire évita à ce régicide d'être proscrit à la Restauration, lui qui est Baron d'Empire.
Grasse est restée une ville industrieuse et commerçante, idéalement située entre mer et montagne, entre Comté de Nice et les plaines du département du Var. Le centre historique est un livre d'histoire qu'on feuillette à chaque coin de rue. Napoléon, à cheval au milieu de son bataillon avance sur Grasse par la montée Sainte Lorette. Il passerait aujourd'hui devant le McDo, et prendrait l'avenue sidi Brahim... Il connaît bien cette ville, il y venait souvent du temps du Château Salé, à Antibes, en 1794, du temps de son amitié avec l'ancien maire de Grasse, le conventionnel Ricord et surtout avec Mme Ricord avec qui il vécut une idylle... Sa soeur Pauline est la marraine d'un des enfants du sous-préfet M. Bain. Il est environ 10 heures quand il contourne la ville par le Jeu de Ballon qui longe les remparts et qui deviendra le boulevard du même nom. Les grognards de l'avant garde font « par la droite, dégagez les faisceaux ! », quittent le lavoir de la Foux pour laisser place aux arrivants. Ils montent par le Chemin des Carrières au plateau Roquevignon.
En l'an X (1802) le premier consul Bonaparte avait ordonné de rendre praticable pour les voitures le chemin de Grasse à Sisteron, marqué sur la carte de Cassini. Ses instructions n'ont pas été exécutées : la route a été commencée à l'autre bout à partir de Sisteron jusqu'à Digne. Pendant l'Empire et toute la Restauration, Castellane ne figure pas comme relais dans le livre de Postes et des Itinéraires. Napoléon croyait cette route faite. Effectivement, elle a été tracée, mais non achevée. L'avenue Thiers, la route pour aller à Nice, n'existait pas à l'époque, donc, faute de route carrossable, il faut abandonner sur la place de la Foux les 4 canons, la berline de voyage réquisitionnée à Golfe-Jouan,et les voitures achetées à Cannes. Napoléon les fait remettre à la municipalité, en recommandant bien de les envoyer à l'arsenal d'Antibes. La place aux Aires est à deux pas. L'Empereur descend avec son état-major à l'Hôtel du Dauphin au n° 27 de la place pour faire le point, ancienne Librairie Sous les Arcades. Il est encore temps de prendre la route de Draguignan et de passer par la vallée du Rhône. Mais, Napoléon garde un mauvais souvenir de sa traversée de la Provence, l'an passé pour se rendre de Fontainebleau à Fréjus. Il y avait été conspué et menacé de mort.
D'autre part, il a dans son état-major, le chirurgien de la garde Apollinaire Emery, originaire de Grenoble, qui est passé dans sa ville pour rejoindre I'île d'Elbe. Il a fait son rapport à l'Empereur indiquant que l'état d'esprit des montagnards de la Haute Provence et des Dauphinois différe des habitants du littoral et des riverains du Rhône. Ces populations peu nombreuses et disséminées, communiquant difficilement entre elles à cause des montagnes et du manque de chemins, ne peuvent guère être averties ou rassemblées.
La décision est prise de prendre par la montagne, il faut aller au plus vite. Un autre problème gêne Napoléon. Le docteur Cabanès dans son livre « Au chevet de l'Empereur » signale que Napoléon est pris de maux de ventre et souffre d'une crise d'hémorroïdes. Tenir à cheval le fait soufrir, il fait donc chercher un tilbury, sorte de cabriolet à deux roues. Mais on n'en trouve pas et pourtant il y avait celui que sa soeur Pauline avait laissé à la sous-préfecture, précision que l'on doit à Frédéric Masson.
On achète des chevaux et des mulets. Une vingtaine de lanciers sont montés ainsi que quelques officiers sans troupe. On charge le trésor et les bagages sur des mulets. On monte donc par le chemin des Carrières, un vrai mur tant il est raide et par l'ancienne route de Cabris, on arrive au plateau Roquevignon, où l'on marque une halte pour rassembler les retardataires et manger la soupe avant d'attaquer la montagne. Quand le comte de Bouthillier, le préfet du Var apprendra que la troupe a pris la route de St Vallier, il dira : « Ils sont pris car il n'y a pas de route.» Paul Sénéquier, juge de paix à Grasse à la fin du 19° siècle, a beaucoup écrit sur l'histoire locale et a noté : « Plusieurs vieillards, il y a plus de 50 ans, m'ont dit avoir vu l'Empereur là, à Roquevignon, au milieu de l'aire à fouler le blé, assis sur une pile de sacs de soldats, déjeunant d'un poulet rôti. Un de ces vieillards lui avait offert un bouquet de violettes que Napoléon accepte gracieusement, ce qui lui vaudra le surnom de « Père la violette ». Pendant ce temps, les officiers se rasaient dans la petite cour située en avant de la bergerie voisine, à l'aide de miroirs de poche accrochés aux murs.» Peyrusse note dans ses mémoires que c'est à ce bivouac qu'on entendit pour la première fois des « Vive l'Empereur ! » criés par des Français...
Des hauteurs de Grasse, on voit la flottille, déjà sortie du Golfe-Juan, qui repart pour I'île d'Elbe. Le brick l'Inconstant ira radouber à Naples et reviendra à Toulon ensuite. Les autres bâtiments retourneront à Porto-Ferrajo. Madame Mère et Jérôme, ex-roi de Westphalie, débarqueront eux aussi à Golfe-Jouan dans moins d'un mois. On aperçoit vers l'ouest le village de Cabris, un village provençal authentique, perché et encore préservé où règne la douceur de vivre. Ce village est célèbre pour avoir abrité tous les grands écrivains de la première moitié du XX° siècle. On peut y voir encore la maison d'Antoine de Saint-Exupéry ou celle d'André Gide.
Le général Drouot et l'arrière-garde restent à Grasse pour régler les derniers détails. L'imprimeur Dufort, rue de l'oratoire, par crainte d'être soupçonné n'a pas terminé son travail. Sans les affiches, Drouot quitte la ville dans l'après-midi. De nos jours quelques Grassois fiers-à-bras, affirment que Napoléon ne s'est pas arrêté dans leur ville. Et pourtant, il a bien fallu qu'il s'y arrête puisque c'était un cul-de-sac et on peut affirmer, en comptant l'avant-garde, le bataillon, puis l'arrière-garde, qu'il y a eu des soldats toute la journée dans cette bonne vieille cité médiévale, pour le grand bonheur des commerçants. Et ce sera le même scénario dans chaque ville traversée.

Le général Cambronne en avant-garde, quitte Roquevignon vers midi, pour St Vallier. Le chemin est très mauvais, il fait chaud, bien qu'on soit bientôt à 700 mètres d'altitude. Grasse est à une altitude moyenne de 350m. Le plateau Roquevignon, côte 544, s'appelle maintenant le plateau Napoléon. C'est une halte agréable pour les touristes qui arrivent ou quittent Grasse. Il y a sur le site un relais informations service de l'A.N.E.R.N. L'Empereur, avec son bataillon de la Vieille Garde, se met en route vers 2 heures de l'après-midi.
Ils sont à St Vallier-de Thiey vers les 4 heures et font une halte d'une demi-heure sur la place de l'Apié, prés de l'église. L'Empereur s'arrête à l'ombre du grand orme abattu par le vent en 1867, remplacé en 1869 par la colonne napoléonienne actuelle. Un siège en pierres de taille entourait l'arbre devenu historique et sur l'une d'elles on grava l'inscription suivant : « Napoléon s'est assis ici, le 2 mars 1815 ». L'aubergiste Réal se présente en offrant des rafraîchissements Le verre dans lequel bu l'Empereur a été longtemps conservé comme un précieux souvenir, puis iI fut vendu une centaine de fois ! ...
A l'annonce de l'arrivée des troupes, la population redoutant surtout une razzia de ses mulets, les avait par précaution enfermés dans des bergeries éloignées. En l'absence du maire, Napoléon fait demander l'adjoint M. Chautard pour lui demander de lui procurer des montures. Sur quoi l'officier municipal lui répond:
- Mais Sire, tous les mulets sont en Champagne !
Napoléon sans rire :
- Bougre, qu'ils sont loin !
Ce ton familier rassure Chautard :
- Pardon mon Empereur, je veux dire à la campagne !
L'entretien se poursuivant sur ce ton, l'adjoint fait chercher par le garde champêtre tous les mulets que les habitants voudront bien louer, à bon prix d'ailleurs. On mettait de l'importance à remonter tous les cavaliers. Ici il faut maintenant quitter la RN 85, qui monte par le Pas de la Faye qui n'existait pas et qui est devenue un vrai boulevard. A la sortie de St Vallier, en laissant le Grand Pré à droite, il faut prendre cette petite route à gauche près du jeu de boules. Cette route est à peu près tout ce qui reste d'authentique sur la Route Napoléon. Elle est restée à l'identique et, bien sûr, on ne peut que la faire qu'à pied. Avis aux courageux et aux puristes ! Il faut compter deux bonnes heures de marche pour arriver à Escragnolles. J'ai fait cette marche. II est difficile de décrire les sensations qu'elle procure tant le paysage est splendide, une merveille de nature sauvage, chargée d'émotions. On entend les grognards souffler dans la rude montée, on voit le long ruban des bonnets d'ours courbés s'effilocher dans les calcaires. On est à plus de 1.000 mètres, le froid est tombé avec la nuit qui commence. La neige fondue maintenant et tous ces cailloux dans ce décor irréel ! Mais où sommes-nous ? Nulle part et ailleurs. On a parcouru tous les sentiers d'Europe, de Madrid à Moscou, alors...  Le Petit Tondu, là-bas, devant avec son petit chapeau. Le voilà qui marche à pied maintenant. A quoi pense-t'il à cette heure ? A son fils sûrement, il en parle tout le temps, il a son portrait dans la poche. Ah que ne ferait-on pas pour lui... Tiens une chapelle dans ce désert de pierres ! C'est la chapelle St Martin. On est bientôt à la Colette ! Enfin une halte...

La chapelle St Martin est toujours là, elle n'a plus de toit, mais que c'est beau ! Ceux qui ont suivi en voiture peuvent, non, doivent s'arrêter à la Colette et admirer ce paysage vraiment grandiose... Halte obligatoire. C'est là qu'à lieu tous les ans en juin la célèbre Fête de l' Ane d'Escragnolles. Napoléon s'y arrête ce soir là. Il rencontre l'abbé Chiris qui l'attend avec un buffet bien garni, sur la petite place de la mairie près de sa petite église. Napoléon enchanté déclare : « Mais c'est une mître qu'il faudrait à ce saint homme, ce qui lui irait mieux qu'un tricorne.» Pendant ce repas, on ne parle guère que du général François Mireur qui est né à Escragnolles. Commandant la cavalerie de la division Desaix, il a été assassiné durant la Campagne d'Egypte en 1798, haché à coups de cimeterres par une troupe de Bédouins, écrit Marcel Dupont. D'abord étudiant en médecine à Montpellier, puis volontaire dans le bataillon de l'Hérault, et général de brigade au bout de cinq ans, il est considéré comme l'un des grands chefs de l'avenir. C'est lui qui fait connaître La Marseillaise quand il monte à Paris avec les Fédérés en juillet 1792 pour la Fête de la Fédération au Champ de Mars. Ce que rappelle cette magnifique plaque en faïence haute en couleurs que l'on doit à l'artiste Grassois Gérard Buisson.
A la suite de cet entretien, Napoléon demande à rencontrer la mère du Général Mireur. Il se fait conduire chez elle. La pauvre vieille dame est aveugle, après quelques paroles de réconfort, l'Empereur lui glisse dans la main un rouleau de pièces d'or. En partant pour Séranon, il fait ses adieux à l'abbé Chiris en lui laissant pareillement quelques pièces.
Au-delà d'Escragnolles, la nuit est tombée. On rencontre une file de muletiers de Caille qui s'en vont porter du blé au marché de Grasse. L'Empereur les oblige à empiler sur le chargement de leurs mulets, les sacs de ses soldats harassés et à rebrousser chemin jusqu'à Séranon. Pourquoi Séranon ? Parce qu'il y a là une bastide qui appartient au maire de Grasse Lombard de Gourdon.
M. de Gourdon, comme beaucoup d'autres au cours de cette épopée, a d'abord pensé que « le tigre échappé de sa cage » n'arriverait pas chez lui, mais bien forcé de reconnaître son erreur, tourne la veste et juge plus prudent de se ranger du côté du « tigre ».
Il convient donc avec Cambronne, responsable du logement, de mettre à sa disposition son château de Broundet à Séranon.
Pour ce faire, le maire dépêche un serviteur auprès de son intendant Biaise Rebuffel, lui faisant dire de préparer les feux et le couchage, puis de se présenter à l'Empereur dès son arrivée afin de lui offrir l'hospitalité.
Il neige de plus en plus fort au col de Valferrière à plus de 1000 m d'altitude. Les troupes en arrivant à séranon apprécient la chaleur du bivouac. Il est 10 heures du soir et ils ont marché plus de 50 kms. Depuis Escragnolles, le chemin est mal tracé et on marche souvent dans un ruisseau à moitié gelé. Peyrusse note : « La nuit rendit notre marche dangereuse. Epuisé de fatigue, je m'endormis sur le bord du chemin, et ayant rejoint le convoi, j'aperçus sur les côtés du sentier une caisse d'or qu'un mulet avait laissé choir. Je récupérais cette caisse après avoir cherché de l'aide à Escragnolles.» C'est au col de Valferrière que Guillaume Peyrusse situe l'entrevue de Napoléon et la vieille bergère : « L'Empereur s'est réfugié un instant dans une espèce de chalet occupé par une vieille femme et quelques vaches. Tandis qu'il ranimait ses forces devant un feu de broussailles, il demanda à cette femme :
- Avons-nous des bonnes nouvelles du roi ?
- Du roi ! Vous voulez dire l'Empereur ?
Cette habitante des Alpes ignorait donc que Napoléon avait été précipité du trône et remplacé par Louis XVIII ! Les témoins de cette scène furent frappés de stupeur en présence d'une aussi étrange ignorance.»
C'est Pauline Carton qui joue le rôle de cette bergère dans le film de Sacha Guitry...
Le général Drouot et l'arrière-garde composée du corps des chasseurs couchent à St Vallier-de Thiey.
SERANON - CASTELLANE - BARREME - VENDREDI 3 MARS
Vign_broundet
Pendant que les feux du bivouac consument toute la provision de bois de Blaise Rebuffel, Napoléon s'installe. Il dort tout habillé sur un fauteuil, accoudé sur une petite table. Ce fauteuil et cette table sont toujours à Séranon, propriété de la famille Rebuffel. Au petit matin, l'Empereur oublia un flacon d'eau de Cologne, ce qui à ce jour a donné une eau de lavande intitulée « Oubli de Napoléon - 2 mars 1815 Séranon ». En partant, le matin de ce vendredi 3 mars, l'Empereur emmène avec lui Blaise comme guide dans la marche jusque Castellane. Pas très content d'avoir perdu sa provision de bois, Rebuffel réussira à s'éclipser sous prétexte d'assister sa femme en couches. Il aura un fils, Isidore, qui deviendra curé de St Auban. Le château de Broundet est aujourd'hui en ruines et c'est bien dommage que le but de cette première étape ne soit pas mieux marqué. Il y a à Séranon d'autres sites à visiter comme cette chapelle Gratemoine qu'on ne peut pas manquer puisque seule au milieu de la vallée. Elle apparaît minuscule cette chapelle romane dans son écrin de verdure au beau milieu de ces impressionnantes falaises calcaires aux pics dénudés. Il y avait là au XII° siècle une église de belle importance. Il y a encore une belle ruine de la chapelle gothique Notre-Dame (XV°), la glacière de la Clue où les habitants entreposaient l'hiver de la glace qu'ils allaient vendre l'été à Grasse, le moulin à blé, actuellement un restaurant, dans le quartier de Deffand, le relais de poste du XVIII°. Séranon est un village « descendu » dans la plaine dominée par le Vieux Séranon, les vestiges et autres monuments y sont donc nombreux comme les sites préhistoriques à la Doire et Frontignac. Le Camping-Caravaneigne de Séranon est une halte idéale pour sillonner la région qui mérite un long séjour, les excursions ne manquent pas.

Les grognards n'ont pas le temps d'admirer le paysage... Ils arrivent, par le village de la Doire, au Logis du Pin où la route quitte les Alpes Maritimes pour entrer dans le département du Var qui pousse là une corne dont la traversée dure à peine quelques minutes. A ce carrefour, à gauche le relais-château de Taulanne, à droite la route de St Auban. A St Auban, il y a un passionné de l'épopée napoléonienne qui possède une merveille de petit musée personnel, c'est un régal : figurines, armes, coiffures, statues, des bouquins et des affiches jusqu'au plafond ! Le docteur Auguste Pagès, c'est de lui dont il s'agit, ne veut pas qu'on en parle. Nous n'en parlerons donc pas. On file la route, on monte le col de Luens qui culmine à 1.054 mètres et on se fait un petit plaisir. On quitte la nationale pour traverser le village de La Garde. C'est un village du XII° siècle environ : ce village de 80 habitants avait autrefois un château qui « gardait » Castellane distant de 5 km. Sur les vestiges du château (armoiries de 1117), détruit à la fin du XIII° siècle, on a construit l'église Notre-Dame des Ormeaux. Il garde toujours son aspect petit village du moyen âge avec ses rues très étroites, sa fontaine centrale.
On se laisse descendre. Au détour d'un virage, on découvre au loin le Roc de Castellane. Le Roc est un pavé calcaire de 184 m. Avec au sommet la chapelle Notre-Dame du Roc, à ses pieds la silhouette gracile du pont romain « le pont de la Reine Jeanne ». C'est un des plus beau site de la Haute Provence.
Avec ses ruelles ponctuées de portes, de placettes, de fontaines, Castellane est un petit paradis. Vous avez noté qu'il n'y a que des petits paradis sur cette Route Napoléon depuis que l'on a quitté les fastes du littoral. Mais voyez à côté de l'hôtel de ville, la Tour de l'Horloge et son campanile. Elle ouvre sur la rue St Victor d'où, en contrebas, on aperçoit la Tour Pentagonale surplombant les vestiges des remparts qui fermaient la ville au XIV° siècle. Par la rue du Mitan vous arriverez à la Fontaine aux Lions. Si vous avez de bonnes jambes, vous pourrez visiter la chapelle au sommet du Roc. Prenez d'abord la clef au presbytère.
Au temps des Romains, Castellane s'appelait « Salinae », en raison des sources qui donnaient du sel et dont l'exploitation s'est poursuivi jusqu'au Moyen Age. Important le sel, quand on n'avait pas d'autres façons de conserver les aliments ! Les invasions des Sarrasins avaient contraint les habitants à se réfugier sur le Roc, d'où le nom de Petra Castellana. Sous la conduite de Boniface de Castellane, la population parvint à se délivrer des envahisseurs, la chapelle fut édifiée pour célébrer la victoire. La ville s'est déployée au pied du Roc et la place Marcel Sauvaire est un lieu de rendez-vous agréable avec ses terrasses, ses boutiques et ses joueurs de pétanque. Pour l'instant, nous passons sur le pont de la Reine Jeanne avec un petit frisson dans le dos, parfois des pierres se détachent du Roc ! Napoléon y est passé, on y passe ! Ce pont romain à lui seul vaut le détour, on a toujours l'impression qu'il va s'écrouler... depuis des siècles... Il enjambe le Verdon et qui dit Verdon, pense Gorges du Verdon. Oui ! Encore une visite qui s'impose, encore un séjour prolongé... c'est à 5 minutes et sachez qu'au bout, il y a Rougon et son miel, le Point Sublime qui est sublime, La Pallud et ses Indiens, le lac Sainte-Croix, la merveille des merveilles Moustier Ste Marie, ses faïences, son étoile brillante sur une chaîne de 227 m. entre deux pitons rocheux. C'est aussi Aiguines, son château au toit multicolore. Les Gorges du Verdon, le Colorado en Europe...

Napoléon a d'autres soucis en tête. Le général Cambronne à son habitude est déjà chez le sous-préfet François Francoul, un des rares à ne pas prendre la fuite. Il est vrai qu'il a été destitué par Louis XVIII. Il attend donc son successeur M. De Villeneuve-Bargemon, pas pressé de prendre son poste, qui est toujours chez lui dans le Var. Au même moment arrive le courrier de Draguignan, annonçant le débarquement de Golfe-Jouan, disant que les Elbois doivent coucher vers Fréjus et demandant des gendarmes avec des volontaires pour marcher sur leurs flancs. Le sous-préfet en sursis ne fait donc aucune difficulté pour accueillir Cambronne et son avant-garde. La municipalité, les habitants et les officiers réformés s'empressent de pourvoir aux besoins de la troupe. Les rations de pain, de vin et de viande sont rassemblées sur la place, actuellement place Marcel Sauvaire. On y ajoute quelques charrettes et bien sûr des mulets.
L'Empereur arrive pour déjeuner à la sous-préfecture, avec M. Francoul et le maire M. St Martin qui est sans influence, car précédé d'une solide réputation d'assoiffé. Devant les bonnes dispositions du sous-préfet, Napoléon demande des passeports en blanc : l'un est destiné à Pons de l'Hérault qui, de Digne, partira à Marseille pour entrer en contact avec le maréchal Masséna, qui le fera mettre tout simplement en prison, au château d'If... L'autre est pour le chirurgien de la Garde Emery, qui est Grenoblois : « Prends les devants, lui dit l'Empereur. Va à Grenoble et dit que j'arrive ». Pour remercier Fracoul, l'Empereur lui promet de le nommer préfet de Digne, dès son arrivée à Paris.
Napoléon prend un instant de repos. En ville la troupe et la population fraternisent. A 2 heures on se remet en marche dans les traces de Cambronne car il faut monter le col des Lecques enneigé à 1.148 m. d'altitude. Le piqueur St Denis a écrit : « Pendant ces 4 jours, nous eûmes beaucoup de peine, nous n'étions pas faits à la fatigue. Les deux premières journées nous coûtèrent le plus; à tout moment c'étaient des montagnes dont il fallait atteindre la cime, ou des défilés assez étroits qu'il fallait passer; tantôt la neige, tantôt la boue nous empêchait d'accélérer le pas.» St Denis, originaire de Versailles, n'est plus piqueur, c'est à dire aux écuries. Il a remplacé le Mameluk Roustan au service intérieur. Surnommé le Mameluk Ali, bientôt il sera, à Ste Hélène, bibliothécaire, car il est instruit et ses mémoires publiées en partie, en 1826 sont riches en renseignements originaux. On n'a pas la même vue des choses depuis l'office...
Les kilomètres qui suivent vont être parmi les plus difficiles. Il n'y a pas de routes si ce n'est un sentier muletier qui est l'ancienne «via salinaria»«, la route du sel, le sel si important à ces époques. Il neige à gros flocons. La troupe s'étire sur une grande distance. Les hommes sont obligés de marcher les uns derrière les autres. Le commandant Laborde racontera : « notre petite colonne tenait l'espace qu'auraient occupé 20.000 hommes sur la route.»
Défilé rocheux grandiose, les clues de Taulanne vont vous laisser pantois. Un peu plus loin, le village de Senez. C'était le plus petit évêché de France et un pont romain lui aussi vous invite à vous y attarder. La cathédrale romane en témoigne encore. Par la vallée de l'Asse, nous voilà à Barrême. Le général Cambronne, arrivé à 18 heures, après une étape de 46 km, a fait le logement dans la maison du juge Tartanson. Quand Napoléon arrive à 20 heures, les rues sont illuminées et tout la population l'attend. Le maire M. Béraud vient au-devant de lui et le mène à la maison du juge et, rapporte Fabry dans son Itinéraire : « Bonaparte y trouva la femme de Tartanson fils et la salua gracieusement. Cette dame répondit :
- Monsieur, j'ai l'honneur de vous saluer .
Cambronne la prit par le bras et lui dit d'un ton de reproche :
- Madame, c'est L'Empereur !
Napoléon s'entretient longuement avec le juge, le maire et ses conseillers et ils repartirent tous «plein d'enthousiasme et de dévouement pour sa cause».
Pendant ce temps, Cambronne s'occupe du repas que Napoléon partage avec Bertrand et Antoine Drouot qui ne s'étant pas arrêté, a rallié, laissant son arrière-garde à Castellane. Cambronne fait fonction de maître d'hôtel et pour compléter le menu familial, soupe de légumes et plat de morue, commande à l'Auberge du Cheval-Blanc, tenue par Joseph Abbès, un rôti de chevreau ainsi que des fruits et des confitures. Voulant dédommager le juge Tartanson des frais occasionnés, celui-ci répondra : « Je ne suis pas aubergiste, je ne fais pas de note ! ». Pierre Cambronne laisse cinq napoléons sur la table avec un papier spécifiant de donner dix francs aux domestiques.
La maison du juge Tartanson existe toujours. Il y a une petite plaque sur le pignon pour rappeler cette nuit. La maison possédait une tour qui en faisait la plus cossue du village. Cette tour a été supprimée pour élargir la route. Barrême est resté un village à l'écart de la route, sa particularité est d'être dans le territoire de la réserve géologique des Alpes de Haute Provence. Amateurs de fossiles, vous ne manquerez pas de visiter dans la rue Principale, le musée de M. Louis Maurel, dont les collections privées représentent plus de 40 ans de recherches. Nous sommes ici dans la vallée de l'Asse, haut lieu de la Résistance, en 1944. Sur la place de l'église vous trouverez le Chemin Napoléon qui vous conduira vers le Col de Corobin, mais vous devrez abandonner votre véhicule. Dans le cas contraire reprenez la RN 85. Vous longerez alors le chemin de fer de Provence. En effet le Train des Pignes vient parfois faire un bout de conduite à la Route Napoléon. A travers les clues de Chabrières, il joue à cache-cache avec elles.
BARREME - DIGNE - MALIJAI - SAMEDI 4 MARS
Vign_taulane

A 6 heures, départ de l'Empereur qui va franchir à nouveau 27 km de sentiers muletiers. Le général Cambronne avec son avant-garde est parti dans la nuit, guidé par un vieux grognard en retraite nommé Garron, qui va le diriger jusqu'au col de Chaudon. Peyrusse a conté cette marche : « De Barrême, nous nous mîmes en route pour nous diriger sur Digne. Le froid était vif, le verglas rendait notre marche très pénible et périlleuse. Nous nous réchauffions au feu des charbonniers que nous trouvions dans ces montagnes. Ils étaient stupéfaits d'étonnement. Ils contemplaient Sa Majesté la bouche béante. L'Empereur marchait à pied, le bâton en main ne l'empêchait pas de glisser et de tomber. " A la bonne heure, il ne faut pas que notre petit caporal se donne une entorse aujourd'hui ! " Dit un grenadier. Cette boutade ne déplut pas à Sa Majesté. Elle en rit.» C'est dans le passage d'un de ces sentiers difficiles, plusieurs heures après le passage de Napoléon, qu'un mulet chargé de lourdes caisses, perd pied et tombe dans le ravin. Sous le choc une caisse s'ouvre et 200.000 livres en pièces d'or s'éparpillent dans la neige. Le trésorier Peyrusse en récupère une partie, mais les habitants du pays en retrouveront encore les jours et même les années suivantes dans le torrent où les pièces ont roulé dans les creux des rochers. Il est à noter que cet épisode de la chute du mulet et des pièces d'or trouve sa place, au gré des bouquins retraçant l'épopée, soit dans la montée sur Escragnolles, soit dans la montée vers Séranon. A vos recherches ! A mi-chemin entre Barrême et Digne, Napoléon fait une halte à La Clappe, hameau de 300 habitants. Il s'installe en face de l'église et un aubergiste lui sert des oeufs et une bouteille de vin de Chabrières. Au moment de payer, l'Empereur trouve le prix demandé trop élevé :
- Les oeufs sont rares par ici !
Il s'entend répondre par l'aubergiste :
- Non, ce ne sont pas les oeufs qui sont rares, ce sont les Empereurs !
Pendant cette halte, le colonel Mallet amène l'abbé Laurent, économe au grand Séminaire de Digne, qui allait dire la messe à Chaudon. Avec le jeune abbé, Napoléon entame une longue conversation montrant sa curiosité constante, sa vivacité d'esprit et l'humour qu'il savait pratiquer à l'occasion. Cette conversation est reproduite in extenso dans le livre de M. De Gombert « Napoléon de I'île d'Elbe à Sisteron » qui m'a aidé dans l'étude de cette partie de l'épopée. L'abbé Laurent conclut : « J'ai passé environ une heure avec Napoléon, j'étais étonné de me trouver en face de cet homme qui avait fait trembler toute l'Europe. Aussi je le considérai attentivement et sa physionomie est demeurée empreinte dans mon âme.»
Digne, préfecture des Basses Alpes à l'époque, n'est plus qu'à 14 kms. La route devient plus aisée. Après Feston et Les Thermes de Digne, la colonne s'organise. En tête, entouré de son état-major, à cheval, l'Empereur fait son entrée par la rue Mère Dieu. Il est midi, c'est jour de marché. Le trajet suivi par la troupe de Barrême à Digne, s'écarte entièrement du tracé de la Route Napoléon. La colonne impériale avait choisi le chemin par le col de Chaudon. L'autre tronçon, actuelle route nationale, construit en 1772, n'avait pas été entretenue pendant la révolution et l'Empire et n'était plus praticable. A Barrême donc, continuez par la RN 85 pour ne pas manquer les clues de Chabrières vraiment impressionnantes et, par chance, pour apercevoir le Train des Pignes. La ligne Nice-Digne-Ies-Bains est le dernier tronçon des Chemins de Fer de Provence. Avant 1925, ce réseau, appelé le Sud France, desservait Nice depuis Meyrargues dans le Var. C'est un réseau métrique, c'est à dire que l'écartement entre les rails est d'un mètre. On l'appelle aussi le Train des Pignes car les chauffeurs alimentaient la chaudière de la locomotive avec des pommes de pins ! A Barrême la petite gare a des airs d'opérette.
A Chaudon Norante, vous pouvez rejoindre l'authentique Route Napoléon par Chaudon et le col de Corobin, ensuite Bédéjun et les Thermes de Digne. Il est évident que la RN 85 ne colle pas parfaitement au parcours, modernité oblige. Les puristes qui désirent effectuer le trajet historique se référent au livre de M. Camille Bartoli « L'Authentique Route Napoléon », qui est également l'auteur d'un ouvrage sur le Maque de Fer. En effet, nous approchons de la région où la route Napoléon croise la Route du Masque de Fer, qui sera emprisonné sur les îles de Lérins. Après Malijai, la Route Napoléon croise également la Route d'Hannibal qui traversa les Alpes avec ses éléphants !...

M. Duval, préfet des Basses Alpes, devenu depuis le département des Alpes de Haute Provence, a reçu la veille, le vendredi 3 mars, une dépêche du préfet du Var, lui annonçant le débarquement de Napoléon à Vallauris, son avance probable en direction des Basses Alpes. M. Duval convoque aussitôt le général Nicolas Loverdo, commandant la garnison du département et le capitaine de gendarmerie.
Loverdo a 132 hommes casernés à Digne et peu de réserve en munitions. Les autres troupes sont disséminées dans les places fortes près de la frontière. Le préfet lui apprend le débarquement de Napoléon à la tête de 2 à 3.000 hommes, ce qui équivaut au nombre de rations demandées par Cambronne à Cannes. M. Duval lui demande si on peut résister. Loverdo répond qu'il n'est pas sûr de ses troupiers car « il y a 4 jours, ils ont crié « Vive l'Empereur », que j'ai voulu en punir 4 et qu'ils m'ont déclaré que si j'en punissais un, je devais les punir tous. Ce qui m'a mis dans l'obligation d'étouffer l'affaire. D'ailleurs il n'y a pas une seule cartouche à Digne, cependant je vais en envoyer chercher à Sisteron et nous essaierons cette troupe.» C'est le récit de Joseph Barbier le secrétaire général de la Préfecture. Le rapport de M. Duval au ministre de l'intérieur est aux archives du département : « Il fut enfin agité la question de savoir si on avait le temps suffisant pour rétablir en arrière de Digne un autre point de résistance à Sisteron, situé au delà d'un pont d'une seule arche, sur la Durance et dominé par une fortification pourvue de quelques pièces d'artillerie abandonnées depuis longtemps et sans affût. Le général commandant du département, seul compétent pour discuter la possibilité de cette mesure, reconnut que lors même qu'on aurait assez de temps et des moyens pour faire sauter le pont, l'on resterait exposés à voir la troupe ou démolir des maisons en tête du pont pour former à l'instant un radeau, ou se diriger en dessus ou en dessous de Sisteron pour y faire la même opération avec d'autres bois ou pour faire usage des bacs nombreux qui s'y trouvent placés.» A la fin de l'entrevue, le préfet et le général Loverdo conviennent de garder le silence sur cette dépêche venue du Var. La nouvelle sera rendue publique, le 4 au matin, par les estafettes envoyées par les maires de Castellane et de Barrême, ce qui rend la nouvelle impossible à cacher. D'ailleurs, l'avant-garde de Cambronne est déjà en vue vers les Thermes de Digne, déjà réputés à l'époque.
Grand branle-bas à la Préfecture, M. Duval a fait appeler la maire M. de Gassendi Tartonne, royaliste convaincu, les adjoints Itard et Estornel, le président du conseil général Hesmiol de Berre, le procureur du roi Vallet, le directeur des postes Roustan. Tous ces notables implorent le préfet « de ne commettre aucune hostilité contre Buonaparte et de ne pas faire saccager la ville ». Le préfet Duval et Loverdo, qui ne tiennent pas à soutenir un siège, n'ont plus de scrupules. M. Duval intelligemment passe le cadeau empoisonné aux suivants et expédie des dépêches au sous-préfet de Sisteron, au préfet des HautesAlpes et au général commandant le département des Hautes-Alpes. Ayant fait son devoir, il se trouve subitement une obligation urgente à Champtercier situé à quelques lieues. Le général Loverdo envoie ses ordres au commandant la place de Sisteron :
« Monsieur le Commandant, dés la réception de ma lettre vous ferez sur-Ie-champ évacuer sur Manosque les munitions de la Citadelle de Sisteron de peur qu'elles ne tombent au pouvoir d'un détachement débarqué à Cannes. Je laisse sous votre responsabilité personnelle la prompte exécution de cet ordre qui ne peut souffrir le moindre délai. J'ai l'honneur de vous saluer. »
Puis il prend la décision de diriger les 3 compagnies du 87° de ligne sur la route de Valensole pour y attendre les renforts prévus de Marseille. Le général Nicolas de Loverdo, grec originaire de Corfou, arrivé en France en 1791, est entré à l'école d'artillerie de Valence. Lieutenant à l'armée d'Italie, grièvement blessé à Wagram en 1809, il sera aide de camp de Masséna au Portugal en 1810, général en 1813, il finira sa carrière en 1830 lors de conquête de l'Algérie.

Il était temps que ces conciliabules prennent fin à la Préfecture, car les Grognards font leur entrée en ville. Enfin une ville, enfin une route, enfin des rues avec, en ce jour de marché, la foule qui acclame et se mêle aux soldats de I'île d'Elbe qu'on interroge avidement.
A midi, Napoléon, à cheval au milieu de ses officiers, en tête de son bataillon, au son des tambours, rentre à Digne par la rue de la Mère-de-Dieu qui débouche aujourd'hui près du Conseil Général des Alpes de Haute Provence. L'Empereur va s'installer à l'auberge du Petit Paris, tenue par Bausset (plaque commémorative sur la maison à l'angle de la rue du Jeu-de-Paume et du Cours des Arès), où il va déjeuner avec les notables. Il demande à voir le préfet, on lui dit qu'il est en tournée... La troupe s'en va bivouaquer sur le Pré-de-Foire et au cours des Arès. Pendant cette halte, Marchand, le premier valet de chambre achète pour l'Empereur un petit chapeau rond, Cambronne fait imprimer les proclamations et le général Bertrand écrit au général Loverdo pour l'engager à se joindre avec ses troupes « aux braves de la Garde Impériale ». Sans résultat. Il écrit également au préfet M. Duval pour lui dire de revenir dans son chef-Iieu, l'Empereur ne désirant « opérer aucun changement dans la marche ordinaire de son administration ». Napoléon ne verra pas l'évêque de Digne, Mgr Miollis resté dans sa cathédrale St Jérôme. C'est cet évêque qui servira de modèle à Victor Hugo pour en faire un personnage des Misérables : Mgr. Myriel. Par contre, Pierre Morin, un ex-forçat que Mgr. Miollis a recueilli chez lui comme factotum, rejoint les soldats et demande à faire partie du bataillon. Il ira jusqu'à Paris et finira à Waterloo : c'est lui le Jean Valjean du roman.

Digne-Ies -Bains est une station thermale depuis que les Romains y on découvert les sources chaudes à 43°, sulfurées, sodiques et calciques. Digne = Din-ia, eau chaude en celtique, est une capitale de la lavande. C'est aussi une ville touristique sous le ciel le plus pur de France. Les amateurs de botanique se feront plaisir au Collège Maria Borrély dans l'ancien Couvent des Cordeliers, une collection de plus de 350 plantes aromatiques, potagères et médicinales sauvages dans une architecture typique des jardins en carreaux du Moyen Age. A St Benoît, la réserve géologique de Haute-Provence propose des visites sur le terrain. Cette région permet de suivre 300 millions d'années sur un espace de 20 km ! Et les amoureux de la montagne ne manqueront pas de faire un crochet par la Fondation Alexandra David Néel : cette femme extraordinaire qui réussit déguisée en mendiant, à pénétrer en 1924 à Lhassa, la ville interdite. Cette exploratrice-écrivain a consacré sa longue vie (elle est décédée à 101 ans) à l'étude et à la découverte du Tibet et ces deux grandes passions ont fait d'elle dans sa jeunesse une anarchiste et dans sa vieillesse une des plus sage libre penseur de notre siècle. C'est la vieille dame indigne de Digne. A l'auberge du Petit Paris, on s'apprête à prendre la route pour Malijai, où Cambronne doit faire le logement. Tant qu'on avait suivi les sentiers des Alpes, on marchait sans ordre, tantôt en groupes, tantôt en file indienne.

A la sortie de Digne, l'Empereur divise sa petite armée en 3 groupes échelonnés. En têten le colonel Mallet avec les 3 compagnies de chasseurs à pied de la vieille garde, les marins et les lanciers polonais, montés ou non montés. La plupart trouveront des chevaux entre Digne et La Mure. Ensuite vient le capitaine Loubers avec 3 compagnies de grenadiers, les canonniers et une trentaine d'officiers sans troupe. C'est dans ce groupe que se trouve l'Empereur, l'état-major et le trésor. Ferment la marche les fusilliers du bataillon Corse du commandant Guasco. Le général Drouot, avec un peloton, demeure en arrière-garde. Il reste à Digne quelque temps pour attendre que l'imprimeur ait fini son travail.
On passe la Bléone et on se dirige sur la Durance à Malijai, distant de 20 km, où Cambronne a réquisitionné le Château de la famille Noguier, appartenant à l'ancien receveur général des finances de Provence. Nous avons vu qu'un gendarme de Cannes était parti au triple galop vers Fréjus. De Fréjus, le brigadier porte la nouvelle à Draguignan au chef d'escadron qu'il réveille à 2 heures du matin, le général Morangiès, commandant la gendarmerie du département du Var. Mais contrairement à ce qui se passe d'habitude, la nouvelle passant de l'un à l'autre perd en intensité. Le gendarme de Cannes avait dit à Fréjus « le débarquement des troupes de l'île d'Elbe », sans parler d'ailleurs de Napoléon, le brigadier de Fréjus annonce à Draguignan que « 50 hommes de la Garde de l'ex-Empereur étaient arrivés de l'île d'Elbe.» C'est cette dernière information par l'intermédiaire de la Préfecture maritime de Toulon, que Morangiès fait parvenir au maréchal Masséna commandant à Marseille la II° région militaire. Le message que Masséna reçoit le vendredi 3 mars à 9 heure du matin est le suivant « Le préfet maritime est avisé que des grenadiers de l'île d'Elbe ont eu des congés pour revenir en France dans leur famille.» A ce moment, les Elbois quittent Séranon en direction de Castellane...

Le maréchal Masséna se borne à informer le ministre de la guerre, le maréchal Soult, et termine sa dépêche par ces mots: «Quant à moi, je suis de l'avis du préfet maritime, que ce n'est qu'un débarquement de quelques hommes ennuyés de rester à l'île d'Elbe.» L'estafette part pour Lyon et là, par le télégraphe aérien de Chappe, la nouvelle arrive à Paris. Mais Masséna n'allait pas tarder à être mieux informé. Le comte de Bouthillier, préfet du Var, envoie le 2 mars un peloton de gendarmes à Cannes où il apprend ainsi que Napoléon lui-même avec 1.000 hommes et du canon a pris la route de Grenoble. M. de Bouthillier transmet à Masséna et en même temps une dépêche au préfet Duval à Digne et au préfet Harmand à Gap. Masséna reçoit l'estafette le 3 Mars à 9 heures du soir et sur le champ expédie un courrier à Paris par les mêmes voies que précédemment. Cette dernière dépêche arrivera d'ailleurs avant la première, le premier coursier s'étant fracturé la jambe après Aix-en-provence !... C'est celle qui donnera l'alarme aux Tuileries. Vous avez sûrement lu « La Semaine Sainte » de Louis Aragon ? Le point le plus rapproché de Marseille sur la route que poursuit Napoléon est Sisteron, dont la citadelle commande le passage sur la Durance. Masséna, sans attendre le lendemain, ordonne au général Miollis de prendre le 83° de ligne plus 6 compagnies du 58° et de se porter en hâte sur Sisteron. Ce général Sextius de Miollis, compagnon de La Fayette pendant la guerre d'indépendance des Etats-Unis, s'est illustré lors de la prise de Nice en 1792, et sera le gouverneur de Rome de 1808 à 1814. C'est aussi le frère de Bienvenu de Miollis, l'évêque de Digne, ce qui ne l'empéchera pas d'avoir des démélés avec le pape Pie VII lors de l' occupation de Rome !

Napoléon boit son café à Barrême, quand Miollis se met en route. Sisteron est à égale distance de Cannes et Marseille. L'Empereur a donc deux bonnes journées de marche d'avance, quand il arrive à Malijai, accueilli dans la « Grand Rue » par le maire Jean-Baptiste Hughes. Le propriétaire du Château, Edouard Noguier de Malijai ne fait aucun frais pour recevoir l'Empereur l'appelant ostensiblement
« Monsieur ». Il en a fait un récit publié en 1824, et paru dans l'Illustration du 26 septembre 1931 :
« Bonaparte, venant de Digne est arrivé à Malijay le 4 mars à 6 heures du soir. Il descendit chez le maire qui était allé au-devant de lui. Après quelques questions sur les propriétaires du château, il envoya un officier me demander si je voulais avoir la complaisance de le loger. Ma réponse fut: très volontiers. Alors il vint avec moi visiter les appartements, dit au domestique d'allumer du feu dans celui qu'il désigna et d'éclairer l'escalier. Cet ordre donné, il fut chercher Bonaparte qui arriva au bout de cinq minutes suivi de quelques officiers et de plusieurs valets de pied. Il monta précipitamment l'escalier et à peine dans sa chambre, fit demander le maître de la maison. Je fus introduit par un officier qui se retira et nous laissa seuls. Bonaparte, vêtu d'une redingote grise était debout près de la table. J'avais passé la journée à la chasse et j'étais habillé en chasseur. Il me demanda d'on ton sévère :
- C'est vous qui êtes le maître de la maison ?
- Oui monsieur.
Je ne l'appelai jamais autrement. Il eut l'air de ne pas s'en apercevoir. Il me questionna sur ma famille et me congédia me disant :
- Je vous occasionne du dérangement, vous allez avoir de la besogne.
En effet, je trouvais le château rempli d'officiers. Une personne de la suite me demanda à plusieurs reprises des comestibles et surtout, force bouteilles de vin. A chaque demande, il avait soin de me recommander d'en tenir compte parce que l'empereur voulait tout payer. Je lui répondais :
- N'étant point dans une auberge, il n'y a point de compte à tenir.
Un officier m'ayant demandé une bonne bouteille de vin vieux, je le menai dans le caveau, nous y causâmes quelques minutes :
- Mais que diable venez-vous faire en France ? Quelles sont vos idées ? Quels sont vos projets ?
- Que voulez-vous, cet homme est parti de I'île d'Elbe comme s'il allait à la campagne. Personne ne savait où nous allions, à telle enseigne qu'un tel, persuadé qu'on allait en Italie, y a expédié sa malle et s'est embarqué avec la chemise qu'il a sur le corps.
Les soldats qui bivouaquèrent en très grand nombre sur la place brûlèrent dans la nuit ma provision de bois de l'année. Les nuits étant fraîches, les feux furent si bien entretenus que le lendemain il se trouva plusieurs montagnes de charbon. Le souper fut très frugal et le déjeuner des officiers qui me firent l'honneur de m'inviter le lendemain matin le fut au-delà de toute expression, même mesquin. Des pièces de rôt furent empaquetés, beaucoup de ragoûts, de bouillon, de consommé furent mis dans des casseroles d'argent bien closes et dans des bouteilles. Les cuisiniers embarrassés de deux casseroles et d'une cuillère à pot, le tout en cuivre, marquées d'un N couronné, les laissèrent à l'une des femmes qui les avait aidés. Au milieu de la nuit, une ordonnance arriva de Digne avec un gros paquet de proclamations qui venaient d'être imprimées à Digne. Bonaparte ne s'était pas couché. Il avait passé la nuit dans un fauteuil. Le 5, à 6 heures du matin, il descendit l'escalier avec précipitation, s'arrêta un moment sur la porte et parut étonné de voir tous les habitants du village rassemblés sur la place devant le château, dans un profond silence; il m'aperçut à peu de distance au bas d'un escalier et avait l'air d'attendre que je m'avançasse vers lui: je ne bougeais pas. Il repris un visage serein, monta à cheval et partit pour Sisteron. A l'instant, un officier vint s'informer à moi si l'on m'avait remis deux pièces d'or de 20 francs, s'excusant sur ce qu'il était chargé de la comptabilité. Il monta à cheval et me dit avant de partir :
- Si vous venez à Paris et que par hasard, nous y arrivions, venez me voir. J'aurai un véritable plaisir à vous être utile, vous pourrez vous adresser au général Deschamps ? J'ai su depuis que Bonaparte avait à sa suite un général appelé ainsi.
Dès l'arrivée à Malijai, l'Empereur donne l'ordre à Cambronne de s'avancer avec son avant-garde, à marche forcée, sur Sisteron. Napoléon, anxieux, ne se coucha pas, attendant des nouvelles de Cambronne. Son anxiété est motivée : la Citadelle de Sisteron et son pont de la Baume, étaient le pas le plus difficile à franchir, il avait beaucoup à craindre puisqu'il ne fallait que peu de monde pour l'arrêter au passage de la rivière.»

En fait le sort de Sisteron s'est joué à la Préfecture de Digne. Cambronne ne rencontre pas de résistance et pour cause, le commandant Machemin, commandant la Citadelle, a reçu des ordres du général Loverdo d'évacuer hommes et munitions. Déjà depuis le matin, le maire M. De Gombert parcourt la ville ayant appris que la gendarmerie a quitté Sisteron de bonne heure. Ami personnel du commandant Machemin, il cherche à le voir mais se heurte à la discipline militaire :
- Ne vous mêlez pas de cette affaire, lui dit Machemin, j'obéis à des ordres et ce que vous avez de mieux à faire est de rester tranquille, parce qu'en définitive c'est moi qui commande ici.
Le maire M. De Gombert rencontre alors le capitaine du génie Lavocat et le prie de venir à la mairie « pour nous guider et nous inspirer les moyens propres à nous opposer au passage de Bonaparte qui revient bouleverser la France et embraser l'Europe.»
En fait le maire voudrait qu'il fasse sauter le pont. Le capitaine Lavocat lui répond :
- Monsieur le maire, laissez moi tranquille, je ne me mêle point de cette affaire, ne comptez pas sur moi.»
Lavocat sera un des rares officiers à suivre l'escorte de l'Empereur. Quant au sous-préfet Bignon, qui avait rallié Napoléon en 1804 et qui l'admire toujours, il condamne la « trahison de l'usurpateur » mais reste dans une prudence calculée. Le soir, la ville est morne et accablée, tous se sentent abandonnés par les autorités de Digne qui ont retiré les moyens de défense en faisant évacuer militaires et munitions. A minuit, Cambronne frappe à la porte de la Mairie, M. De Gombert comprend que tout est perdu. Une estafette galope vite vers Malijai, Napoléon apprenant que Cambronne est dans la place dit : « Nous voilà sauvés, nous sommes à Paris.».

Le château de Malijai est au bord de la Bléone, toujours majestueux. C'est maintenant la mairie du village et tous les deux ans on y commémore le passage des grenadiers avec force troupes en costume de l'époque, on y déguste le boeuf rôti à la broche, c'est impressionnant ! Le château après avoir appartenu à la société Rhône Poulenc, a été acheté par la ville de Malijai. Les deux étages sont transformés en logement HLM et le rez-de-chaussée devient l'hôtel de ville. On peut y voir une belle collection de gypseries de style Louis XV et Louis XVI. Ces salles ont été classées monuments historiques, et c'est dans ce château, qu'en 1953 a été tourné avec Pierre Fresnay, le film intitulé « La Route Napoléon ». Dix minutes avant l'arrivée de Cambronne, le général Loverdo occupait encore Malijai avec 18 gendarmes à cheval et les deux lieutenants de gendarmerie de Forcalquier et de Sisteron qui venaient de rejoindre. A l'approche de l'avant-garde, ils se sont hâtés de passer le pont sur la Bléone, pour s'éloigner sur la route des Mées vers le village d'Oraison. Toute cette région mérite qu'on s'y attarde, c'est la Provence de Giono avec l'écrin de collines de Manosque. Manosque présente le Centre Jean Giono et aussi la Fondation Carzou avec cette fresque monumentale « l'Apocalypse ». Plus loin, vous montez le plateau de Valensole et ses champs de lavandes. Ganagobie, plus au nord, au pied de la montagne de Lure, est un Prieuré Clunisien fondé au X° siècle. Son cloître est un bijou d'art roman et l'abside de la chapelle est pavée d'une mosaïque romane d'inspiration orientale. Les moines bénédictins ont rétabli la vie monastique régulière au prieuré, mais, vous pouvez bien sûr visiter et même y séjourner. A cinq minutes de Malijai, vous serez impressionnés par les Pénitents des Mées : c'est une curiosité géologique, d'immenses rochers calcaires, hauts d'une centaine de mètres, nommés ainsi à cause de leur alignement et de leur ressemblance avec des pénitents encapuchonnés. La légende prétend que St Donat aurait figé des moines pour les punir d'avoir porté le regard sur de jeunes captives sarrasines! Pour les découvrir de plus près, vous empruntez le sentier balisé à partir de l'aire touristique.
Ce soir du samedi 4 mars, une dépêche venant du préfet du Var, parvient à la préfecture de Grenoble. Le préfet de l'Isère M. Fourrier et le général Marchand, commandant la place, troublés, se concertent pour tenir la nouvelle secrète afin de se donner du temps...
Marchand expédie une estafette au commandant du 7° et du 11° de ligne de Chambéry et au 4° de hussards de Vienne pour qu'il rejoignent Grenoble à marches forcées pour renforcer la garnison composée du 5° de ligne, du 4° d'artillerie à pied, du 3° régiment du génie et d'un escadron de train. M. Fourrier s'occupe de rédiger une proclamation contre l'usurpateur à faire imprimer le lendemain.

MALIJAI - SISTERON - GAP - DIMANCHE 5 MARS
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En quittant Malijai, l'Empereur et son bataillon prennent la direction de L'Escale. On s'écarte donc jusqu'à Sisteron de la Route Napoléon. La RN 85 emprunte la rive droite de la Durance en passant par Château Arnoux et son beau château renaissance. Château Arnoux est une étape gastronomique très importante, avec une spécialité : les pieds paquets... Mais nous prendrons tout de même la vraie route suivie par les grognards. La rue principale de L'Escale s'appelle d'ailleurs Route Napoléon. La Durance est maintenant canalisée et au barrage de L'Escale édifié en 1962, un petit lac partiellement envahi par les roseaux est devenu une réserve ornithologique, plus de 300 espèces d'oiseaux répertoriés. En suivant la départementale 4, en longeant la Durance, en admirant Château Arnoux sur l'autre rive, on atteint Volonne. On peut aussi aller à Volonne en passant par Château Arnoux et on franchit la Durance sur le pont suspendu. Il est important de passer sur la rive droite pour arriver à Sisteron, comme l'a fait Napoléon, par la Porte du Dauphiné et donc par le fameux pont de la Baume.
Volonne est un curieux village qu'il faut parcourir à pied. Passée la placette principale, près de l'église St Martin du XI° siècle, on peut monter aux deux tours sarrasines qui dominent le village: la Tour de Gué et la Tour de l'Horloge. Au gré de l'ascension du sentier qui montent aux tours, on découvre le panorama général du village: le château bastide, l'aqueduc du XVI° siècle, vieilles rues où l'on peut flâner. Les grognards y font une halte, dans l'auberge du « Poisson d'Or » où Napoléon déguste un canard aux olives. Sorti de Volonne, sur une pierre d'angle dans le pignon d'une vieille maison, on peut lire : «eishi lou de 5 mars 1815 Napoléon P.P.» La tradition locale assure la traduction suivante : « Ici, le 5 mars 1815, Napoléon Passa et Pissa !»
Nous arrivons bientôt en vue de Sisteron, le souffle coupé en apercevant la fière et imposante citadelle qui surplombe la Durance. Vers les 11 heures, l'Empereur s'arrête dans le faubourg de la Baume, s'assied sur le parapet du pont sous lequel passe la Durance « à toute volée » et laisse défiler la troupe en criant aux hommes : « Soldats, nous sommes à Paris ! ».
Pendant ce temps, à l'hôtel de ville, grandes discussions au sujet de la réception : le maire M. De Gombert répugne à se rendre au-devant de Napoléon : « De grâce Messieurs, ne donnez pas un air de fête à cette pénible corvée ! » Mais au sein du conseil municipal, MM. Latil et de Burle, tous deux ex-constituants, arrivent à convaincre le maire que « c'est là un cas de force majeur, auquel il ne convient pas de résister et que c'est un sacrifice dont les concitoyens ne peuvent manquer de tenir compte». Le maire se mit donc en marche, sans costume et rencontra en route le sous-préfet Bignon, qui s'y rendait comme lui. Le rapport du préfet précise : « M. Bignon et le Maire furent le 5 mars à la rencontre de Bonaparte, ce n'est qu'après plusieurs sommations du général Cambronne qu'ils se déterminèrent à cette démarche.» Pour entrer en ville, Napoléon prend un chemin en raidillon qui l'amène directement aux aires Saint-Jaume devant la Porte du Dauphiné. Cette précision fait mieux comprendre que Napoléon, venant de Provence, ne franchit pas, comme la logique le voudrait, la Porte de Provence, mais au contraire la Porte du Dauphiné, puisqu'il est arrivé par la rive gauche de la Durance. Le commandant de la Garde Nationale, Edouard de Laplane dit à son fils aîné qui l'accompagne : « Regarde bien cet homme, tu le verras plus que dans l'Histoire.» L'Empereur se dirige ensuite vers l'hôtel du Bras d'Or tenu alors par le grand-père de Paul Arène, le grand poète provençal. L'hôtel n'est plus, mais la maison existe encore rue Saunerie, indiquée par une plaque commémorative. Il reçoit les autorités. Parmi les adjoints au maire, il y a M. Laugier, au nom de Laugier , Napoléon remarque : « Vous portez, Monsieur, le nom de l'auteur d'une histoire de Venise fort estimée». Interloqué, Laugier répond : « Sire, c'était mon oncle ». Après les autorités municipales, il reçoit des anciens soldats de l'Empire, officiers et sous-officiers en retraite ou en demi-solde et les invite à se joindre à son bataillon. Le capitaine du génie Lavocat et son fils, un ancien tambour, un militaire retraité titulaire de l'entrepôt des tabacs vont suivre. A la suite de ces entretiens et après avoir déjeuné, il est temps de repartir.

M. De Gombert raconte : « Quelques instants avant l'heure où Napoléon quitta Sisteron, une vingtaine de cavaliers formant une escorte vint se ranger en bataille devant l'hôtel de Bras d'Or et lui faisant face. Parmi ces cavaliers, il en était un qui fixait plus particulièrement l'attention. C'était un homme jeune encore, au teint basané, à la moustache longue et tombante. Il était coiffé d'un turban écarlate de forme haute qu'on pourrait comparer à un shako sans visière; il avait une veste et une culotte turque de couleur rouge; ses jambes étaient enfoncées dans de longues bottes à l'écuyère; il portait à la ceinture, du côté droit deux pistolets et du côté gauche un long poignard; un sabre bancal pendait du même côté. Enfin il avait mis en bandoulière une carabine tromblon, dont la gueule évasée s'apercevait au-dessus de son épaule gauche. Ce singulier cavalier avait les bras croisés sur le pommeau de sa selle et paraissait très fatigué.» Vous avez reconnu, bien sûr, le piqueur St Denis, plus connu sous le surnom de Mameluk Ali. En sortant, une couturière apporte un drapeau tricolore qu'elle vient de confectionner. Ali relate dans ses Mémoires : « Lors du débarquement on n'avait point d'aigle. Ce n'est qu'au troisième jour qu'on en avait eu un; il était en bois doré, provenait de quelque flèche de lit ou de quelque tringle de fenêtre, mis au bout d'un bâton avec des morceaux d'étoffe de trois couleurs qu'on avait clouées : on avait fait un drapeau.» La couturière est embrassée par Napoléon qu'elle suit jusqu'au pont du Buech, la main appuyée sur un des genoux de l'empereur. Ainsi se termine l'étape à Sisteron. En attendant le général Drouot et son arrière-garde, vous visitez la Citadelle par le petit train. C'est incontournable. La Citadelle, monument classé historique, est l'oeuvre de Jean Erard, l'ingénieur militaire d'Henri IV, puis agrandie par Vauban au XVII° siècle. La visite est fléchée et sonorisée: donjon, chapelle, musée iconographique sur l'histoire de la citadelle et sur Napoléon, musée hippomobile, point de vue... A voir également, la cathédrale Notre Dame des Pommiers, bel exemple de l'art roman lombard-provençal, les Tours, la vieille ville dont les petites ruelles dégringolent jusqu'au magnifique plan d'eau, d'où ce dicton, qui dit qu'à Sisteron les ânes sont logés au troisième étage. A escalader, bien sûr, le Rocher de la Baume. Il faut quelques heures pour faire le tour du rocher pour passer un défilé rocheux, admirer l'église St Dominique qui veille sur les émouvants vestiges de l'ancien couvent dominicain, puis le Trou de l'Argent, une bien curieuse grotte et découvrir le panorama sur Sisteron depuis le sommet de la Baume. A ce moment vous penserez à l'enfant du pays Paul Arène, le grand écrivain provençal à qui on doit Jean des Figues et dans son livre, Sisteron devient Canteperdrix. On dit aussi qu'il a écrit « Les Lettres de Mon Moulin » qu'il aurait donné à Alphonse Daudet contre un verre d'absinthe !... Paul Arène est mort à Antibes en 1896.

Sisteron devient après ce dimanche 5 mars un enjeu entre les royalistes et les bonapartistes. Dès le 7 mars, les troupes royalistes s'y réunissent sous la direction du général Miollis. Leur premier but est de couper la retraite de Napoléon qui, pense-t-on, peut être arrêté plus haut et devrait donc redescendre sur le Midi. C'est de Sisteron que partiront les expéditions conduites par le général Loverdo sur La Saulce et le général Gardanne sur Clelles. En avril, le préfet M. Didier remplacera M. Bignon et le commandant de la Garde Nationale Edouard de Laplagne, remplacera M. De Gombert à la mairie, pour cent jours...En Août 1815, après Waterloo, Autrichiens et Piémontais occuperont la ville. Le commandant Machemin s'enfermera et résistera dans la citadelle avec armes et provisions...
Il y a 48 km pour rejoindre Gap. Nous entrons ici dans de larges vallées aux routes rectilignes, nous sommes dans le verger des Alpes, le pays des arbres fruitiers de toutes sortes : le Gapençais et ses vieux villages épars, Le Poët, Roubereau, Ventavon, Monetier Allemont, La Saulce. Monsieur de St Genis, maire d'Upaix a laissé dans les Annales des Basses Alpes un récit du passage de Napoléon : « Je fus environné d'une partie des fidèles qui formaient l'escorte de l'Empereur et particulièrement du brave Jermanowski dont le nom est cher à tous les Français ... Ils rirent avec moi du grotesque matériel qui composait leur bagage. Imaginez-vous une foule d'officiers supérieurs cheminant lentement, hissés sur de tristes rosses arrachées à la culture et en grand nombre sur des mulets rétifs qui reculaient au lieu d'avancer, quelques mauvaises selles et de bardes grossièrement sanglées, marchant pêle-mêle avec une gaieté folle et vous avez une faible idée de cette caravane. Quelques lanciers polonais, talonnant leurs chétives montures ouvraient et fermaient la marche. Ils étaient suivis à peu de distance du bataillon des grenadiers dont les moustaches grisonnantes et le teint noirci présentaient un ensemble effrayant et justifiaient l'épithète de vieux grognards. Ces braves, les uns à pied, les autres sur des charrettes et des montures de tout genre faisaient retentir les airs de chants français... Ensuite venaient les chasseurs Corses et Elbois, environ 400 hommes, petits mais robustes; ceux-ci formaient l'arrière-garde commandés par le général Drouot qui s'avançait gravement à leur tête.» A La Saulce, les soldats font une halte dans la rue principale, et près de l'église. Les habitants des communes voisines avertis par la rumeur attendent à l'entrée du village. Chacun veut voir l'Empereur, le toucher, donner du vin et des vivres aux hommes. On file vers Tallard, magnifique village et son château des Clermont Tonnerre de toute beauté. Tallard c'est maintenant un carrefour important : c'est la route du lac de Serre-Ponçon, d'Embrun, de Briançon, de l'Italie vers Cunéo. Tallard c'est surtout son Aéropôle devenu une des toutes premières plates-formes de sports aériens : parachutisme, planeur, ULM, hélicoptère, aviation légère et taxi way. Aux flambeaux, Napoléon passe la Porte Colombe, qui est aujourd'hui la rue Colonel Roux, la plus ancienne rue de Gap. Du temps des Romains, lorsque Gap s'appelait Vapincum, c'était déjà la voie décumane qui devint logiquement la rue droite au Moyen Age, c'est à dire la voie ouest-est, s'ouvrant à l'ouest par la porte Colombe et à l'est par la porte Lignole. Gap a subi, au cours des siècles plusieurs sièges de destructions qui n'ont laissé que peu de traces de son histoire ancienne : la ville fut ravagée par les Lombards et surtout en 1692 par les troupes du Duc de Savoie, qui incendièrent les trois-quart de la cité.
Aujourd'hui le centre ville ancien a été mis en valeur par une réhabilitation des façades dans une harmonie de teintes pastels. C'est une réussite, l'exemple parfait de ce qu'il faut faire pour revitaliser les centres des vieilles villes. Gap doit beaucoup au préfet Ladoucette, qui préfet des Hautes-Alpes sous le 1er empire, de 1802 à 1808, a été l'initiateur de grands travaux d'urbanisme : il a embelli le centre ville en redressant les rues moyen-âgeuses. Il sera à l'origine de la destruction des remparts, permettant ainsi la création des boulevards et de la rue Carnot au sud. Le sculpteur Gapençais Jean Marcellin a réalisé sa statue que vous voyez sur la place Ladoucette, avant d'attaquer le Bayard.
Mais, suivons Napoléon qui remonte la rue Colonel Roux, en 1815, rue de Provence, toute illuminée. La colonne débouche sur la Place Jean Marcellin, ancienne Place St Etienne, où un piquet de la Garde Nationale en grande tenue présente les armes pendant que le tambour bat « Aux champs ». Il est 11 heures quand il arrive rue de France où Cambronne a réservé à l'hôtel du Sieur Marchand.
Ce n'est plus un hôtel au n°19 rue de France. De nombreuses années, s'y tenait la pâtisserie à l'enseigne ' La Halte Impériale ", maintenant il faut dire un grand merci aux propriétaires des lieux qui offrent une superbe façade ocre, au sommet une fresque peinte représentant l'Empereur à la tête des grognards allant à la rencontre des habitants de Gap. A peine arrivé à l'hôtel Marchand, Napoléon fait appeler les autorités. Mais le préfet Harmand s'est réfugié à St Bonnet, où il manquera d'être pris par Cambronne. Le général Rostolland, commandant le département est resté cantonné à Embrun avec la garnison. Le maire est le chevalier D'Abon, colonel du génie en retraite, 66 ans, avec sa coiffure à la Mirabeau, poudrée à la volée. Au bas des escaliers, il est reçu par le général Bertrand, son ancien frère d'armes. Ils s'embrassent, « Allons, venez d'Abon, l'Empereur vous attend. » Aussitôt introduit :
- Que pensez-vous de notre retour, monsieur le maire ?
- Je crois, Monsieur, répond imperturbable M. D'Abon, qu'il est malheureux pour la France comme pour vous...
- Comment ne réussirais-je pas ? J'ai l'armée pour moi.
- Et le peuple ?
- L'armée est tout et la masse est encore pour moi !
Sur le chemin de son retour, Napoléon réalise le projet qu'il nourrit depuis longtemps : inspecter les départements de France, prendre des contacts directs avec les autorités locales, interroger les citoyens. A table, pendant que le repas est servi, il écrit un texte qui sera imprimé le lendemain : « Aux Habitants des Départements des Hautes et Basses Alpes. Citoyens,
J'ai été vivement touché de tous les sentiments que vous m'avez montrés, vos voeux sont exaucés. La cause de la Nation triomphera encore. Vous avez raison de m'appeler votre Père; je ne vis que pour l'honneur et le bonheur de la France. Mon retour dissipe toutes vos inquiétudes; il garantit la conservation de toutes les propriétés, l'égalité entre toutes les classes et les droits dont vous jouissez depuis vingt-cinq ans, et après lesquels nos pères ont tant soupiré forment aujourd'hui une partie de votre existence. Dans toutes les circonstances où je pourrai me trouver, je me rappellerai toujours avec un vif intérêt tout ce que j'ai vu en traversant votre pays.»
Ce dimanche 5 mars, Louis XVIII, aux Tuileries, reçut la dépêche de Masséna en disant avec le plus grand calme : « C'est Bonaparte qui est débarqué sur les côtes de Provence. Il faut porter cette dépêche au ministre de la guerre, il verra ce qu'il y aura à faire »... Vitrolles, du cabinet du roi, porte la dépêche au ministre, le maréchal Soult, le croise dans la rue. Soult est incrédule et demande d'attendre la confirmation. Le Comte d'Artois, frère du roi, alerté lui aussi ne s'inquiète pas et s'en va aux vêpres. La dépêche du préfet du Var vient s'ajouter à celle de Masséna.
Le conseil des ministres se réunit donc le soir et il est décidé que le Comte d'Artois se rendrait à Lyon avec ses deux fils, le duc de Berry et le duc d'Angoulême comme lieutenants, pour prendre le commandement des troupes royalistes réunies dans le Lyonnais, le Dauphiné et la Franche-Comté. Soult, connaissant l'impopularité du frère du roi, et doutant de la capacité militaire de ses fils désigne pour commander en second le maréchal Gouvion St Cyr. Le Comte d'Artois se met en route à minuit pour Lyon, à cette heure Napoléon dîne à l'hôtel Marchand, à Gap.
Ce dimanche soir, Emery, 28 ans, chirurgien de la Garde, parti de Castellane avec le passe-port, arrive à Grenoble. Entre La Mure et Grenoble, Emery a rencontré le général Mouton-Duvernet, qui, commandant la sub-division de Valence, alerté par Masséna, est venu en reconnaissance et se rend à Gap organiser la résistance. Il arrête Emery et l'interroge sur le débarquement de l'Empereur. Le chirurgien donne de fausses informations, disant que la garnison d'Antibes s'était ralliée et que Masséna depuis Marseille se mettait en mouvement pour se joindre à eux. « Pour moi, c'est terminé, je retourne dans ma famille à Grenoble.»
Mouton-Duvernet n'en croit pas un mot, mais il est en voiture avec un seul aide de camp et ne peut rien contre un homme seul à cheval. Il laisse donc Emery partir... En arrivant à La Mure, il apprend que Napoléon est déjà à Gap et que la garnison s'est repliée sur Embrun, il doit donc rebrousser chemin.
Pour retourner à Valence, il choisit de passer par Grenoble s'informer auprès du général Marchand et lui demander d'arrêter Emery. Apollinaire Emery, s'est réfugié chez son ami Dumoulin, un riche gantier Grenoblois, place aux Herbes. Ensemble, ils vont commencer à préparer l'arrivée de l'Empereur. La police le cherchera en vain, il est caché dans l'armoire. De la doublure de ses bottes, il sort des feuillets chiffonnés : ce sont des exemplaires des proclamations impériales. Jean Dumoulin les fait imprimer, par un nommé Gavin imprimeur à la Préfecture, avec des caractères de l'imprimerie du Roi qui vient de servir pour le préfet. On sortira « au rouleau » des affiches de l'Empereur qui circuleront déjà le lendemain, dans Grenoble, où la nouvelle s'est répandue, le préfet M. Fourrier s'étant décidé à faire connaître officiellement l'événement par une proclamation placardée à l'hôtel de ville.

GAP - CORPS - LUNDI 6 MARS
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Le lendemain matin quartier libre. En quatre jours depuis Vallauris-Golfe-Jouan, les soldats ont parcouru près de 200 km, dans la montagne, sous la neige et dans des conditions particulières, quoique toujours bien accueillis par la population, et dans la joie d'avoir retrouvé la patrie. Les hommes ont besoin de souffler... Ce lundi 6 mars, à 8 heures, le général Drouot, avec l'arrière-garde, quitte Sisteron pour Gap, serrés de près par les troupes royalistes. Au même moment, le général Cambronne, avec l'avant-garde, quitte Gap pour monter le col Bayard. Dès 6 heures du matin, l'Empereur s'entretient avec M. Farnaud, secrétaire général des Hautes-Alpes. Il l'interroge sur l'ensemble de l'administration et de l'économie du département. Il promet de revenir : « Lorsque la paix sera rétablie, j'occuperai mes loisirs à parcourir en personne les départements pour y répandre des bienfaits et le tour de Gap viendra ». On fait imprimer la proclamation à l'imprimerie Genoux que Drouot ira prendre dans la soirée. La construction des Refuges Napoléon n'est pas due à Napoléon.En 1854, sous Napoléon III, une commission nationale s'est réunie pour mettre en application un des passages du testament de Napoléon 1er : Je lègue mon domaine privé, moitié aux officiers et soldats qui restent de l'armée française, qui ont combattu depuis 1792 à 1815 pour la gloire et l'indépendance de la Nation : la répartition sera faite au prorata des appointements d'activité, L'autre moitié aux villes d'Alsace, de Lorraine, de Franche-Comté, de Bourgogne, de l'Ile-de-France, de Champagne, Forez, Dauphiné qui auraient souffert par l'une ou l'autre invasion. Le Dauphiné avec les départements de l'Isère, la Drôme et les Hautes-Alpes était concerné. La somme de 1 million 300 mille francs fut partagée entre 26 départements soit 50.000 francs pour chacun. cette somme devait servir à une institution durable de bienfaisance. Pour les Hautes-Alpes, il fut convenu de créer des bourses pour l'éducation d'aveugles ou de sourds-muets pauvres du département. Aucune demande ne fut faite pour les aveugles et seulement 8 sourds-muets sollicitèrent des bourses. Devant cet état de fait, le préfet, M. le Peintre, proposa de faire construire sur les principaux cols du département des Hautes-Alpes, des maisons de secours qui seraient appelées Refuges Napoléon. 8 étaient prévus, 6 furent réalisés. A la mairie, pour marquer la satisfaction que lui avait procuré l'accueil chaleureux de la ville, Napoléon fait don de son étendard personnel, le fanion des chasseurs à cheval de la Garde, en soie verte, marqué du cor des chasseurs et semé d'abeilles d'or. C'est le fanion qu'on peut voir au musée de Gap.
A 2 heures de l'après-midi, le bataillon quitte Gap par la porte Lignole et le petit pont de Burle qui enjambe le torrent de Bonne. Ce vieux pont est maintenant encerclé d'habitations, près de l'immeuble de France-Télécom. En prenant congé de son hôte le sieur Marchand, l'Empereur a fait cadeau aux deux fillettes de l'hôtelier, Lisette et Félicité, d'une paire de ciseaux de sa trousse en leur disant : « Quand vous broderez, Mesdemoiselles, cet objet vous rappellera la passage de Napoléon à Gap et son hébergement chez Monsieur votre père ! » Et l'Empereur monte dans une calèche achetée par Peyrusse, à M. De Bourcieux, pour le prix de 1.400 frs. A la sortie de la ville, on monte en 7 km, au Col Bayard, à 1.250 m d'altitude. Une courte halte aux tables d'orientation vous permet d'admirer les vallées du Gapençais. Là-bas sur la droite, le château de Charance, son domaine qui abrite le Conservatoire Botanique Alpin et la direction de Parc National des Ecrins...Au lieu-dit Les Baraques, la colonne est arrêtée par les habitants de La Fare et de St Bonnet, où le marché a amené une grande affluence. Voyant le petit nombre de soldats qui l'accompagnent, ils proposent à Napoléon de sonner le tocsin pour rameuter des volontaires. « Non, dit l'Empereur, vos sentiments me font connaître que je ne me suis pas trompé, ils sont pour moi un sûr garant des sentiments de nos soldats. Ceux que je rencontrerai se rangeront de mon côté. Plus ils seront, plus mon succès sera assuré. Restez donc tranquillement chez vous... » raconte Peyrusse dans ses mémoires. Un monument sur le bord de la route, face au restaurant La Halte de l'Empereur, commémore la scène. On se remet en marche, longeant le Drac. La route serpente dans un décor de montagnes majestueuses, le Dévoluy et le Trièves à gauche, le Champsaur que domine le Vieux Chaillol et le Valgaudémar à droite. Superbe, la vallée du Drac, en toutes saisons. Nous ne sommes pas loin du col du Noyer, du Vercors, hauts lieux historiques et héroïques de la Résistance en 1944.
Pendant ce temps à Grenoble, le général Marchand convoque chez lui dès le matin, tous ses officiers généraux et les colonels des régiments. Tous protestent de leur fidélité au roi. Puis on délibère pour savoir si on marche contre Bonaparte ou si on l'attend derrière les remparts. On décide de se mettre en mouvement le lendemain, car il faut d'abord s'assurer de la fidélité des troupes et leur faire prêter un nouveau serment. Marchand veut passer cette revue, mais les chefs de corps ont la franchise de lui rappeler que « son empressement à proclamer la déchéance de l'Empereur, l'année dernière, avait affaibli son influence sur les soldats ».
Jean-Gabriel Marchand, 50 ans, avocat à Grenoble en 1789, a été nommé général de brigade par le Premier Consul Bonaparte, puis divisionnaire après Austerlitz. Il s'est illustré en Espagne, durant la Campagne de Russie en 1812. Il a combattu en Allemagne, à Lützen, Bautzen, Leipzig, en 1813. Il est nommé gouverneur de Grenoble en 1814, il résiste aux Autrichiens qu'il bat aux Echelles. Une belle carrière...Ce 6 mars 1815, il se résout à fermer les portes de la ville pour éviter les désertions. Il fait mettre la place en état de défense, hisser les canons sur les remparts, en tout 47 pièces en batterie. Il fait dresser des abris de rondins devant les portes de Bonne et de Très Cloîtres et expédie à La Mure une compagnie de génie et un bataillon du 5° de ligne pour faire sauter le pont de Pont-Haut. Le préfet M. Fourrier est affolé par l'orage qui va lui tomber sur la tête. C'est un mathématicien qui a fait partie des scientifiques qui ont accompagné le général Bonaparte, pendant la campagne d'Egypte, en 1798. Il est préfet de l'Isère depuis 1802, veut bien se dévouer pour les Bourbons, mais pas jusqu'au martyr...
Près de Poligny, un vieux grenadier nommé Gentillon, se précipite au devant de l'Empereur, soutenant un vieillard de quatre-vingt cinq ans. Ce grenadier, qui a quitté Golf-Juan sans rien dire, est arrivé à marche forcée jusqu'à son village et veut présenter son père qui ne veut pas mourir sans avoir vu Napoléon. L' Empereur l'embrasse et lui fait donner cinquante pièces d'or . Par Chauffayer, on monte à Corps, par la rampe du Motty. On quitte la région Alpes-Côte d'Azur pour entrer dans la région Rhône-Alpes. Corps est le premier village de l'Isère. Cambronne a fait le logement dans l'Hôtel du Palais, situé dans la Grand Rue. La route d'alors empruntait dans le village un tracé différent de la nationale 85 et l'entrée du village se faisait par la rue de Lara, le long des anciens remparts. Napoléon couche dans une chambre du 2ème étage de l'hôtel tenu par Dumas. Cet établissement sera transformé plus tard en couvent par les religieuses de la Providence, la chambre historique deviendra une salle de classe que fréquentent deux bergers devenus célèbres par l'apparition de La Salette : Mélanie Calvat et Maxime Giraud. En 1910, le couvent sera remplacé par une gendarmerie, qui, ensuite, laissera la place à une maison de retraite !... Lorsque l'hôtelier Dumas quitta le bâtiment de la Grand Rue pour s'installer rue des Fossés, toujours à l'enseigne de l'Hôtel du Palais, une plaque commémorative fut apposée sur ce qui est aujourd'hui une banque. C'est une erreur que le maire de Corps, le docteur Cardin a réparé en faisant replacer la plaque commémorative sur l'ancienne maison de retraite Hostachy. La nationale 85 longe extérieurement le vieux bourg et forme une large rue pittoresque, tracée sur les anciens fossés. On y voit l'abside de l'église et à côté une vieille fontaine à vasque polygonale. Si on veut se rendre compte de l'aspect ancien de Corps, on descend par des ruelles jusqu'à l'ancienne Grande Rue qui était la seule route au temps de Napoléon.
Le général Drouot a distribué les affiches à Gap et avec son arrière garde rejoint La Fare en Champsaur. Le général Miollis, qui, prudent, a conservé dans sa poche une cocarde tricolore, est à Sisteron, avec ses troupes royalistes. Pour eux, il est urgent d'attendre. Ils seront à Gap le 9 mars... « Bonaparte est dans la souricière disait le maréchal André Masséna, ce sera la fin de sa folle équipée ! ». En effet, le général Miollis au sud, le général Gardanne à l'ouest, le général Rostollant à l'est, sans compter la garnison du général Kerverseau à Briançon, il serait aisé de retarder la marche des Elbois et même, avec un peu de volonté, de l'attaquer. Plus facile à dire qu'à faire...Pressentant le danger d'être pris en tenaille entre ces troupes à sa poursuite et la garnison de Grenoble au nord qui n'allait pas manquer de descendre lui couper la route, Napoléon envoie Cambronne, avec ses chasseurs de la Vieille Garde et un peloton de Chevau-Iégers Polonais, occuper La Mure pour parer à toute éventualité. Pierre Cambronne, qui n'a peur de rien,  a pour mot d'ordre : " Avancer sur l'avant ! ", il est à La Mure à minuit. Surprise, son adjudant-major Laborde qui doit faire le logement pour l'avant-garde, rencontre un autre adjudant major du 5° de ligne qui arrivait lui de Grenoble pour s'occuper du logement de son propre bataillon. Laborde l'interpelle : - Je vois que nous portons une cocarde différente, mais dis-moi avec la franchise d'un soldat, sommes-nous amis ou ennemis ? - Deux vieux compagnons d'armes seront toujours amis ! répond l'adjudant-major en lui serrant la main. - Alors faisons le logement ensemble ! ". L'adjudant du 5° de ligne accepte la proposition, puis s'esquive pour aller informer son Chef de bataillon. De son côté Laborde rapporte l'incident à Cambronne, qui apprend en même temps qu'une troupe d'infanterie, avec une compagnie du génie, se met en position à 500 m de La Mure, sur une hauteur appelée la Pontine. Cambronne envoie un de ses officiers pactiser avec ce chef de bataillon nommé Lessart, ancien de la Garde Impériale, qui refuse de recevoir l'émissaire. Cambronne y va lui-même, mais une sentinelle lui intime l'ordre de s'éloigner ou « Je fais feu ! ». Le général revient à La Mure, poste un piquet de garde à l'entrée du village et au lieu de loger ses hommes les fait bivouaquer sur la place de l'hôpital. Il va souper à l'auberge, quand un paysan l'avertit que le 5° de ligne se met en mouvement pour tourner La Mure et se porter au pont du Pont-Haut, sur la route de Corps, pour le faire sauter. L'occupation de Pont-Haut, pont haut sur la rivière la Bonne très encaissée à cet endroit, aurait coupé l'avant-garde de Cambronne du gros de la colonne. Remettant son souper au lendemain, Cambronne rétrograde avec sa petite troupe pour protéger le pont et envoie une estafette prévenir l'Empereur de l'attitude du 5° de ligne. Le maire de La Mure, M. Genevois vient dire tout haut au chef de bataillon Lessart, de façon à être entendu par la troupe, qu'il est absurde de détruire le pont puisqu'il y a un gué plus loin et que la perte du pont porterait un grave préjudice au commerce de la commune. Devant ces paroles de bon sens, approuvées par les sapeurs du génie qui cherchaient un prétexte pour ne pas obéir, Lessart décide lui aussi de rétrograder et s'en va bivouaquer à Laffrey. Cette nuit là, La Mure où s'était rencontré les deux avant-gardes, évacuée, devient un «no man's land». Mais demain ?
Napoléon est à Corps. C'est à 40 km de Gap et 60 de Grenoble. Demain est donc le jour décisif, car comme il le dit dans le Mémorial : « La France était pour moi dans Grenoble.» Corps est toujours à l'heure actuelle une halte privilégiée sur la limite de l'Isère et des Hautes-Alpes, au carrefour des vallées du Valgaudemar, du Dévoluy et du Beaumont, le pays du duc de Lesdisguières le dernier connétable de France. L'hiver le ski, l'été les sports nautiques sur le lac du Sautet, mais la grande particularité de Corps c'est le pèlerinage de Notre-Dame de la Salette, c'est le 2ème pèlerinage marial de France après Lourdes. Le Sanctuaire de la Salette est situé au-dessus de Corps à 1.850 m d'altitude, au bout de cette route de montagne qui emprunte les Gorges de la Sézia. Par contre dans le village de Corps, on peut visiter les maisons natales des témoins de l'apparition de la Vierge Marie : le 19 septembre 1846, une « Belle Dame » était apparu à deux enfants de Corps, Mélanie Calvat, 14 ans et Maximin Giraud, 11 ans qui gardaient les moutons sur un alpage de La Salette. Une basilique néo-romane sera construite sur les lieux de l'apparition de 1861 à 1871.
CORPS - LA MURE - GRENOBLE - MARDI 7 MARS
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Aventurier à Corps, Prince à Grenoble... Pour ce jour le plus long, Napoléon quitte Corps à 6 heures du matin, avec son état-major et un peloton de chevau-Iégers Polonais, laissant la troupe manger la soupe à Corps. Depuis la fenêtre de sa chambre, a-t-il admiré l'Obiou qui culmine à 2.789 m.? Certainement. Par contre il n'a pu profiter de la vue sur le lac du Sautet qui n'existe que depuis 1935. Ils quittent Corps par la route de l'époque qui, après l'ancien hôpital, passe par la terre du Coin pour rejoindre Saint-Brême, village maintenant englouti sous le lac, puis Quet-en-Beaumont et La Salle.

A la même heure, à Vienne, ce mardi 7 mars, un courrier porteur d'une dépêche urgente arrive chez Metternich. Le ministre peut lire sur l'enveloppe : « du Consulat général impérial et royal à Gênes ». Elle ne contient que six lignes : « Le commissaire Anglais Campbell vient d'entrer dans le port pour s'informer si personne n'avait vu Napoléon à Gênes, après sa disparition de I'île d'Elbe. La réponse étant négative, la frégate anglaise a repris 10 mer sans tarder » . Le prince Metternich saute de son lit. A 8 heures il est chez l'Empereur François II, à 8 heures 15, chez le Tsar Alexandre, à 8 heures 30 chez le Roi de Prusse Frédéric-Guillaume III. A 9 heures, rentré chez lui, il convoque, pour 10 heures, les ministres des Quatre Puissances dans son bureau.
- Maintenant qu'il s'est échappé, il faut le pendre !
- Avant de le pendre, il faut le prendre...
Marie-Louise apprendra la nouvelle par Neipperg au cour d'une promenade. Elle ne montra aucune émotion.
Napoléon et Sa troupe retrouvent le général Cambronne à Pont-Haut et arrivent à La Mure à 8 heures où ils font une halte sur la colline du Calvaire. Plus de mille personnes suivent acclamant l'Empereur. Un piquet de chasseurs les maintiennent en cercle autour d'un bivouac improvisé. Pendant cette halte, Napoléon s'entretient avec le maire M. Pierre-Noé Genevois et ses conseillers municipaux. M. Genevois aîné, sera récompensé d'avoir évité de faire sauter le pont de Pont-Haut, il sera sous-préfet pendant les CentJours, donc le premier et le dernier sous-préfet de La Mure. Il fait chaud, un caporal apporte un seau de vin pour les hommes du piquet. Napoléon fait un signe au caporal, dans le même verre que les soldats, boit à son tour, ce qui fait frémir de plaisir ces vieilles moustaches !
A 11 heures, on se remet en route, les Polonais en tête, les chasseurs de la Vieille Garde ensuite, les uns à pied, les autres en charrettes offertes par les habitants, enfin l'Empereur en calèche, son cheval mené en main. Le gros de la colonne venant de Corps n'a pas encore rallié.
A 1 heure de l'après-midi, on est à Pierre Châtel, 161 habitants en 1815. Le maire est Jean-Baptiste Troussier et parmi toute la population accourue, une fillette de 12 ans, Séraphique Troussier, vient offrir à l'Empereur un bouquet de violettes. Cette petite Séraphique se souviendra toute sa vie, elle mourra à 97 ans, de ce baiser mémorable de Napoléon. On longe le lac de Pierre-Châtel, puis celui de Petichet pour arriver maintenant au grand lac de Laffrey. Le plateau se resserre entre les collines et les lacs. Soudain, les lanciers Polonais à bride abattue reviennent vers les chasseurs qui aussitôt sautent de leurs charrettes et chargent leurs fusils. L'Empereur descend de calèche, monte à cheval, puis dépassant les chasseurs pousse vers Laffrey avec les lanciers. Après un temps de galop, ils s'arrêtent : une troupe d'infanterie est rangée en bataille en avant du village. C'est le bataillon de Lessart qui, pris de scrupules de n'avoir pas fait sauter le pont de Ponthaut dans la nuit, occupe le défilé. Cet infortunné chef de bataillon a troublé les historiens de cette fameuse rencontre de Laffrey : il se nomme suivant les ouvrages Lessart, ou Lessard avec un d, ou devenu noble, de Lessard, ou encore Delessart ...
Lessart, donc, a envoyé un courrier à Grenoble au général Marchand et attendant une réponse, espère retarder les rebelles.
A midi, arrive un aide de camp, le capitaine Randon, officier de 19 ans qui n'est autre que le neveu de Marchand. Parti de Grenoble avant que la dépêche arrive, Randon n'a aucun ordre nouveau, mais, jeune et bouillant, assure « qu'il n'y a pas de doute, Bonaparte, il faudra tirer dessus. » Le capitaine Jacques Randon de St Marul, né à Grenoble en 1793, engagé à 16 ans a fait la campagne de Russie, puis lieutenant en 1813, la campagne d'Allemagne. Ce jeune capitaine deviendra maréchal et ministre de la guerre pendant le Second Empire, gouverneur de l'Algérie, pour finir à Genève en 1871.
Il reste avec Lessart qui établit son bataillon en avant du village, les voltigeurs déployés en première ligne. Le commandant Lessart reconnaît Napoléon à sa redingote grise, le voit descendre de cheval, marcher de long en large sur la route, puis observer son bataillon à la lunette. Un grand nombre de paysans l'avaient suivi. Certains approchent des voltigeurs avec des proclamations. Mais les soldats restent fixes à leur rang. Lessart intervient pour chasser les paysans. L'Empereur, à ce moment, lui envoie pour parlementer le général Bertrand qui a reconnu Lessart avec qui il a combattu en Egypte où il avait été décoré par Napoléon. Lessart reste inflexible :
- La France est maintenant au roi. Je ferai feu sur ses ennemis qui s'avanceraient sur mon bataillon.
- Mais si l'Empereur se présente lui-même à vous, que feriez-vous ? Auriez-vous le courage de tirer sur lui ? crie le général Bertrand.
- Je ferai mon devoir ! répond le chef de bataillon.
Et comme le comte Bertrand s'avance pour parler aux voltigeurs, Lessart met la main sur la garde de son épée.
Le capitaine d'artillerie Raoul, aide de camp de l'Empereur, arrive alors à cheval jusqu'au front du bataillon et crie :
- L'Empereur va marcher vers vous. Si vous faites feu, le premier coup de fusil sera pour lui. Vous en répondrez devant la France ! 
Les lanciers Polonais se mettent en route et à cent mètres derrière on aperçoit les longues capotes bleues, les bonnets à poil de la Vieille Garde. Un flottement se produit dans les rangs du 5° de ligne. Lessart voit l'épouvante se lire sur le visage des ses soldats.
Il crie à Randon :
- Comment engager le combat avec des hommes qui tremblent de tous leurs membres et qui sont pâles comme la mort !
Et il commande :
- Bataillon ! Demi-tour à droite... Marche ! 
Car, si depuis une minute, il voit qu'il est impossible de résister, il veut au moins éviter les défections. Les Polonais approchent. Lessart fait presser le pas. On sent le souffle des chevaux dans la nuque. Ne voulant pas être entamé par derrière, Lessart commande :
- Halte ! Face en tête ! 
Et il fait croiser les baïonnettes à sa troupe qui obéit machinalement.
Les lanciers, qui savent qu'ils ne doivent pas charger, tournent bride et se replient à la droite de la Vieille Garde.
Alors, l'Empereur ordonne au colonel Mallet qui commande les grognards de faire mettre à ses hommes l'arme sous le bras gauche. Le colonel objecte qu'il a danger à se présenter désarmé devant une troupe qui n'hésitera pas à tirer et dont la première décharge serait meurtrière.
Napoléon crie : « Mallet, faites ce que je vous dis ! » et seul, sortant de la ligne de ses vieux chasseurs, il marche vers le 5° de ligne.
- Le voilà !... Feu ! s'écrie Randon. Feu !!!
A portée de pistolet, Napoléon s'arrête :
- Soldats du 5°, dit-il d'une voix forte et calme, je suis votre empereur. Reconnaissez-moi ! 
et avançant encore de deux ou trois pas, il entrouvre sa redingote...
- S'il est parmi vous un soldat qui veuille tuer son empereur, me voilà ! 
- Feu !!!  crie le capitaine Randon...

« Vive l'Empereur ! Vive l'Empereur ! Vive l'Empereur ! » Un cri si longtemps comprimé jaillit de toutes les poitrines...
Les rangs sont rompus, les cocardes blanches volent en l'air, des cocardes tricolores sortent des coiffures, les shakos s'agitent à la pointe des ba:ionnettes, les soldats se précipitent vers l'Empereur, l'acclament, le touchent. Le chef de bataillon Lessart désespéré, ému remet en larmes son épée à Napoléon qui l'embrasse pour le consoler. Randon pique des deux, s'enfuit vers Grenoble. Stendhal a relaté cet épisode chargé de drames et d'émotions dans « Mémoires d'un Touriste » et dans sa « Vie de Napoléon ». N'oublions pas que Stendhal est né à Grenoble, en 1783, dans la rue des Vieux Jésuites, aujourd'hui rue Jean-Jacques Rousseau, plaque commémorative au-dessus de la porte. Lieutenant de Dragon sous l'empire, il fera la campagne de Russie en 1812, en qualité d'intendant.
L'Empereur reste calme et tranquille. « Sa physionomie reflète la satisfaction, mais il est impossible d'y percevoir le moindre sentiment d'inquiétude ou d'émotion.» relate le Courrier de l'Isère du 30 avril 1839. Les soldats ayant repris leurs rangs, il leur dit :
- Soldats ! je viens à vous avec une poignée de braves gens, parce que je compte sur le peuple et sur vous. Le trône des Bourbons est illégitime puisqu'il n'a pas été élevé par la nation. Vos pères sont menacés du retour des dîmes et des droits féodaux... N'est-il pas vrai citoyens ? »
- Oui ! Oui !  crient les paysans de Laffrey, de Pierre-Châtel, de La Mure, de Mens, et des villages voisins, que la curiosité et leur sympathie pour Napoléon ont ramenés sur le terrain.
Cet endroit est resté célèbre et s'appelle désormais « La Prairie de la Rencontre ». Une statue en bronze marque la place.
Sur la droite de la route en descendant vous remarquez d'abord un R.I.S. de L'A.N.E.R.N. Arrêtez-vous pour approcher de la statue. C'est une oeuvre de Frémiet, commandée par Napoléon III. Cette statue se trouvait sur la Place d'Armes, aujourd'hui Place Verdun, à Grenoble. Après la défaite de Sedan en 1870, détériorée, elle est mise au placard au dépôt des marbres, jusqu'au jour où Paris et Grenoble se disputent pour la posséder. Paris la voulait pour l'entrée des Invalides et finalement Grenoble, grâce à la ténacité de Marcel Deléon en 1929, obtint de la faire ériger au centre de la « Prairie de la Rencontre », là où Stendhal avait planté un saule...
Elle sera inaugurée officiellement une seconde fois le 31 Août 1930.

A Vizille, c'est jour de marché, depuis midi on est en alerte. La foule est grande. Bientôt, on voit à flanc de colline des cavaliers dévaler et les shakos et les chapskas s'agiter de l'autre côté du pont sur la Romanche. Le maire M. François Boulon et ses adjoints, dans la traversée de la ville, accompagnent Napoléon qui, s'informant des besoins de la commune, fait remettre une somme d'argent pour l'hôpital. Il passe sous les hauts murs de la belle demeure du connétable de Lesdiguières, le « vieux renard du Dauphiné », qui sera maréchal du bon roi Henri IV, en 1609. A la sortie de Vizille, pour suivre la vraie Route Napoléon, suivez la direction Eybens ( D.5 ), qui est la vieille route de Grenoble, par le plateau de Brié-et-Angonnes, Tavernolles, Eybens qui est déjà la banlieue de Grenoble. A l'époque, c'était le grand chemin de la Croix Rouge qui aboutissait à la porte de Bonne.
Pendant ce temps, Grenoble est dans la plus vive agitation. Vers midi le 4° de hussards venant de Vienne, le 7° de ligne commandé par le colonel Charles de La Bédoyère et le 11° du colonel Durand venant tous deux de Chambéry, entrent en viIle. Marchand compte peu sur les hussards qui avaient crié « Vive l'Empereur  ! » l'an dernier lors d'une revue du comte d'Artois. Par contre il est sûr de La Bédoyère un des meilleurs colonels, qui, à 28 ans, a déjà été proposé au grade de général pendant la campagne de France en 1814. De plus il est noble, il a épousé à la fin de 1813 Mlle de Chastellux, brillante famille. D'abord rallié sincèrement aux Bourbons, il avait senti son royalisme décroître et la politique vexatoire du ministère l'avait rangé dans le rang des mécontents. Il a fréquenté les salons d'opposition souhaitant tout haut le retour de l'Empereur. Il avait alors été éloigné en semi-disgrâce à Chambéry. Le colonel Durand, lui a 42 ans, a fait la Vendée, St Domingue, l'Allemagne, la Pologne, l'Espagne. Il est Grenoblois et après la revue, il invite les officiers chez lui rue Jean-Jacques Rousseau.
Retenu dans une réunion par le général Marchand, La Bédoyère arrive le dernier. A son entrée dans le salon des Durand, les officiers le pressent de questions, pensant qu'il apporte une nouvelle : « Eh bien ! Oui, leur dit-il, c'est chose faite, L'Europe ne veut plus des Bourbons, l'Impératrice passe le Mont Cenis avec 40.000 hommes pour rétablir l'Empire.» En entendant ces mots, le colonel Durand, qui était devant sa cheminée s'élance vers La Bédoyère et d'une voix forte : « Et quand cela serait, n'avons-nous pas nos serments ? » Stupéfaction dans le salon. Mme Durand déteste les Bourbons et admire Napoléon. Elle sait que son mari partage au fond de lui les mêmes sentiments. La Bédoyère sans un regard pour Durand qui tente de le retenir sort disant :
- Vous avez le temps, les ordres sont pour 3 heures...
La Bédoyère se rend aux remparts où est posté son régiment. Il est 2 heures. Il ne s'est pas passé une demi-heure qu'on entend battre la générale. Dans le salon, les officiers se précipitent sur leurs armes. Mme Durand leur demande s'iIs oseront se battre contre l'Empereur. Son mari coupe court, ajustant son uniforme pour se contenir : « Allons ! N'écoutez pas les femmes : il faut me suivre...»
A la porte de Bonne, ils rencontrent le général Marchand en fureur. Il vient de voir La Bédoyère arracher sous ses yeux le plumet blanc de son bicorne et de le remplacer par un plumet rouge, tirer son épée en criant : « Grenadiers, soldats, voltigeurs du 7°, à moi ! à moi ! qui m'aime me suive, je vais vous montrer notre chemin ! » Les tambours battent la charge, les compagnies crient « Le 7° à la porte de Bonne ! » et tout le régiment, aux cris de « Vive l'Empereur ! » s'engouffre sous la voûte comme un torrent. A 300 mètres des dernières maisons, à portée de fusils des remparts, La Bédoyère commande : « Halte ! Formez les carrés ! Présentez armes ! » et il fait percer un tambour d'où s'échappent un flot de cocardes tricolores, puis tire d'on ne sait où l'ancien aigle du régiment qu'il fixe sur une branche.
Pour colmater le vide laissé par la défection du 7°, le colonel Durand élargit les rangs de son régiment, mais les plus jeunes s'élancent pour rejoindre ceux du 7°, aussi Marchand fait fermer les portes. Le capitaine Randon arrive à ce moment, épuisé. Il raconte ce qui s'est passé à Laffrey. Il a croisé le 7° régiment de La Bédoyère, rayonnant, certains hommes, le prenant pour une estafette de Napoléon, le saluant par des « Vive l'Empereur ! » Poursuivi par des lanciers de Jermanowski, à tombeau ouvert, il a dévalé la fameuse Rampe de Laffrey pour échapper de justesse grâce à un raccourci, le tracoulet, qu'il a pris à la sortie de Vizille.

A Vizille, ne faites pas comme Napoléon, arrêtez vous au château de Lesdiguières. C'est dans ce château que les Etats du Dauphiné se sont réunis le 21 juillet 1788 dans la salle du Jeu de Paume. Cette Assemblée de Vizille, dirigée par Barnave et Mounier, marque le début de la Révolution. Depuis 1984, le château est devenu le musée de la Révolution où l'on peut admirer de superbes tableaux, sculptures, dessins et estampes de l'époque révolutionnaire. Le château et le parc animalier sont de toute beauté.
Vizille, c'est aussi la route de l'Alpe d'Huez, des Deux-Alpes, du Lautaret, du Galibier, mais pour suivre les grognards nous devons nous écarter de la RN 85 pour prendre la D5 par Eybens. Nous sommes à 15 Km de Grenoble, nous montons sur le plateau de Brié-et-Angonnes, où l'Empereur rencontre le régiment de La Bédoyère venu à sa rencontre.
Le colonel La Bédoyère ne quittera plus l'Empereur qui en fait son aide de camp. A Waterloo, il sera l'un des derniers à quitter le champ de bataille. Après la seconde abdication, il envisage de s'exiler en Amérique. Revenant, clandestin, une dernière fois embrasser sa femme et son jeune fils, il est démasqué par un policier, emprisonné et jugé. Le juge, en se servant des cocardes sorties du tambour, fera admettre la préméditation, et Charles de La Bédoyère sera condamné à mort, fusillé le 19 Août, Plaine de Grenelle.
Sur le plateau de Brié, un grenadier de I'île d'Elbe, originaire du lieu, se précipite à la ferme paternelle et dans l'effusion générale, vient présenter son vieux père à l'empereur qui l'embrasse. C'est maintenant une forte troupe qui marche sur Grenoble. Le 5° de Lessart, le 7° de La Bédoyère et les chasseurs de Laborde mêlés, entourés d'une foule de plus en plus dense. A Tavernolles, l'Empereur s'arrête dans une auberge dont l'enseigne « Aux Trois Fleurs de Lys » le fait sourire. C'est la fin de l'après-midi et depuis ce matin que d'émotions ! La tenancière, la Mère Viguier lui prépare une bonne omelette campagnarde, arrosée d'un pichet de vin. Dernière halte avant la capitale du Dauphiné, Eybens, où Napoléon descend à l'auberge Ravanat, pendant que l'état-major va en reconnaissance jusqu'aux portes de Grenoble. Il est 7 heures du soir et le général Marchand entend de véritables hurlements de la fenêtre de son hôtel qui domine les remparts : face à la Porte de Bonne, plus de 2.000 paysans armés de fourches et de vieux fusils, portant des torches entourant l'avant-garde de Napoléon. Et tout ce monde criant « Vive l'empereur ! » Et depuis les remparts, les canonniers répondant par des « Vive l'empereur ! »
- Sont-elles bonnes vos prunes ? demandent les chasseurs aux artilleurs.
L'officier d'ordonnance Raoul, avec deux lanciers, s'approche de la porte et crie : « Ouvrez ! Au nom de l'Empereur ! »
Le colonel Roussille responsable de la porte de Bonne, fait avertir Marchand qui réplique : « Dites au colonel de répondre par des coups de fusils ! » et il part rejoindre les remparts. Il y a là 2.000 hommes armés et 20 pièces de canons. Il suffit d'un seul coup de fusil pour disperser les assaillants, mais le général Marchand a beau crier, les soldats en riant répondent par des « Vive l'Empereur ! ». Des royalistes essaient de gagner les canonniers en apportant des saucissons et du vin et les canonniers mangent le saucisson et boivent le vin à la santé de l'Empereur ! Le général Marchand s'adresse à un lieutenant d'artillerie réputé royaliste :
- M. de saint Genis ! Si les hommes ne veulent point tirer, les officiers ne tireront-ils pas ?
- Mon général, nous serions hachés sur les pièces, nos canonniers nous ont prévenus !

Pendant ce temps, Napoléon est à Eybens à l'auberge Ravanat, où il prend un bain de pieds. En effet, la Mère simiand, comme elle l'aurait fait pour son mari au retour d'une journée de travail, a préparé un bon chaudron d'eau chaude et du linge. Napoléon accepte de bonne grâce. Après tant de fatigues, parti depuis Corps à 6 heures du matin, même pour des pieds d'Empereur, ça doit être agréable. Le chaudron de cuivre rouge est toujours là brillant dans un salon de la mairie d'Eybens ! Mais il est temps d'en finir, l'Empereur accompagné de La Bédoyère, rejoint la porte de Bonne, en se frayant un passage à travers la foule :
- Je vous ordonne d'ouvrir !
- Je ne reçois d'ordre que du général ! s'écrie le colonel Roussille
- Je le destitue !
- Je connais mon devoir, je n'obéirai qu'au général !
- Arrachez-Iui ses épaulettes crie La Bédoyère aux soldats.
Le tumulte est au comble. Le général Marchand, qui a les clefs de la porte, est rentré dans son hôtel et se prépare à quitter Grenoble. Les charrons de faubourg St Joseph apportent un lourd madrier. Ils vont bientôt faire sauter les portes. Marchand avertit en hâte ses chefs de corps, puis, en direction de Chambéry, passe la porte St Laurent avec 2 à 300 hommes qu'on a réussi à rassembler, et le colonel Durand ,la mort dans l'âme car il laisse sa jeune femme. En partant, Marchand donne les clefs au commandant Bourgade qui les porte au colonel Roussille qui enfin ouvre les portes toutes prêtes à éclater. A une heure du matin cette petite troupe s'arrête à Saint-Ismier, où Marchand a une maison de campagne, pour y dormir. Il ne « donne plus aucun ordre ». Le colonel Durand pousse jusqu'à Biviers chez son beau-père, où sa femme viendra le rejoindre le lendemain après avoir assisté à la revue passée par l'Empereur...
La résistance a duré deux heures. Le docteur Emery sort de son armoire et avec son ami Dumoulin, ils rejoignent un groupe de notables « agents de la première heure » , les docteurs Renaud et Fournier, Champollion-Figeac, professeur à la faculté de lettres, frère de l'égyptologue et d'autres comme le colonel Gauthier maître de la Loge maçonnique du Grand Orient de France. Ils sont nombreux dans l'armée ces officiers en disgrâce, limogés ou déplacés à rechercher dans la franc-maçonnerie une carrière de remplacement ou simplement de la fraternité. Le rôle joué par la loge tout au long de cette Route Napoléon est encore assez mystérieux. Napoléon n'est pas franc-maçon, mais ses frères et un grand nombre de ses anciens officiers le sont, qui auraient pu l'aider.
Porté en triomphe, Napoléon rentre dans Grenoble à 11 heures du soir. Il refuse d'aller à la préfecture désertée par M. Fourrier, pour descendre à l'auberge des Trois Dauphins. En 1791, le lieutenant d'artillerie Buonaparte, en garnison à Valence, passait à Grenoble et logeait dans cet hôtel, un des plus anciens de la ville dont l'enseigne existait déjà en 1412 ! Plus tard, Stendhal viendra et écrira dans ses mémoires : « Je loge rue Montorge chez Blanc, dans la chambre n°2 qu'occupa Napoléon à son retour de I'île d'Elbe ». En 1815, les Trois Dauphins sont à la famille Labarre. Toussaint Labarre le propriétaire n'est autre qu'un ancien artilleur des campagnes d'Italie et d'Egypte...L'auberge est au n°7 de la rue Montorge, tout près de la Place Grenette. C'est aujourd'hui l'Auberge Napoléon, restaurant très réputé à la belle façade flambant neuve. Napoléon va y passer deux nuits et y recevoir tous les artisans de son entrée dans la ville : Jean Dumoulin devient officier d'ordonnance et reçoit la légion d'Honneur et Champollion-Figeac, secrétaire particulier.
GRENOBLE - MERCREDI 8 ET JEUDI 9 MARS
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En six jours, les soldats ont marché plus de 300 km et dans quelles conditions ! Dans la matinée, les derniers retardataires rejoignent peu à peu par petits groupes, l'uniforme couleur poussière. On s'empresse, on les réconforte et on se les dispute pour les inviter chez soi, à la table de famille. Bientôt ragaillardie, ces vieux grognards de la vieille garde se trouveront dans l'après-midi pour une revue solennelle sur la Place de Grenette. De part et d'autre de leur impressionnant carré, les deux régiments où s'est reformé la garnison de la ville, plus une troupe hétéroclite de militaires en demi-solde de tous grades de toutes armes, aux uniformes fripés sortis des armoires qui forme un bataillon qui vient de naître à Grenoble : « Le Bataillon de la Violette ». Les rues avoisinantes sont envahies par une cohue de spectateurs. Les fenêtres, les balcons, les bords des toits, tout est pris d'assaut pour voir la première revue. Les tambours battent « Aux champs » et au centre d'un groupe d'officiers empanachés, de la rue Montorge débouche Napoléon redingote grise, petit chapeau, chevauchant Tauris. Suivi des lanciers du colonel Jermanowski, rutilant, sabre au clair et tunique au vent. Une ovation formidable couvre les carillons de la collégiale St André. Il est trois heures, cette revue va durer quatre heures. Napoléon passe devant chacun, dialoguant à brûle-pourpoint avec un soldat reconnu tout à coup entre mille. Pour l'Empereur, le triomphe se renouvelle à chaque pas. Grandiose par un élan patriotique rarement atteint, familière par ces manifestations d'attachement à l'armée, cette revue enchantera les Grenoblois.

Le matin déjà, à l'auberge des Trois Dauphins, Napoléon avait surpris les autorités municipales, judiciaires, religieuses et l'académie, qu'il avait reçu en audience à tour de rôle. Tous sont curieux et admiratifs, le félicitent de le voir revenir pour relever les principes de la Révolution et tout en protestant de leur dévouement, lui font sentir qu'il fallait se préparer à un règne différent du précédent. Devant ce nouveau langage, éloigné de l'humble soumission d'autrefois, Napoléon ne témoigne aucune gêne ni mécontentement. Tranquille et serein dans son nouveau rôle, il dit à tous qu'il a passé dix mois à réfléchir et à en tirer des leçons, que les outrages au lieu de l'irriter l'avaient instruit : « Pendant mon absence, on m'a couvert d'injures, on m'a appelé tyran et on m'a donné les noms les plus ignominieux. Pourquoi m'obéissiez-vous donc si j'étais un brigand ? Pourquoi observiez-vous les lois que je vous ai données de votre consentement ? Pourquoi acceptiez-vous les places ?.. Je ne puis supporter qu'on avilisse une nation généreuse qui a partagées mes destinées.
Je n'aurais jamais quitter mon île si j'avais cru que la France pût être heureuse. Mais, dès que j'ai vu Louis XVIII dater « l'an vingt et unième de mon règne », j'ai dit il est perdu : il fallait qu'il se dégageât de ses vieilles idées, qu'il s'assit sur le trône que je quittais sans faire de changements, qu'il s'intitulât Louis 1er, datant de l'an l de son règne. Mais pour cela il fallait du courage, de la grandeur et beaucoup d'énergie ! Quand j'ai vu cela, je me suis décidé à revenir en France, sauver ce bon peuple qui ne mérite pas qu'on l'humilie. Ce n'est pas pour moi, j'ai assez de gloire ! Que me faut-il d'ailleurs ? Je mange peu, je dors peu, je n'ai pas de plaisir ...Ce n'est que pour cette grande nation ! »  Le récit de ces visites officielles est rapporté par le maire, M. Renauldon et plusieurs magistrats dont M. Berriat Saint Prix. Puis l'Empereur va leur parler de son fils pour qui « il va travailler désormais, qu'il venait pour préparer son règne, le lui ménager digne et tranquille ».

« A Cannes, j'étais un aventurier, à Grenoble j'étais un prince » dit Napoléon dans le Mémorial.
Le Jeudi 9 mars, sur le petit guéridon de sa chambre à l'auberge des «Trois Dauphins», vont être signés les premiers décrets impériaux « Par la grâce de Dieu et des Constitutions de l'Empire », il est redevenu « Empereur des Français ». Il légifère, nommant M. Claude Colaud de la Salcette préfet de l'Isère, destituant M. Harmand le préfet de Gap qui a déserté, rappelant M. Fourrier, pour être préfet à Lyon. Le frère du nouveau préfet, Jean-Jacques Colaud, commande la 7° division militaire à la place du général Marchand. Surtout, il expédie Dumoulin à Turin avec une lettre pour sa femme Marie-Louise qu'il doit remettre au général Autrichien Bubna que Napoléon connaît très bien, avec qui il avait sympathisé quand l'Autriche était alliée de l'Empire. Dans cette lettre, il lui annonce qu'il est bientôt maître de la France, qu'il l'attend à Paris avec son fils, pour le 20 mars jour de l'anniversaire de leur petit Napoléon...L'Impératrice ne quittera pas Vienne où son fils est déjà otage. Par son attitude changera la face du monde. En effet, Napoléon, si son épouse l'avait rejoint, avait une solution politique : abdiquer en faveur de son fils Napoléon II, avec Marie-Louise comme Régente. Il obtenait ainsi l'aide de son beau-père l'Empereur d'Autriche et pouvait faire l'économie de Waterloo. On sait ce qu'il advint...

A l'auberge des Trois Dauphins, Napoléon reçoit encore la générale Marchand, qui vient justifier la conduite de son mari. Un visiteur est annoncé : le général Chabert, général d'opposition, qui avait crié « au dictateur » au coup d'état du 18 Brumaire, a été jugé et dégradé après une défaite en Espagne.
- Bonjour général. Vous avez beaucoup souffert !
- Oui, Sire, vous m'avez traité de manière cruelle et bien injuste.
- Désormais, je ne vous ferai plus que du bien.
- Vous avez alors beaucoup de bien à me faire.
- Voulez-vous me servir ?
- Je suis et je serai toujours prêt à servir mon pays.
Le général Chabert sera nommé au commandement des Hautes-Alpes.
Napoléon apprendra qu'il a rallié sur les hauteurs de Gap, les troupes royalistes des généraux Gardanne et Miollis, et le fera baron.

Dans l'après-midi du 9 Mars une partie des troupes se met en marche sur Lyon par la Porte de France, après avoir franchi l'Isère. Cette porte existe toujours, elle abrite le monuments aux morts de la guerre 1418. La route, près du jardin des Dauphins, montait à l'époque à flanc de coteau avant de traverser Saint Martin le Vinoux, en direction de Voreppe, Rives et Bourgoin-Jallieu. Le Bataillon de la Violette traîne à ses côtés des grappes d'amis de parents pour « assurer le retour du Père de la Patrie ». « Quinze jours après le séjour de l'Empereur à Grenoble, cent Grenoblois au moins étaient à Paris, sollicitant et répétant partout que c'étaient eux qui avaient mis l'Empereur sur le trône » Stendhal, Mémoires d'un touriste. Toute une armée, les 5°, 7°, 11° régiments de ligne, le 4° d'artillerie, le 3° du génie, un train d'équipages, un parc d'artillerie, en tout 7.000 hommes menés par le 4° de Hussards en tenue étincelante bleu et rouge.
Pendant ce temps à Paris circulent des journaux annonçant que Buonaparte a été fait prisonnier à Grenoble, espérant que la nouvelle serait confirmée le lendemain... Les gros titres successifs de la presse parisienne sont à savourer :
- L'ogre de Corse a débarqué à Golf Jouan !
- Le cannibale marche sur Grasse ! 
- L'usurpateur est entré dans Grenoble.
- Napoléon marche sur Fontainebleau.
- Sa Majesté est attendue demain à Paris.

Passant la Porte de France, l'Empereur monte en calèche, prend la route de Rives où il dîne le soir, à l'hôtel de la Poste. Il arrive à Bourgoin à 1 heure du matin, à l'hôtel du Parc, où Cambronne a fait le logement. Avant de partir, Napoléon déclare : « Dauphinois, sur le point de quitter vos contrées pour me rendre dans ma bonne ville de Lyon, j'ai senti le besoin de vous exprimer toute l'estime que m'ont inspirée vos sentiments élevés. Mon coeur est tout plein des émotions que vous y avez fait naître, j'en conserverai toujours le souvenir. Napoléon.»
Il ne faut surtout pas se méprendre sur l'importance de la Route Napoléon. Cette épopée est d'abord un révélateur de la situation que découvre l'Empereur après onze mois de repos forcé dans I'île d'Elbe. Il en avait ressenti les prémices lors de la campagne de France et durant les négociations lors de la première abdication de Fontainebleau en 1814. Il se trouve confronté à deux France, celle du peuple qui l'ovationne sur le trajet, tout en criant des propos dignes de 89, des « Vive l'Empereur ! » , suivis de « A bas la calotte ! Les aristos à la lanterne ! » et celle des notables, bourgeois enrichis par la vente des biens nationaux, qui veulent la tranquillité pour en profiter.
Les deux l'agacent fortement, ayant toujours détesté les manifestations révolutionnaires autant que les manigances des dignitaires du régime, lui qui a dépassé tous les Hommes Illustres de Plutarque...
Conclusion de la Révolution de 1789, la Route Napoléon annonce les Révolutions de 1830 et 1848... Napoléon découvre l'émergence du clivage gauche-droite, force lui est de constater que la fracture sociale s'est accrue et qu'il n'est plus le catalyseur de la Nation. Pendant les Cent-Jours, il ne sera que l'ombre de lui-même, souvent ailleurs, perdu dans ses pensées, étonné par l'ampleur de son destin et paralysé par la chute de son étoile.
Mais ce qui prime à ses yeux c'est la révélation de la trahison de l'épouse et la perte de son fils, prisonnier à Vienne. Il les attendra à Lyon, retardant sa marche, il ne rentrera à Paris que le 20 Mars, jour anniversaire du petit roi de Rome. Plus tard, les négociations n'aboutiront pas entre Metternich et ses frères, Joseph et Lucien, tous deux en Suisse essayant de détacher l'Empereur d'Autriche de la coalition en faisant du couronnement de son petit-fils l'enjeu de la combinaison. Napoléon fait courir le général Grouchy sus au duc d'Angoulême, dernier Dauphin de France, fils du futur Charles X. Le duc d'Angoulême organise la résistance royaliste dans le Midi. Grouchy, désigné au commandement de Lyon, reçoit l'ordre de l'enlever pour qu'il serve de monnaie d'échange pour forcer Marie-Louise à rejoindre. Le 8 mars, le général Adam Neipperg apprendra à l'Impératrice, au retour d'une promenade sentimentale, que Napoléon s'est évadé de l'île d'Elbe. La nouvelle s'étant répandu à Schönbrunn, des domestiques français crient : « Vive l'Empereur ! ». Ils seront reconduits à la frontière. Le 12 mars, Marie-Louise, sous sa dictée, écrit une lettre officielle à Metternich, se déclarant étrangère aux projets de son époux et se mettant sous la protection des Alliés. Ah ! Marie-Louise, on aurait pu faire l'économie de Waterloo !

Sources Bibliographiques :
- Souvenirs et Anecdotes de l'Île d'Elbe - André Pons de l'Hérault - Plon 1897
- Napoléon et Marie-Louise, Souvenirs Historiques - Baron Claude-François de Méneval - Librairie d' Amyot -1844
- La Fin de l'Empire dans les Alpes (1813-1815) - Georges de Manteyer - Bulletin de la Société d'Etudes des Hautes-Alpes, au  2, rue du Connétable à Gap.
- Le Retour de l'Ile d'Elbe - Catalogue de l'Exposition Napoléonienne intitulée le Retour de l'Isle d'Elbe, 
Musée Grimaldi d'Antibes en 1937, par Mr. Dor de la Souchère - Catalogue en 2 tomes.
- 1815, les Cent-Jours - Henry Houssaye - Librairie Académique Perrin, 1907
- Histoire du Consulat et de l'Empire -  Adolphe Thiers - tome XIX - Editions Lheureux, 1861
- Napoléon et Sa Famille - Frédéric Masson - tome X et XI - Paul Ollendorf et Albin Michel, 1914
- Marie-Louise - Frédéric Masson - Albin Michel, 1926
- Le Vol de l'Aigle - Jean Thiry - Editions Berger-Levrault, 1942
- Le Retour de l'Île d'Elbe - Paul Sénéquier et le Colonel Gazan - Librairies Debraux et Rostan à Grasse, 1902
- La Vraie Route Napoléon - André Chollier - Editions Alpina, 1946
- L'Authentique Route Napoléon de Grasse à Digne - Camille Bartoli - Editions TAC Motifs, 1994
- Napoléon de l'Île d'Elbe à la Citadelle de Sisteron - Pierre de Gombert - Editions du SOCLE - Aix en Provence, 1968 - P. de Gombert était le descendant du maire de Sisteron de l'époque.
- La Chevauchée Héroïque du Retour de l'Île d'Elbe -  Sophie et Anthèlme Troussier - Académie Delphinale, 1964 - La Route Napoléon, de Golfe-Juan aux Tuileries -  René Reymond - Archives du Dauphiné - La Manufacture, 1985
- Napoléon à Grenoble - Arthur Chuquet - Revue de Paris, 1917
- Le Général Cambronne - Louis Garros - Calmann-Lévy, 1949
- Les Chevaux de Napoléon - Philippe Osché, avec la collaboration de Frédéric Künzy, chez l'auteur, 2003
- Photos de l'auteur, Jacques L'Azou et de Franck Ricordel, en toute amitié.

LYON - PARIS

Le lundi 13 mars 1815, Napoléon quitte Lyon par la Barrière de Vaise faisant ses compliments au maire, le baron de Fargues. Le soir à Mâcon, il se déclare mécontent du peu de résistance qu' offrit en 1814 la ville de Mâcon face aux Autrichiens. Les habitants lui répondirent " Pourquoi nous avoir donné un si mauvais maire ? " Le préfet Germain s'est enfui la veille, après avoir publié un libelle injurieux.Napoléon hausse les épaules : " Je l'ai fait pourtant autrefois, chambellan et comte. Ce petit Germain s'est cru obligé de fuir ? Il nous reviendra. La Garde a rejoint par coche d'eau sur la Saône.

Mardi 14 mars, réveillé de bonne heure mais avec toujours ce gros rhume qui le fatigue. Il demande le maire, un négociant en vins nommé Bonne, qui s'est enfui avec le préfet. Un adjoint Brunet rentre maladroit. Napoléon s'amuse à l'embarrasser : " Dites moi vous avez bien reçu la duchesse d'Angoulême l'an dernier ? - Sire, les circonstances. - Mais, vous avez bien fait ! N'est-elle pas ma cousine ? " Départ de Mâcon en fin de matinée. Il passe à Tournus, qui obtiendra la Légion d'Honneur pour ses combats de l'an dernier. La foule est si dense qu'on doit s'arrêter souvent. Le peuple crie " le Père la Violette ! ". On arrive enfin à Châlons vers les 22 h. Se présente une députation de Dijon qui a expulsé son maire et son préfet. Il couche à l'Hôtel du Parc.

Mercredi 15 mars 1815, départ de Châlon à 10h. Napoléon a nommé de nouveaux préfets et sous-préfets à la place des absents. Il nomme à la tête de la 18° division militaire le général Devaux, et donne la légion d'honneur au maire de Saint Jean-de-Losne pour sa belle tenue l'an dernier, en 14. On prend la route de Bourgogne qui passe par Autun, et la RN 6 qui passe par Chagny. La pluie redouble que le froid transforme en neige mouillée. Jean Thiry dit qu'il trouva Autun divisée : apprenant les événements de Lyon, les habitants avaient hissé les couleurs nationales, mais un fort parti royaliste, mené par le clergé important, avait ordonné le rétablissement du drapeau blanc. Napoléon, enrhumé, destitue et remplace les magistrats municipaux et va se coucher à l'Hôtel de la Poste, pas très content de devoir encore aller à l' auberge. Dans la nuit, un officier d'ordonnance du maréchal Ney qui est à Lons-le-Saunier, le baron Passinges vient lui apporter l'adhésion du Rougeaud. On trinque. Napoléon écrit vite un billet à Ney : " Mon Cousin, conservez votre commandement. Mettez sur le champ vos troupes en marche et venez me rejoindre à Auxerre, je vous recevrai comme au lendemain d'Elchingen et de la Moskowa."

Jeudi 16 mars 1815, départ d'Autun, pour se diriger sur Chissey. Ce n'est plus la route habituelle, mais elle très belle et très rustique. On est pas loin de la Nièvre et de Chateau-Chinon, du Morvan et ses forêts épaisses. 20 lieues de route jusqu'à Avallon, acclamé par les paysans qui crient en roulant les R : " Vive l' Empairreurr ! " On relaie à la Pierre Ecrite et on descend sur Saulieu, Napoléon en calèche à six chevaux, escortés par les Polonais, rouges et or, menant Tauris son cheval " blanc persan ". Une Borne Impériale est appliquée près de l'Hôtel-Restaurant " La Borne Impériale ", situé pas loin de cette statue du boeuf charolais. A Saulieu, on retrouve la RN 6, qui vient d'Arnay-le-Duc. On file sur ces montagnes russes, La Roche-en-Brénil, Rouvray aux portes de l'Yonne, Cussy-les-Forges. A droite tout là-bas, il y a Annoux et la maison natale du maréchal Davout. On arrive enfin à Avallon au milieu de la population portant des drapeaux tricolores. Le général Girard est là avec deux nouveaux régiments.

Vendredi 17 mars 1815, à Auxerre, où l’on peut voir la maison de Jean-Roch Coignet et la statue de Davout, c'est ici que l'Empereur retrouve le maréchal Michel Ney. Thomas Bugeaud a été nommé colonel du 14° de ligne en juin 1814, sous la Restauration. Le 4 mars 1815, on lui donne l’ordre de descendre avec son régiment, sur Lyon pour rejoindre le Comte d’Artois qui doit arrêter Napoléon, venant de Grenoble. En passant à Montargis, il apprend la nouvelle: " Napoléon est débarqué à Fréjus !…" Grand émoi dans la troupe, quelques soldats crient " Vive l’Empereur ! " Le colonel Bugeaud, se rend compte que ses hommes lui échappent et interdit l'eau de vie et les cabarets. On descend sur Joigny où il trouve la plus grande part de la population acquise à Napoléon. Il écrit au ministre de la guerre. " Je prends sur moi d’arrêter mon régiment à Avallon ". Il est loin du compte. Il apprend à Avallon la fuite du Comte d’Artois et que Dijon a fait sa Révolution. Il rétrograde vers Auxerre son 14° de ligne murmurant, solution la plus sage pour ne pas provoquer de ralliement, quand arrive de Lyon, le général Ameil rallié à Napoléon. Le général commence à haranguer les soldats qui arborent leur cocardes tricolores. Bugeaud intervient et reprend son régiment en main. Les soldats amusés, mais qui aiment leur colonel, remettent leur cocardes blanches et sont d’accord de reculer sur Vermenton. Le général Ameil donne sa parole de ne plus rien dire en route et part en s’esquivant. Bugeaud fait doubler l’étape jusqu’à Auxerre. Précaution inutile les Auxerrois savent que l’Empereur est à Avallon et que Ney rejoint depuis Lons-le-Saunier. Le colonel Bugeaud est perplexe et fait former les faisceaux sur la place, quand déboulent 40 hussards hurlant « Vive l’Empereur ! » Alors les cocardes tricolores sortent de nouveau des gibernes, les rangs sont rompus. Bugeaud consent à laisser cette explosion de joie. Il est lui aussi peu à peu repris par le prestige de celui qui le nomma caporal à Austerlitz quand il était vélite ! Bugeaud de La Piconnerie, finira maréchal en Algérie,  à jamais célèbre pour " La casquette du Père Bugeaud " chanson immortelle !

Vendredi 17 mars,  Napoléon quitte Mr. Raudot maire d'Avallon, direction Auxerre, où on a prévenu qu'il sera reçu officiellement à la préfecture. Midi arrêt pour déjeuner à Vermenton. Vers les 4 h. cinq voitures apparaissent dans la côte, d'abord celle du préfet Gamot, le beau-frère du maréchal Ney, venu à la rencontre de Napoléon, avec son sous-préfet Audibert, puis celle du général Drouot toujours l'air sévère, celle de l' Empereur accompagné du grand-maréchal Bertrand, une simple voiture de poste autour de laquelle caracolent les Lanciers Polonais avec les colonels Jermanwski et Du Champ et le capitaine Raoul. Suivent la voiture des secrétaires Fleury de Chaboulon, Rathery, Champollion et dans la dernière les gens du service : Marchand, le géant Noverraz, un joyeux luron Gentilini, le Parisien Mameluk Ali. Premier arrêt : le maire Mr. Robinet de Malleville présente le corps municipal, et lit une discours qui sera placardé. C'est le même discours qui avait servi il y a une semaine pour un hommage à Louis XVIII et qui reservira après Waterloo en changeant quelques mots. Napoléon n'est pas dupe ayant lu avec un haussement d'épaules à Avallon une affiche royaliste. La voiture pénètre dans <st1:personname w:st="on" productid="la Pr←fecture">la Préfecture par une porte neuve, reconstruite en 1810 après que l'on ait démolie l'ancienne pour dégager le maréchal Davout, prisonnier dans sa voiture coincée entre les pierres. Sur la cheminée du salon on a mis les bustes de Marie-Louise et du roi de Rome. Le soir vers 6 h. Napoléon demande sa vieille redingote et son vieux chapeau et s'en va passer en revue, Place St Etienne, le 14° de Ligne du colonel Bugeaud. Jean-Roch Coignet d'Auxerre est là...
- Ah ! Te voilà, grognard ! Quel grade avais-tu à mon état-major ?
- Vaguemestre du grand quartier-général.
- Eh bien suis-moi, je te nomme fourrier de mon palais et vaguemestre général...
A 8 heures quand l' Empereur se lève de table et que la musique du 14° joue " Veillons au salut de l'Empire ", une voiture s'arrête à 100 mètres de la Préfecture : Ney descend à l'Auberge de la Commanderie...

Samedi 18 mars, à 7 h, la journée commence par la question rituelle " Marchand quel temps fait-il ? » Le valet de chambre, fine silhouette dans son habit à la française de drap vert, parements et collet brodés d'or, gilet de casimir blanc, culotte noire et bas de soie, ouvre les volets : " Pas meilleur qu'hier Sire ! Hélas ". Sitôt enveloppé dans sa robe de chambre, Napoléon assis au coin du feu, parcourt les journaux arrivés de Paris et les dépêches interceptées. Il prend un bain très chaud et se fait lui-même la barbe pendant qu' Ali lui tend un grand miroir. Marchand tient le savon et la cuvette, avant de le frictionner très fort à l'eau de Cologne, tandis que Napoléon chante faux, entre ses dents, La Marseillaise qu'il entend depuis quelques jours. " Faites entrer le Prince de La Moskowa ! "

Louis Etienne Saint-Denis, dit le Mameluck Ali, dans ses Souvenirs, parus chez Payot, en 1926 : " C'est par l'intérieur que passa le maréchal. Il resta quelques instants dans la pièce voisine de la chambre à coucher, ses yeux pleins de larmes. On a dit qu'il avait eut quelque peine à se décider à venir voir l' Empereur. Il était seul, l' Empereur ne le fit pas attendre. Je crois que ce fut le Grand Maréchal Bertrand qui l' introduisit dans la chambre à coucher..."

Tempête sous un crâne, depuis quelques jours le maréchal Ney dormait mal. Pris entre le marteau et l'enclume, il ne savait plus où était son devoir. Sa charmante épouse Aglaé Auguié, nièce de Mme Campan, subissait sans cesse des brimades à la cour de Louis XVIII où des personnes bien intentionnées l'appelait la fille de la femme de chambre. Pourtant sa mère, demoiselle de chambre de la Reine Marie-Antoinette, et traquée pour cette raison se jeta par une fenêtre quelques jours avant Thermidor. Michel Ney souffrait des persécutions de son épouse, comme il souffrait de voir le peu de cas que faisait les nouveau parvenus au pouvoir qui oubliant les 20 années écoulées. Il avait aussi en mémoires son attitude à Fontainebleau. Pour l'heure il venait de Besançon, où Soult ministre de la Guerre l'avait expédié pour marcher au devant des Elbois, puis de Lons-le-Saunier où il avait donné congé à ses divisionnaires Lecourbe et Bourmont. Cette nuit, il l'a passé à écrire un justificatif à sa conduite. Napoléon la lira mais ensuite la jettera au feu et seul le grand maréchal Bertrand a été témoin de cette entrevue entre l' Empereur et le maréchal Ney. On ne saura donc jamais ce qu'il a écrit. Entre la " cage de fer " et la défection de Lons-le Saunier, il y avait bien tempête sous un crâne. Dans ses Mémoires parus en 1905, le Comte Lavalette qui rencontra le maréchal en fin 1814, sous la Restauration, écrit : " Le maréchal Ney n'aimait pas le gouvernement d'alors, mais, faut-il le dire,  il aimait encore moins l' Empereur ".
La défection du maréchal. Ney fait forte impression dans la capitale. Un courrier de la malle-poste, parent d'un valet de chambre de la reine Hortense, arrivant de Lyon, où il a été le témoin de l'arrivée triomphale de l'Empereur, est appelé aux Tuileries et admis en présence du roi. Interrogé par Louis XVIII, il décrit ce qu'il a vu à Lyon et à Auxerre : " Ma foi, Sire, votre noblesse est bien lâche. J'ai vu votre frère revenir seul avec deux gendarmes, tout le reste l'avait abandonné. " Les courtisans s'empressèrent de lui imposer le silence. Le Roi, fort accablé, mit ses deux mains sur la figure et le congédia. Le directeur de la Police lui interdit de raconter ce qu'il avait vu et de sortir de chez lui. Mais le courrier raconta tout à sa fille qui alla le dire à son mari, qui alla..." (Mémoires Reine Hortense, Tome II, Plon en 1927). Jean Thiry écrit que des Vendéens, déguisés en femmes, descendirent pour assassiner Napoléon...

En Hollande, le Prince d'Orange, souverain des Pays-Bas depuis quelques mois, publie une patente où il déclare prendre les titres de Roi des Pays-Bas et Duc du Luxembourg. A Bruxelles, il passe en revue les troupes, qui prête serment à Guillaume, par la grâce de Dieu, Roi des Pays-Bas, englobant la Belgique que le Congrès de Vienne a décidé de réunir à la Hollande. La cérémonie est lugubre et se déroule dans une brume épaisse. La foule regarde passer l' état-major Hollandais et vers le soir, les troupes descendent, ouvrir la voie aux alliés Anglais annoncés. Ils passent par une chaussée pavée dans un village, comme tous les autres villages : Waterloo...

Ceux qui voulaient se reposer à Auxerre en sont pour leur frais. Napoléon réunit les bateliers et les retient pendant une heure. Ils médusés de voir qu'un Empereur en sait sur la batellerie autant qu'un marinier. Les troupes vont remonter par le coche d'eau, en péniches, barques, tout ce qui flotte. Par Fleury de Chaboulon, qui a intercepté des dépêches, il apprend qu'on cherche à le supprimer : " je ne puis concevoir comme des hommes exposés à tomber dans mes mains peuvent mettre ma tête à prix. Si j'eusse voulu me défaire d'eux, j'aurais trouvé comme eux des Georges, des Brûlart, des Maubreuil ". La Garde, arrivée à Chaumont, aux ordres du maréchal Oudinot, quitte son maréchal, qui remonte dans sa propriété de Jean d'Heurs. Ce 18 mars, la Garde remet sa cocarde tricolore. Ce même jour, le Duc d' Orléans est à Cambrai accompagnant le maréchal Mortier. Il pense fort que Napoléon va faire tomber la branche aînée, puis sera chassé par les Souverains Alliés et qu’il n'aura qu'à tirer les marrons, du feu.

Samedi 18 Mars 1815,  débandade dans le boulevard Saint-Germain. De bonne heure de grosses berlines bourrées de bagages ont filé comme en 89. Des domestiques restent pour secouer les tapis, sortir les housses et fermer les persiennes. Vitrolles, qui veut résister, ce couillon de Vitrolles comme dit Louis XVIII, se fâche avec Blacas favori du roi. Le Duc de Richelieu fait appeler le Comte de Rochechouart, qui a été son aide de camp pendant 10 ans, du temps où ils servaient le tsar, 10 ans Gouverneur de la Crimée. " Tout va mal finir mon cher, dit Richelieu. Dans le danger que court le Roi, je ne puis l'abandonner. Voici 10.000 franc-or que Ouvrard m' a procurés. Si vous avez quelque argent, réalisez-le et faites vos préparatifs. Vous avez deux chevaux, prêtez m'en un, nous partirons ensemble dans quelques heures sans doute. " Ouvrard, Lafitte et les vingt grands banquiers qui tiennent les fortunes de France sont les hommes les plus occupés du jour : plus de 20 Millions de francs vont être convertis. La bourse tombe à 66 francs, étant à 78 le 5 mars.
Le journal Le Moniteur annonce que le calme a été rétabli à Lyon, que le général Marchand a reconquis Grenoble, et Napoléon est pris en tenaille par les troupes remontant le Rhône et l'armée rassemblée à Melun sous les ordres du Duc de Berry secondé par le maréchal Macdonald. Vive discussion entre Berry et Macdonald qui part vers le roi offrir sa démission. Louis XVIII n'accepte pas. Le maréchal dans ses Souvenirs parus chez Plon en 1892, écrit qu'il est " bien résolu à ne plus se mêler de rien, sauf à suivre avec loyauté la ligne de ses serments. " Il demande au Roi de lui dire en cas d'événements dans quel département il se propose de se retirer
- Dans la Vendée, répond Louis XVIII ...
- Dans ce cas tout est perdu, si votre Majesté prend cette direction, Elle y a sans doute, des partisans plus qu'ailleurs, mais le plus grand nombre restera inactif : il est fatigué, rassasié de guerre civile. Vous y serez poursuivi, on s'emparera des côtes et toute retraite sera impossible.
Rendez vous en Flandre, l'esprit des départements du Nord et du Pas-de-Calais vaut mieux qu'ailleurs. L'une ou l'autre des places servira de ralliement où vous pourrez établir votre gouvernement." Bon comédien Louis XVIII avait dit Vendée pour s'entendre répondre Flandre. On sait que les Bourbons n'ont pratiquement jamais rien fait pour les Vendéens. Macdonald devenu le soutien de la royauté pourra le soir même reprendre le duc de Berry, revenu de Melun et qui lui jette : " Oublions ce qui s'est passé ce matin et travaillons ensemble. Dès ce moment vous êtes chargé de tout. - Cela ne se fait pas ainsi répond Macdonald, faites mettre à l'ordre que je prendrais demain à 10 heures le commandement et que la correspondance me soit adressée... " Les généraux Maison et Dessolles, fidèles au Roi, viennent dire à Blacas favori du Roi, qu'ils se tiennent prêts à sacrifier leur vie en attaquant Napoléon. Mais que leur résistance ne serait jamais pardonnée et qu'en cas d'échec ils perdraient leur fortune et devraient s'exiler. Il leur fut compté à chacun 200.000 francs. Autre débandade, chez les Libéraux, anciens Conventionnels, ralliés et assis entre deux chaises, on s'esquive. La Fayette rentre en Auvergne, comme Fontanes. Mme de Staël ferme son salon. Dans ce désarroi, Chateaubriand suggère de se ranger autour du Roi pour se faire égorger. Seule Juliette Récamier garde la porte ouverte et Benjamin Constant, qui vient de terminer son Adolphe, écrit un article qui paraît demain dans Le Journal des débats : " Il reparaît cet homme teint de notre sang ! cet Attila..." L'après-midi dans les Jardins des Tuileries, des jeunes exaltés insultent un demi-solde, le frappe à mort et l'abandonne au coin de le rue St-Honoré, le crâne ouvert. Les Bonapartistes suite à cet incident restent cloîtrés. Ce même jour, en Italie, Murat se met en marche pour Rome. A Auxerre, Napoléon écrit à Marie-Louise, sa troisième lettre depuis son départ de l'île d'Elbe qu'un officier déguisé en négociant tentera de porter à Vienne : " Ma bonne Louise, Les peuples courent en foule au-devant de moi. Des régiments entiers quittent tout pour me rejoindre Je serai à Paris quand tu recevras cette lettre. Viens me rejoindre avec mon fils. J'espère t' embrasser avant la fin du mois "

Dimanche 19 mars, c'est le Dimanche des Rameaux.  L'Observatoire de Paris indique 8 degrés et une pluie fine, puis temps couvert pour la journée. Il y a des gelées dans l'Est et le Centre. Soleil sur la Méditerranée et Dauphiné. Les bords de l'Yonne sont saupoudrés de neige. La journée du 18, Napoléon a organisé le dernier bond qui le conduira à Paris. Par l'intermédiaire de Bertrand et de ses secrétaires, aide de camp il a fonctionné comme à la veille d'une bataille. Ce dimanche, Ali a changé la voiture qu'il trouvait trop "dure", les ressorts fatigués, pour celle du préfet Gamot, et, également, pour passer inaperçu. D'Auxerre à Joigny, voiture à six chevaux au grand galop. On relaie hors de la ville de Joigny pour aller plus vite. Les postillons se rangent dans une auberge du faubourg, on s'y arrête une heure pour une collation et laisser les voitures suivantes rejoindre. Puis on traverse Joigny, direction Sens. Pendant que l' Empereur galope sur Sens, Mr. de Marsilly, de garde parmi les Cent-Suisses, aux Tuileries " Jour de peine et de douleur. Temps pluvieux. Le Roi a été à la messe. que la musique était belle ! Est-ce la dernière fois que je l'entendrai ? Le Roi s'est montré au balcon. Que de cris " Vive le Roi ! Mais ce ne sont que des signes. L'armée abandonne le Roi. Ce bon Roi a été trompé jusqu'au bout. A 4 heures, il a été passé la revue des détachements de Sa Maison, et on chargeait les malles dans les voitures..." A cent kilomètres de là, Napoléon arrive à Sens, où il faut s'arrêter tant la foule est nombreuse. Mr. de Laurencin, le maire vient se présenter. L' Empereur qui redoute une révolution sanglante dans la capitale, lui dit : " Les avant-postes sont aux mains. Il n'y a pas un moment à perdre pour empêcher le sang de couler et ma présence seule peut tout rallier. " A Paris, le maréchal Macdonald raconte dans ses mémoires "Il y avait à peine une demi-heure que le Roi était parti passer Sa Maison en revue, que je le vis revenir. Surpris d'un si prompt retour, je montai au château. la foule grossissait à chaque instant et le Roi s'en inquiétait. Je lui dis que c'était une curiosité bien naturelle et qu'on était dimanche qui pouvait amener beaucoup de monde aux Jardins des Tuileries..." C'est la peur de la foule qui fait retourner le Roi. Macdonald fait vider les voitures et les fait partir pour faire croire qu'on décommande le départ. " Vous pourrez rappeler les voitures dans la nuit quand tout le monde sera dispersé." En effet à 17 heures il n'y a plus personne au abords du Palais.

Les nouvelles de la fuite du Roi ne tardent pas à arriver aux oreilles des 20.000 hommes du duc de Berry, échelonnés entre Villejuif et Essonnes : 1er corps d'infanterie sous Maison, à Chevilly - 2ème corps sous Rapp, à Bourg-la-Reine - Kellermann fils, avec la cavalerie en éclaireur. Belliard commande en second pendant l'absence du maréchal Macdonald. Le soir, ce maréchal fait passer l'ordre de se replier à Saint-Denis pour monter sur Beauvais. A la nuit Napoléon et sa suite arrivent à Pont-sur-Yonne. C'est une petite ville de 1.200 habitants, étroite et on relaie au bout du pont. Epuisés par une étape de 18 lieues, on fait un bon repas et on se repose quelques heures.Cette nuit aux Tuileries, va se passer l'épisode le plus atroce de ce déménagement : on a égaré les pantoufles du Roi ! Au maréchal Macdonald, Louis XVIII soupire en montant dans sa voiture " Vous verrez avec l'âge, l'importance d'avoir des pantoufles formées à son pied !..." Et Louis XVIII, qui avait déjà réussi son " Varennes " en 91, part courageusement vers Beauvais. Le duc de Berry et le maréchal Marmont qui commandait la maison du Roi, forment l'escorte. Tous les ministres partent dans la nuit...
A lire : Servitude et Grandeur Militaire d'Alfred de Vigny, qui galopait cette nuit-là aux côtés du Roi. La Semaine Sainte, d' Aragon. En relisant dans différents livres cette fin de Route Napoléon, surpris d'y retrouver les maréchaux Marmont et Macdonald, qui se détestaient. Il y aura une altercation entre ces deux maréchaux en ce dimanche des Rameaux à Paris...

Napoléon a quitté l'Hôtel de l'Ecu de Pont-sur-Yonne. Louis XVIII sa "bonne ville de Paris ". Lui, d'habitude couché à 9 heures, on l' a emmitouflé dans une demi-douzaine de caleçons et de gilets pour combattre le froid. De Pont-sur-Yonne à Montereau, il y a une encablûre. Arrivé à Fossard, l' Empereur trouve alignés le long de la route des cavaliers emmitouflés. Ce sont le 13° Dragons de l'armée du Duc de Berry. Leurs officiers sont partis tandis que leurs hommes préfèrent rallier. Seul le colonel Moncey, fils du maréchal, qui commande le 3° Hussards et qui aime Napoléon, "mais croit que son devoir est de suivre le Roi " monte sur Beauvais. Son régiment qui aime son colonel et qui " croit que son devoir est de suivre son colonel ", tourne bride et en criant " Vive l'Empereur ! " monte vers le Nord. Aux Tuileries, Vitrolles, se retrouve bien seul. La veille, il a essayé d'entraîner Monsieur, le Comte d'Artois sur la route de La Rochelle : " Je voudrais que tant d'hommes dévoués ne soient pas abandonnés par les princes pour lesquels ils se dévouent. Enfin je voudrais, si nous devons périr, que ce soit dans le sang plutôt que dans la boue ! " Dans la nuit, Napoléon, en route pour Melun où il croit trouver l'armée du duc de Berry, voyant ses troupes échelonnées sans officiers, décide de rentrer à Fontainebleau et bifurque sur Moret-sur-Loing.

Lundi 20 mars 1815, Lundi-Saint,arrêt à Moret à l'auberge " La Belle Image " tenue par Mme Clément la femme du maire. La mairie est toute bariolée, pavoisée de tricolore. Comme c'est dimanche, tout le monde a bien bu et chante en attendant le convoi. Sans tambour ni trompette, l'Empereur débarque et demande à se reposer quelques instants. Il ne dormira que d'un oeil. On lui envoie des courriers tous les 1/4 d'heures. Jusqu'à Drouot, qui surprenant un gamin l'oeil collé au trou de la serrure, d'un coup de pied bien placé, envoie l'indiscret au pied de l'escalier. Le vacarme réveille l'Empereur. On reprend la route, Napoléon toujours inquiet de savoir Louis XVIII à Paris et redoutant un soulèvement populaire. On arrive à Fontainebleau. la vile dort mais le château est illuminé. Entrée dans la cour du Cheval Blanc, bien connue des grenadiers de l' île de France, la cour des Adieux du 20 avril de l'an dernier ! L'Empereur épuisé monte les escaliers en fer à cheval, au bras de Bertrand. Il va aussitôt à sa chambre où brûle un bon feu de bois, se fait tirer les bottes et se couche à demi vêtu.
Le soleil se lève à 6 heures, il fait 8° c'est le printemps. Le général Haxo qui rejoint Louis XVIII, trouve les Tuileries quasiment désertes. Lavalette à 7 heures a pris sur celui de prendre la direction de la Poste et prévient les maîtres de postes que l'Empereur sera là avant deux heures et de ne plus fournir de chevaux sans autorisation. Lavalette interrompt la publication du Moniteur. Aux Tuileries, le ministre des Finances a oublié 50 millions dans les coffres.  A Fontainebleau, Napoléon se lève avant 8 heures et prend un bain brûlant puis se fait frictionner. Pourtant Ali remarque qu'il n'a pas " récupéré et que, quoique il eût voyagé en voiture, depuis Grenoble il paraissait fatigué. " Revues sur revues dans la Cour du Cheval Blanc aux troupes qui arrivent sans cesse. Les Elbois montés par coche d'eau arrivent par Montereau. Bertrand qui n' a pas dormi est débordé. Comment nourrir tout le monde et toujours cette incertitude du côté de Melun.
A Vienne, en Autriche, l'Aiglon s'apprête a fêter ses 4 ans. Le roi de Rome se réveille dans un nouveau décor. A l'annonce du débarquement de son père, on lui a fait quitter Schöenbrunn pour le palais froid de la Hofburg plus facile à surveiller. On a doublé les sentinelles habillées en domestiques, avec ordre de surveiller les trois Français qui restent et qui ne vont pas tarder à partir, Mme de Montesquiou, Ménéval et Bausset. L' Aiglon a vécu heureux jusque maintenant à l'ombre de sa Maman Quiou qui lui a fait traverser les premières années, à l'abri des turpitudes. La comtesse de Montesquiou, gouvernante des " Enfants de France ", l'a protégé dans sa tendresse toute naturelle sous des apparences rigides. Il l'appelle " Maman Quiou ". Avec elle, il a vécu la disparition de son père, le départ des Tuileries et la déportation à Schöenbrunn, où il a retrouvé les mêmes habitudes. Il y a aussi une belle dame qui lui glisse des mots en allemand à l'oreille, des mots doux comme un Apfelstroudel, qu'il doit aussi appeler Maman et que les autres continuent d'appeler Majesté.
Sur la route de Fontainebleau, les gens accourent pour revoir l'Empereur. On entend souvent revenir cette phrase : " C'était prévu qu'il arrive le 20 mars pour l'anniversaire du petit !..." L'Empereur appelle Fleury de Chaboulon :- Vous allez partir en avant. Vous ferez tout préparer. - A Essonnes, Sire ? - A Paris. Le Roi et les Princes sont en fuite. Je serai ce soir aux Tuileries. 

Le courrier de La Valette est arrivé. En même temps que d'autres messagers envoyés par Savary, Hortense et peut-être Fouché. A Paris, les généraux Exelmans et Sébastiani ont pris les choses en mains. Le drapeau tricolore flotte aux Tuileries, à 2h 20, dôme de l'Horloge, aux Invalides à 2h30, à 2 h 45, au Lycée Louis le Grand, le fils de Carnot, par la fenêtre voit le drapeau hissé au sommet de la colonne Vendôme.
Le général Neipperg fait ses adieux à Marie-Louise. Il part prendre la tête d'une division en Italie contre le beau-frère Murat.

Dans l'après-midi de ce lundi 20 mars 1815 à la Chambre de Communes un homme se lève pour poser des questions au tout puissant Castlereagh, Premier Ministre qui vient rentrer du Congrès de Vienne. C'est Samuel Whitbread, leader des Whigs, opposants du fort parti des Tories qui depuis 15 ans mène la lutte contre <st1:personname w:st="on" productid="la France. Depuis">la France. Depuis le début de mars, Londres est en ébullition à cause du Bill sur les grains qui rend les pauvres encore plus pauvres. - Alors, demande Samuel Whitbread, est-ce bien le moment de relancer l'Angleterre dans une guerre sur le continent qui achèvera de nous épuiser ? Votre célèbre assemblée de Vienne a tant fait qu'elle a ramené Bonaparte sur la scène politique, elle l'y ramène investi d'une nouvelle force morale sur ses adversaires. Je voudrais savoir si les Puissances n'ont pas donné elles-mêmes à Bonaparte des sujets légitimes de plainte ? Le Traité de Fontainebleau a-t-il été violé ? A-t-on refusé de payer la pension qu'on lui avait promise ? A-t-on essayé d'enlever au jeune fils de Bonaparte les duchés de Parme ? Si Bonaparte triomphe, il est vraisemblable que de grands revers lui auront mieux appris à juger ses véritables intérêts et que par conséquent, l'Angleterre pourrait rester en paix avec lui "…

Aux Tuileries la nuit est tombée. Dans l'après-midi, à la suite d'Exelmans, les dignitaires impériaux sont réapparus, avec Hortense qui porte les habits du deuil de sa mère, l'Impératrice Joséphine Dans le Salon des Maréchaux, ces dames à genoux décousent les lys des tapis pour laisser apparaître les abeilles. Tout le monde s'embrasse. Fleury de Chaboulon arrive très intimidé. C'est vers les 9 heures que Napoléon entre dans Paris. Ali raconte : " On arriva à la barrière de Villejuif, on suivit le boulevard et on atteignit les Invalides; on passa le pont Louis XVI et on entra dans la cour des Tuileries par par le guichet du Pont-Royal... " On est toujours dans la calèche du préfet Gamot, le beau-frère de Michel Ney. Elle pénètre dans la cour et personne ne reconnaît la voiture... Quand apparaît le petit chapeau, c'est une explosion, une commotion, une émotion... Toujours Ali : " Il ne nous fut plus possible d'avancer. Toute la partie du côté du Pavillon de Flore était remplie d'une masse de généraux, d'officiers, de gardes nationaux et d'une grande quantité de personnes de distinction, qu'il me fut impossible de faire avancer la voiture jusqu'au perron. L'Empereur, voyant qu'il ne pourrait aller plus loin, descendit dans la foule immense qui se pressait autour de lui. « Mes enfants vous m'étouffez ". Au même moment, Maman Quiou fait ses adieux au petit Roi de Rome et l' embrasse pour la dernière fois... Ainsi va la vie...

EN PARTANCE POUR L'EXIL
Le beau métier de bouquiniste m’a permis, en suivant les Reconstitutions Historiques de revivre cette épique époque. Ce mois d’août, l’île d’Aix nous permettait de découvrir ce qu’avaient été les derniers instants de Napoléon sur cette terre de France qu’il adorait par-dessus tout. C’est ici que Napoléon passe ses derniers jours le 13, 14 et 15 juillet 1815 avant de se sacrifier pour l’honneur et la grandeur de sa légende immortelle. Là, dans sa chambre, devant son lit, on peut mesurer la densité dramatique de son dernier parcours : là se termine La Route Napoléon qui, aux dires de son médecin O’Meara, fut ses moments les plus heureux depuis le sacre. Là, on refait la bataille de Waterloo cent fois en remplaçant Soult par Berthier, Ney par Davout, Grouchy par Gérard et les combinaisons sont multiples, n’est-ce-pas Drouet D’Erlon ? Il y a trois mois, l’Empereur, après Golfe-Juan et Grenoble, était à Lyon. Il y a un mois il se mettait en route pour Charleroi et Ligny. Quelle destinée ! Après Waterloo, rentré à Paris le 21 juin, à l’Elysée Napoléon abdique en faveur du roi de Rome. Les Chambres élisent une Commission de Gouvernement présidée par Fouché et comprenant Carnot, Caulaincourt, Grenier et Quinette. Acclamé quotidiennement à l’Elysée, Napoléon, pour préparer son départ, se réfugie le 25, à la Malmaison, où tant de souvenirs heureux le réconfortent. Le 29 juin, à 17 h 30, après les derniers préparatifs et les derniers adieux à sa mère et aux proches, c’est le départ pour Rochefort où attendent deux frégates la Saale et la Méduse, avec l’aviso l’Epervier, pour une destination qu’il peut encore choisir. Napoléon a l’intention de s’embarquer vers les Etats-Unis. Avant de partir, on s’est abonné aux principaux journaux parisiens qui seront adressés poste restante à New-York. Coiffé d’un chapeau rond et en habits bourgeois, accompagné des fidèles Savary et Bertrand, Napoléon, pour ne pas être reconnu, fait route dans une calèche isolée. Envoyé par Fouché, le général Léonard Becker sert de chaperon. C’est le beau-frère de Desaix, le héros de Marengo, et il saura rester complaisant. Tous sont en habits civils. Le mameluck Ali est sur le siège près du cocher. Marchand a mis 20.000 francs dans un petit coffre pour les besoins de la route. Pas d’escorte. Les autres : Gourgaud, Las Cases, Montholon, Louis Marchand avec les bagages, ont rendez-vous à Rochefort. Cette dispersion est nécessaire pour éviter d’attendre aux relais. Par Rocquencourt et Saint-Cyr, on atteint le soir, Rambouillet où l’on arrive à 10 heures du soir. Dernier château. Au même moment le 8ème régiment de hussards prussiens, sur ordre de Blücher fonce sur la Malmaison. Par Chartres, Chateaudun, passant devant Les Coudreaux, propriété de Ney, puis Vendôme, Tours, Poitiers. C'est la même route que Marie-Louise, en 1814.

Dimanche 2 juillet on est à Niort à l’Auberge "A la Boule d’Or ". Gourgaud et Marchand y arrivent aussi, Montholon avec un convoi plus important passe par Angoulême. Niort, Napoléon y est passé avec Joséphine en revenant de Bayonne. C’était le 6 août 1806... Il a fait la fortune de la ville en faisant travailler ses industries de chamoiserie, notamment les culottes de peau de la Cavalerie. Deux escadons du 2ème Hussard passent près de l’auberge. A leur tête, le capitaine Voisin reconnait son Empereur et donne l’alerte. Aussitôt toute la population accourt pour l’acclamer et survient le préfet Busche qui lui offre l’hospitalité à la Préfecture où Napoléon retrouve, ce dernier dimanche, des allures de souverain. A quatre heures du matin, le départ de Niort est déchirant. Des soldats, des civils ont couché sur le sol devant la grille de la Préfecture. « Non ! Ne partez pas ! Restez avec nous ! " - " Laissez mes enfants. Je ne suis plus rien, voyons ! je ne suis plus rien." On traverse la Vendée par Mauzé le Mignon, Saint Georges du Bois, Surgères, Muron, des régions qui, asséchées par des drainages, deviennent prospères. L’arrière-pays alerté, les paysans qui achèvent la fenaison, sachant le bien qu’ont fait ces travaux sous l’Empire, viennent à travers les meules de foin le saluer sur les bords de route. Lundi 3 juillet, à 8 h. du matin, on entre à Rochefort. A la Préfecture, comme à Niort, Napoléon se sent encore souverain dans cette ville favorable à l’Empire qui a enrichi ce port avec les arsenaux, les chantiers, la corderie, la fonderie et les remparts. L’Empereur y restera cinq jours à attendre les sauf-conduits qui doivent lui permettre de rejoindre les Etats-Unis, mais ni le Préfet Maritime François Bonnefoux, de Marmande, ni Pierre Philibert, un ancien de Trafalgar, Commandant la frégate La Saale, ne les ont reçus, et les instructions stipulent qu’il est urgent d’attendre. François Ponée, Commandant l’autre frégate La Méduse, bouillant officier bonapartiste, est prêt à passer outre, mais moins ancien en grade, il est subordonné au Commandant Philibert. Pendant ces cinq jours, les solutions pour partir ne manqueront pas. L’Amiral-Comte Pierre Martin, vieux loup de mer, retiré à Rochefort, tout dévoué à l’Empereur et qui a été appelé, suggère un plan qui ferait embarquer la troupe sur la frégate La Bayadère du Commandant Charles Baudin, fils de l’ancien conventionnel, lui aussi tout dévoué. Il y a encore au port des navires marchands américains très rapides. Puis, c’est Jean-Victor Besson d’Angoulême, fidèle et vaillant marin de l’Empereur, ancien de la campagne de Russie. Il possède depuis son mariage au Danemark une flottille marchande et il se fait fort, avec son brick Magdalena, de faire passer Napoléon avec sa suite cachée parmi les tonneaux d’eau-de-vie. Mais, il faut se décider vite, car Fouché, maintenant que l’Empereur s’est éloigné, prend de l’assurance. Il a fait nommer son ami Richard, ancien conventionnel, préfet de Charente et écrit à Becker : " Napoléon doit s’embarquer sans délai. Vous ne savez pas jusqu’à quel point la sûreté et la tranquillité de l’Etat sont compromises par ces retards. Vous devez donc employer tous les moyens de force qui seraient nécessaires, tout en conservant le respect qu’on lui doit." Joseph Bonaparte a rejoint Rochefort dans la nuit du 4 au 5 juillet, et parvient à affréter un navire marchand, un brick transportant du Cognac qui le transportera en Amérique en trente-deux jours. Mais Napoléon répugne à cette solution qui est une fuite honteuse. Joseph, son aîné qui lui a servi de cadet, peut le faire mais, lui, il se doit à sa grandeur.

Vendredi 7 juillet, le Général Becker qui escortait pour surveiller, reçoit la dépêche de la Commission de Gouvernement dont le ton est sans discussion. Le 8 au matin de bonne heure, il rend compte à l’Empereur des nouvelles instructions de Fouché. Fouché sait que Rochefort est bonapartiste, et il tremble, au moment où négocie pour restaurer Louis XVIII, à l’idée que Napoléon puisse reprendre la tête de l’Armée qui se replie sur la Loire. Il le veut sur les frégates, sur une bonne prison flottante entre les Anglais et les Royalistes qui peu à peu se remettent en place. Les Anglais alertés par le même Fouché ont dépêché sur place une division composée du vaisseau le Bellerophon et les corvettes La Daphné, le Slaney et le Myrmidon. Sir Frederick Maitland commande le Bellerophon, vaisseau de 74 canons, mais qui a beaucoup souffert à Aboukir et à Trafalgar. Vieux navire, assez lent, il est surnommé par l’équipage peu versé dans la mythologie, Billy the Ruffian ( Bill le bandit ). Bellerophon est le fils de Neptune et le petit-fils de Sisyphe. Devant ces menaces, Napoléon, sans plan précis encore, décide de rejoindre Fouras, d’où on peut se mettre en sécurité sur l’île d’Aix ou se refugier sur les frégates. L’île d’Aix, il connaît pour y être venu en tournée d’inspection le 5 août 1808. Il avait alors commandé la construction de cette Maison du Commandant. Il ne pouvait imaginer qu’il y passerait ses trois dernières journées sur le sol de France, et que ce serait aujourd’hui le Musée Napoléon. Comme à l’Elysée et à la Malmaison, les voitures de la suite trompent la foule, massée Place Colbert acclamant le convoi, pendant que l’Empereur sort par une porte dérobée, s’éclipse par les jardins et rejoint le convoi sur la route de La Rochelle. On oblique à gauche, vers Fouras, une bourgade de pêcheurs. Une petite flottille attend dans l’anse de la Coue : les canots du port de Rochefort et ceux des frégates. Mais il n’y a pas assez de tirant d’eau pour qu’ils accostent au rivage et l’embarquement de tout ce petit monde se fait à dos d’homme. Napoléon quitte son Empire sur le dos de Beau, un grand et fort marin-pêcheur en larmes. Il y a là trente pêcheurs et marins bouleversés. Certains, sous le Second Empire, raconteront : « Nous pleurions comme des filles... » Au sud du Fort Vauban, l’emplacement est encore marqué d’une stèle en granit avec cette inscription : 

Ici, le 8 juillet 1815 - Napoléon 1er a quitté le continent - Pour l’exil - L’Empereur a été porté jusqu’à la baleinière - Par le marin BEAU - Natif de Fouras. Don du Baron Gourgaud, arrière-petit-fils du Général Gourgaud

Or, la mer est trop forte. Un canot manque de chavirer, Napoléon fait tourner court vers les deux frégates et on s’embarque non sans mal à bord de la Saale et de la Méduse. La suite de ses fidèles s’est accrue jusqu’à 64 personnes avec les bagages que surveillait Louis Marchand. Sur la Saale, l’Empereur est reçu avec les plus grands honneurs. On installe la chambre à coucher dans la salle du Conseil. Montholon, avec le Colonel Planat de la Faye, est sur La Méduse. Ce même jour, Louis XVIII fait son entrée dans Paris, entouré des Maréchaux Victor, Marmont, Macdonald, Oudinot, Gouvion Saint-Cyr, Moncey et Lefebvre.

Dimanche 9 juillet, le temps est au calme. Napoléon se fait conduire sur l’île d’Aix pour une simple visite. Il passe en revue les troupes de marine stationnées au Fort de la Rade, le 14ème régiment de Marins de Haut-bord, formés par les équipages 27 et 28, d’après un décret impérial du 26 avril 1815. Le Capitaine de Vaisseau Coudeuin leur sert de Colonel. Près de 1.500 hommes, dont beaucoup reviennent d’une longue captivité dans l’enfer des pontons anglais, mais tous prêts à se faire tuer pour leur dieu...Cependant, Napoléon ne prend aucune décision et on va rester cinq jours sur les frégates à attendre on ne sait quoi. Cinq jours perdus à balancer sur les vagues et dans le vague. Pendant ce temps, Louis XVIII s’installe à Paris, et le nouveau préfet de Charente, le baron Richard vient prendre ses fonctions. Un régicide, préfet du roi... mais le ministre est lui-même régicide. Louis XVIII a besoin en ce moment d’affermir son trône, les règlements de compte, ce sera pour l’année prochaine. La souricière s’est refermée. Napoléon est bel et bien entre Charybde et Scylla, ces deux monstres fabuleux qui gardaient le détroit de Messine. Il est pris entre le gouvernement royal de plus en plus hostile et la Royal Navy. L’Empereur écarte de toutes les façons, les solutions de facilité consistant à partir sur un bateau marchand, surtout caché dans un tonneau comme on lui propose. Dans la dignité et l’honneur, l’Empereur persiste à vouloir quitter la France avec sa suite et reste aussi grand dans la victoire comme dans les revers. Lundi 10 juillet, Las Cases et Savary sont envoyés sur l’aviso l’Epervier, avec drapeau blanc, au devant du Bellerophon, porteurs d’une lettre du Grand Maréchal Bertrand pour demander si les sauf-conduits étaient arrivés et, bien qu’il n’y ait plus l’espoir de les obtenir, sonder le commandant de la croisière anglaise. Frederick Maitland fait patienter les deux émissaires en leur offrant à déjeuner. Il a aperçu au loin le Falmouth, petit navire rapide qui apporte le courrier de son supérieur l’Amiral Hotham qui est sur le Superb à Quiberon. Pendant le déjeuner, Maitland joue les hypocrites, signalant qu’il n’a aucune instructions précises et qu’à l’heure qu’il est, il ne connaît que le résultat de la bataille de Waterloo. Dans le sac de courrier, il y un pli disant «... il vous appartient d’employer tous les moyens propres à intercepter le fugitif de la capture duquel dépend la tranquillité de l’Europe. » A l’issue du repas, Maitland, lance aux émissaires « Pourquoi pas l’Angleterre ? ». L’Angleterre, respectueuse de l’individu, par le système de l’Habeas Corpus. L’Angleterre, où affirme-t-il, l’Empereur n’aurait à craindre aucun mauvais traitement. Montholon ajoute dans ses Mémoires que le Commandant anglais affirma « qu’il recevrait Napoléon à son bord et qu’il le conduirait en Angleterre s’il le désirait. » Maitland finissait sa lettre au Grand Maréchal ainsi : « En réponse, j’ai l’honneur de vous informer que je ne puis vous dire quelles sont les intentions de mon gouvernement. Toutefois, nos deux pays étant en état de guerre, il en résulte que je ne puis laisser passer aucun vaisseau voulant quitter Rochefort, non plus qu’aucun navire de commerce portant un passager aussi important que l’Empereur, sans l’autorisation de mon chef qui est actuellement dans la baie de Quiberon.» Le Commandant Maitland expédie par le même Falmouth, un message à son supérieur l’Amiral Hotham pour le prévenir que Buonaparte est bien là...Le soir venu, le Bellerophon vient s’embosser dans la rade des Basques, tenant sous ses feux La Saale et la Méduse. Le commandant Philibert a reçu des ordres secrets du ministre Decrès, de ne pas appareiller sans les sauf-conduits, et Napoléon apprend par les journaux qui viennent d’arriver de Paris, que Louis XVIII a fait son entrée à Paris. On n’est plus en sécurité sur la Saale, le jeudi 13, décision est prise de se réfugier sur l’île d’Aix. Installé dans la Maison du Commandant de Place, Napoléon fera sa chambre à coucher de la grande pièce du rez-de-chaussée, car elle a quatre issues et en ce moment sa sécurité est de plus menacée. Le seul parti à prendre pour ne pas être livré ou arrêté par la police française, est la carte anglaise. Comme Paoli qui s’était réfugié en Angleterre, déjà à l’île d’Elbe où il était visité quotidiennement par des touristes anglais, Napoléon avait fait part de son intention de gagner l’Angleterre si les choses tournaient mal. Durant ces journées d’inactivité, le clan Bertrand, Las Cases, Savary poussent à cette solution. Madame Bertrand est d’origine Irlandaise et a de la famille en Grande-Bretagne. Las Cases a vécu tout le temps de l’émigration en Angleterre et en rapporte les bons souvenirs. De toutes façons la Prusse, c’est hors de question car Blücher le pendrait haut et court. En Russie, depuis l’incendie de Moscou, il ne faut pas espérer un accueil favorable. En Autriche, depuis la liaison de Marie-Louise avec le général Neipperg, ce serait ridicule, il ne reste que l’Angleterre. Quoi de plus prestigieux que se livrer soi-même à son pire ennemi? On tergiverse, car il est encore tentant de rejoindre l’Amérique, New-York ou Caracas ou le Mexique, comme Joseph qui vient proposer de prendre sa place sur un brick américain le Commerce. Par ses fonctions de Grand-Maître de L’Odre Maçonnique, il a trouvé cet arrangement avec François Pelletreau, négociant et vénérable de la Loge de Rochefort. Joseph vient faire ses adieux à son frère sur l’île car Napoléon ne peut se résoudre à fuir.

Vendredi 14 juillet, Las Cases et le Général Gourgaud qui doit remettre une lettre au Prince-régent, montent sur le Bellerophon. Le roi d'Angleterre George III, devenu fou, ne règne plus, et son fils, le Prince de Galles, assure l’intérim. Le brouillon de cette lettre est au musée Napoléon de l’île d’Aix et il est très émouvant bien sûr de lire ces mots qui montrent la grandeur du souverain déchu, l’acte ultime et le plus humiliant d’un destin éblouissant : " Altesse Royale, En butte aux factions qui divisent mon pays et à l’inimitié des plus grandes puissances de l’Europe, j’ai terminé ma carrière politique et viens, comme Thémistocle, m’asseoir au foyer du peuple britannique. Je me mets sous la protection des lois, que je réclame de Votre altesse Royale, comme du plus puissant, du plus constant et du plus généreux de mes ennemis. " Pendant ce temps, à l’île d’Aix, Napoléon passe une après-midi calme, soulagé par la décision prise. Il dicte ses derniers messages et envoie ses derniers ordres financiers, puis il va se promener sur la plage, marchant dans le varech, le long de la mer. Il va converser avec quelques pêcheurs et tirer l’oreille à quelques braves du 14° de Marine, au Fort de la Rade. Tous sont d’anciens prisonniers des pontons anglais et, fanatiques de l’Empereur malgré leur captivité, le mettent en garde contre les Godons. Cette nuit du 14 au 15 juillet, tout le monde s’affaire pour préparer le départ, sauf Napoléon toujours impassible. Il s’endort paisiblement, quand on vient le réveiller à 1 heure du matin. Le nouveau préfet Richard est arrivé Rochefort. Ancien conventionnel, agioteur, tripotier, ami personnel de Fouché, il a ordonné de " courir sus au rebelle ". Il a une chance là de centupler sa fortune. Le préfet maritime Bonnefoux joue au plus malin et temporise par un mensonge indiquant que l’Empereur est embarqué sur la Saale et injoignable à cause des courants défavorables. Il faut attendre la marée descendante. Or, la mer à cet instant est étale, mais le jargon des gens de mer peut avoir raison des civils. Il faut quatre jours de diligence pour venir de Paris, Richard est épuisé et sur les conseils de Bonnefoux, il prend quelque repos en attendant que la marée soit propice et il s’endort. Le préfet maritime en profite pour se faire amener sur la Saale où il réveille le commandant Philibert : "Je vous apporte les dernières instructions du ministère. Vous en prendrez connaissance demain matin." Pour plus de sûreté, il expédie à Aix, un officier pour prévenir le général Becker d’accélérer le mouvement. Vers deux heures du matin, un canot emporte l’Empereur sur le brick l’Epervier, mouillé près du rocher d’Enet. Le capitaine Jourdan de La Passardière le reçoit à la coupée. Napoléon renvoie à terre le général Becker : " Général Becker, retournez à l’île d’Aix. Il ne faut pas qu’on puisse dire que la France m’a livré aux Anglais. " 15 Juillet, 3 heures du matin, Napoléon boit un café près du cabestan. Une embardée lui fait verser quelques gouttes et " les taches qu’elles firent furent respectées par les hommes de l’équipage tant que dura mon commandement." écrira le capitaine Jourdan de La Passardière. Le vent est faible et le brick n’avance pas. Du Bellerophon, Maitland envoie un canot commandé par son second Andrew Mott, car il a vu le Superb à l’horizon et il ne veut pas se faire doubler par son supérieur l’Amiral Hotham. A force de rames, Mott accoste l’Epervier. " Eh bien, embarquons-nous ! " Sous des terribles " Vive L’Empereur ! " criés par cent hommes dont le coeur saigne, Napoléon se penche vers la mer, prend un peu d’eau dans le creux de la main et en jette par trois fois sur la coque de l’Epervier...Sur le Bellerophon " Billy the Ruffian ", une garde s’aligne à l’arrière. Le maître d’équipage, sifflet à la main, se tient pret à rendre les honneurs. Le canot approche en silence. Quand Mott gravit l’échelle, Maitland lui lance : " You got him ? "

Le 23 juillet, au large d’Ouessant, dans sa longue-vue d’Austerlitz, Napoléon regarde la France une dernière fois...

La Route Napoléon à Lyon - 9 mars 1815
Le 9 mars, le Duc d'Orléans rejoint Monsieur, Comte d'Artois à Lyon : " Je fus frappé écrit-il, en traversant le long faubourg, de l'air morne et battu de ses habitants. j'allai droit à l'archevêché où logeait Monsieur; je trouvai sous les fenêtres un groupe de gens du peuple qui criait " Vive le Roi ! " continuellement et demandait que Monsieur parût sur le balcon pour l'y applaudir. Dès que j'entrai dans le cabinet de Monsieur, il était, comme à son ordinaire, en son uniforme de Garde national, avec le cordon bleu par-dessus l'habit...Artois tend un texte où on peut lire : " Braves Lyonnais, le frère de votre roi est venu vous confier sa personne pour partager avec vous la gloire et les dangers de la défense de votre ville. " - Ah ! monsieur, ne faites pas afficher cela, s'il en est temps encore ! - Et pourquoi donc ? - Mais à cause de cette phrase-là ! Car il est clair qu'il peut y avoir beaucoup de dangers pour nous dans Lyon, mais pour la " gloire ", je crois pouvoir vous répondre qu'il n'y en aura point à recueillir. - J'en suis bien fâché, mais elle affichée partout et il n'y a plus à y revenir. Lyon ne possède alors comme garnison que deux régiments d'infanterie et un régiment de Dragons. " Unités fort médiocres " selon le comte de Damas, alors gouverneur de la ville, entendez par là que les hommes sont prêts à passer à l'ennemi et à crier " Vive l'Empereur !". D'autant plus que le comte de Damas est un émigré dont se plaignent en ces termes les officiers des trois régiments lyonnais : " Il ne nous fait même pas la grâce de porter la Légion d'honneur !  On décide d'attendre l'arrivée du maréchal Mac Donald, qui a été retardé en chemin. Mais, ainsi que le fait remarquer le duc d'Orléans, " tous les maréchaux réunis ne défendraient pas une ville sans aucun moyen de défense "..." En arrivant à la Charité-sur-Loire, j'appris que le duc d'Orléans venait d'y relayer, se rendant auprès de Monsieur qui avait vingt-quatre d'heures d'avance sur lui. Il me tardait de rejoindre ce prince que j'avais connu, dans la première campagne de la Révolution, faisant partie de l'armée de Dumouriez, auprès duquel je servais comme aide de camp. Il s'arrêta heureusement à Pougues, autrement je n'aurais pas pu le joindre, ayant eu beaucoup de mal à obtenir des chevaux à la Charité, parce que le prince courait avec trois voitures. Il me raconta tout ce qui avait été connu à Paris avant son départ, depuis le débarquement de Napoléon et sa marche rapide sur Grenoble, que l'on croyait bien qui résisterait " Au moins, dis-je, peut-on compter sur le général Marchand qui hait personnellement Napoléon dont il est l'ennemi déclaré. Comptez donc autant sur sa fidélité que sur ses efforts pour résister et se venger. Au dernier relais et pendant qu'on changeait de chevaux, Monsieur, qui venait d'apprendre par le duc d'Orléans que je le suivais, m'expédia un courrier pour m'inviter à hâter mon arrivée à Lyon. Il me faisait écrire confidentiellement par son capitaine des gardes, le comte des Cars, que sa position était très inquiétante, la marche de Napoléon étant si rapide qu'il n'était plus qu'à une marche de Lyon, que la garnison montrait des dispositions si mauvaises qu'il ne pouvait compter sur elle pour la défense du passage du Rhône. Je partis enfin et très rapidement, mais avant d'atteindre le faubourg un essieu de ma voiture se rompit, elle versa. Je n'éprouvai aucun mal de cette chute, mais cet accident me causa un nouveau retard. Arrivé à l'hôtel où j'avais coutume de loger, j'y trouvai deux officiers qui m'attendaient pour me conduire chez le gouverneur où Monsieur avait dîné. Un troisième survint pour me presser de me rendre auprès de Son Altesse Royale. Il était neuf ou dix heures du soir, le 9 mars. Les principales autorités, ainsi que les généraux et colonels étaient avec Monsieur. il savait par le duc d'Orléans que je me rendais à Nîmes : " Les routes sont coupées me dit-il, vous ne pouvez plus passer. Restez avec nous, prenez le commandement, je vous remets les pouvoirs les plus étendus." Le prince m'apprit alors qu'on ne pouvait nullement compter sur les troupes et qu'il avait donné des ordres pour évacuer le lendemain. Ma surprise fut extrême : " Vous abandonnez Lyon ! et où vous arrêterez-vous, après avoir quitté la barrière du Rhône ? - Nous n'avons ni munitions, ni canons. les troupes manifestent hautement qu'elles n'opposeront aucune résistance et la population se prononce contre nous. - Essayons un moyen, dis-je, suspendons d'abord le mouvement rétrograde. Nous serons toujours à temps d'y revenir, car si Napoléon est à une marche d'ici, quelque diligence qu'il fasse, il ne pourra paraître avant une heure ou deux de l'après-midi, conduisant des troupes harassées. Rassemblons les nôtres à six heures du matin, voyons-les. Nous leur parlerons, nous en tirerons peut-être parti. Nous essayerons de changer l'opinion en les prenant par le point d'honneur, toujours si délicat, si chatouilleux chez les Français. Nous leur montrerons les malheurs qui vont naître d'une guerre civile et le danger non moins grand pour la France de voir une seconde fois fondre sur elle toute l'Europe en armes.

Ayant accepté le commandement, j'ordonnai d'arrêter toute communication de la rive droite à la rive gauche du Rhône, d'amener et d'amarrer tous les bateaux de notre côté, d'établir des postes assez forts sur la rive droite et sur les routes, de barrer le pont Morand et de la Guillotière et de les mettre en état de défense aussi bien que le temps et les moyens le permettraient, enfin d'envoyer coup sur coup des patrouilles et reconnaissance afin d'être avertis promptement. En un mot, toutes les dispositions que prennent vis à vis de l'ennemi des troupes en campagne. Vers trois ou quatre heures du matin, le général Brayer, commandant l'une des subdivisions territoriales, arriva chez moi. il avait fait avec moi une partie de la campagne de 1813 et celle de 1814. Il venait me prévenir que les troupes se refusaient à être passées en revue par les princes, mais que moi leur ancien général, elles me verraient avec grand plaisir. "Qui a pu les monter ainsi ? dis-je Sommes-nous au commencement d'une nouvelle révolution ? Tous les liens de la discipline sont-ils déjà relâchés ? - Non, répondit-il, ce sont des propos de cabaret qui ont exalté les têtes, celles des officiers ne le sont pas moins : on a déjà fait tant de sottises ! On a porté si peu d'intérêts aux militaires, commis tant d'injustices pour placer des émigrés, ces Chouans, des Vendéens, à qui on a prodigué les grades, les honneurs, les distinctions ! - A la manière dont vous vous exprimez, L'heure de la revue étant arrivée, le général Brayer vint me prendre, il m'avait fait amener un cheval. Nous nous acheminâmes sous une pluie battante. En débouchant sur la Place Bellecour, à la droite des troupes, des acclamations éclatèrent et se propagèrent le long des lignes que je parcourais. Lorsque faisant former les carrés, j'y entrai pour me faire mieux entendre de chacun. Je commençais par remercier de l'accueil, je continuai en disant que je reconnaissais hautement leurs loyaux service, leur dévouement dans la bonne et la mauvaise fortune, que si nous avions succombé, c'était du moins avec honneur, qu'il n'avait pas moins fallu que toute l'Europe armée, que l'envahissement qui nous rassemblait à Lyon allait déchaîner sur notre patrie des malheurs plus grands que ceux de l'année précédente, que cette fois les alliés nous feraient payer chèrement une reprise d'armes, que la seule garantie que je leur demandais était de répondre au Vive le Roi ! que je lançais et répétai de toutes ma force. Pas une voix ne se joignit à la mienne. J'avoue que j'en fus déconcerté. mes tentatives sur les autres carrés ne furent pas plus heureuses. Il semblait que les troupes eussent reçu un mot d'ordre. Pendant que je faisais le même essai sur la cavalerie, j'envoyai chercher Monsieur. Nous étions arrivés au dernier régiment, le 14° Dragons, le prince s'approcha d'un vieux sapeur décoré, lui parla avec bonté, le loua pour son courage dont il portait la preuve sur sa poitrine : le Dragon, que je vois encore, les yeux fixes, la bouche béante resta immobile. Son colonel cria avec nous Vive le Roi !, l'appelèrent par son nom, l'exhortèrent, le pressèrent, il resta inébranlable. Monsieur était rouge de colère. Nous renvoyâmes sans les faire défiler, toutes les troupes à leurs postes en prescrivant la défense des ponts comme si elle dût avoir lieu devant l'ennemi. "

Le maréchal Mac Donald réunit les officiers à son hôtel, du général au lieutenant, pendant que le comte d'Artois part inspecter les travaux de défense. "Je m'épuisai inutilement pendant près de deux heures, obligé de tenir tête à tout ce monde qui, sans me manquer d'égards, me parlait librement. Il était aisé de juger pourquoi les troupes étaient restées silencieuses, elles avaient reçu l'impression de leurs officiers. Ne pouvant espérer davantage et fatigué d'une discussion si inutile et si longue, je congédiais les officiers et ne retins que quelques généraux qui pensaient comme moi. Nous nous rendîmes chez Monsieur. je lui dis, en rendant compte de ce qui s'était passé, qu'il n'y avait pas à compter sur aucune sorte de résistance et qu'en fin, la présence se Son Altesse Royale n'étant plus nécessaire, je la suppliais de partir sur-le-champ? " Et vous dit-il ? - Moi, je reste, je n'ai rien à craindre des troupes, mais j'ai tout lieu de craindre pour vous. - Non, répliqua-t-il, je reste si vous ne partez pas avec moi. après les marques de dévouement que vous venez de donner, je ne vous laisserai pas seul exposé aux événements. - Je vous répète, Monseigneur, que je n'ai aucun danger à courir. Vous m'avez investi du commandement, je l'exercerai jusqu'au bout. Monsieur me dit qu'il avait parcouru les quais du Rhône, qu'aucun préparatif de défense n'avait été fait, qu'il avait distribué de l'argent pour hâter le travail et qu'on lui avait promis de mettre immédiatement la main à l'oeuvre. Enfin, je le vis partir avec satisfaction, escorté de Gardes nationaux à cheval, de Gendarmes et d'un détachement du 14° dragons. C'était un poins énorme dont j'étais soulagé, car le présence des princes était devenue embarrassante. S'ils eussent été pris par Napoléon ou arrêtés par la garnison, ils eussent été des otages, l'opinion royaliste n'eût pas manqué de me rendre responsable. Calmé par le départ des princes, j'étais loin d'être tranquille. Dans la réunion des officiers, les chefs m'avaient promis que si l'on faisait feu sur eux, ils répondraient, mais qu'autrement ils ne prendraient pas l'initiative. dès ce moment, j'avais formé le dessein d'engager le fer, mais comme j'étais bien prévenu que les soldats ne tireraient pas les premiers, je pensais que dans cette population, il serait facile de trouver vingt ou trente hommes dévoués ou que déterminerait l'appât du gain, on n'aurait qu'à leur faire endosser l'uniforme de la Garde nationale. Mon projet était de les placer aux poste avancés, en avant des soldats, de mettre à leur tête et de tirer le premier coup de fusil. J'en fis donc part à la seule autorité civile demeurée à son poste, lorsque monsieur le maire fut entré ans mon cabinet, mais je fus fort surpris de l'entendre dire qu'il ne trouverait pas un seul des hommes que je demandais. " Comment ! m'écriai-je, une ville qui a été si dévouée, et qui s'est vaillamment défendue en 1793, en soutenant la cause de la famille royale, n'aurait pas un vétéran de cette époque conservant le feu sacré ? " Le maire secoua la tête et fit un geste négatif. Je le congédiai.

Après avoir réglé un simulacre de défense et même d'offensive, je montais à cheval avec le vicomte Digeon, le comte Jules de Polignac, que Monsieur, dont il était aide de camp, avait laissé à ma disposition, d'autres généraux et officiers d'état-major, pour visiter les postes et vérifier les obstacles qu'on avait dû établir afin d'arrêter la marche de napoléon. Mais je vis sans étonnement que rien n'avait été fait. On avait empoché l'argent. Les communications entre les deux rives n'étaient point interrompues, l'ordre de ramener les bateaux sur la rive droite et de garder certains passages était resté sans exécution. Je tançai vertement l'officier général chargé de cette parie du service. Je fis partir devant moi des patrouilles échelonnées et après quelques autres dispositions, j'allai du pont de la Guillotière au pont Morand. Partout je rencontrais la même mauvaise volonté, me faisant craindre une catastrophe. J'envoyai secrètement l'ordre de faire atteler ma voiture et de la conduire à l'entrée du faubourg de Vaise, à la jonction des deux routes du Bourbonnais et de la Bourgogne, afin de pouvoir, selon les circonstances, suivre l'une ou l'autre, si j'étais contraint de me retirer. Au pont Morand, pas plus qu'ailleurs, aucune barricade n'avait été faite. Il se fermais par une grille. Personne ne savait où étaient les clefs. Je donnai dix louis pour aller acheter chaînes et cadenas. mon argent prit le même chemin que celui de Monsieur. "...vous me porteriez à croire que vous partagez ces opinions

- Oui, je pense comme eux, mais je ferai mon devoir jusqu'à la fin. Il est plus que temps d'avertir Monsieur de ne pas se présenter devant les troupes, pour éviter une avanie. En quittant ce pont pour retourner à l'autre, je remarquai un certain mouvement causé par le retour d'une patrouille. Elle n'avait pas dû aller bien loin. Mon anxiété était grande, j'en fus tiré par l'arrivée d'un officier d'état-major venant au galop à ma rencontre :  Une reconnaissance est rentrée ! - Qu'a-t-elle vu ? - L'avant-garde de Napoléon ! - Est-elle éloignée ?- Elle va entrer dans le faubourg de la Guillotière - Que s'est-il passé ? - Les deux reconnaissances ont bu ensemble ! - Courez, dis-je place Bellecour ! Amenez les deux bataillons qui y sont en réserve. Vous les placerez à droite et à gauche du pont. "

La foule encombrait les quais. Les bateaux allaient et venaient, conduisant sur la rive gauche des curieux qui ne pouvaient passer sur le pont occupé par nos troupes. Comme j'arrivais à l'entrée du pont, des cris de Vive l'Empereur ! éclatèrent de l'autre côté. Sur les quais, la foule les vociférait à nous étourdir. J'exécutais sur-le-champ la résolution que j'avais prise d'essayer d'entamer une affaire. Je comptais gagner la tête du pont avec l'état-major qui me suivait, arrêter les premiers qui se présenteraient, m'emparer de leurs armes et faire feu. Le pont était encombré dans toute sa longueur par les troupes formées en colonne " Allons, messieurs, m'écriais-je, à terre ! " et nous voilà au plus vite. Mais à peine étions-nous au quart du chemin que des Hussards du 4, éclaireurs de la troupe de Napoléon, apparaissent à l'entrée du pont. A cette vue, officiers et soldats mêlent leurs acclamations à celles de la foule, les shakos s'agitent au bout des baïonnettes, on court, on se précipite, les faibles barricades sont franchies. Dès lors tout est fini. Nous rebroussâmes chemin, remontâmes à cheval. Il n'y avait pas de temps à perdre, car je supposais avec raison que les Hussards du 4° ne trouveraient pas plus de résistance au pont Morand et pourraient nous devancer au faubourg de Vaise en suivant les quais, ce qui arriva en effet. Le général Brayer, qui était encore avec moi, m'ayant entendu donner l'ordre d'évacuer Lyon sur-le-champ, leva tout à fait le masque et me dit : " C'est inutile, monsieur le maréchal, toutes les mesures sont prises pour empêcher votre départ. - Vous me connaissez sûrement trop bien, monsieur, répondis-je, pour croire que je puisse être facilement arrêté. je saurai me faire respecter et le maire jour l'épée à la main. "

Il alla vers les siens sans répliquer, mais un autre obstacle se présentait, c'était la foule qui se pressait tellement qu'en vain j'aurais tenté de la traverser, sans l'arrivée des deux bataillons que je venais d'appeler. Il fallut bien que la masse se rompît pour livrer passage à la troupe. J'en profitai en marchant le long de la colonne faisant des geste comme pour indiquer les emplacements. Il se faisait un tel bruit qu'il n'y avait pas moyen de s'entendre. Arrivé enfin à la queue de la colonne, je m'acheminai par le quai. Le colonel Dard, des Dragons, dont le régiment était non loin de là, vint me demander des ordres. Sans m'arrêter, je lui dis : " A cheval ! Et suivez moi ! - Par où ? - Route du Bourbonnais "... Je crois que son régiment ne voulut pas lui obéir. En traversant la place Bellecour, le baron Roger de Damas, gouverneur, qui demeurait sur cette place, voulut m'arrêter. Il était fort confiant et n'avait pris aucune précaution. je lui fis observer qu'il n'était plus temps, il avait tout à craindre comme ancien émigré. Aucune insistance ne pouvant le convaincre, nous prîmes le galop. Vers le milieu du faubourg, nous rencontrâmes un brigadier et quatre Hussards des troupes de Napoléon venus par le pont Morand et la quai de Saône, barrant le passage. Ils étaient à peu près ivres. le brigadier s'avança pour saisir la bride de mon cheval en criant : " Général, rendez-vous ! ". Il n'avait pas achevé que, lui lançant un coup de poing sur l'oreille, je le fis rentrer dans la rue d'où il sortait. Un Hussard, se jetant sur le général vicomte Digeon, celui-ci lui dit : " Comment ! Malheureux tu veux arrêter ton général ! - Ah c'est vous général Digeon, il faut que vous soyez des nôtres. " Il s'en débarrassa de la même manière que moi, ainsi que le comte Jules de Polignac et d'autres qui me suivais. Chemin faisant, le général Digeon dit qu'il connaissait un chemin de traverse qui nous ferait gagner au plus vite la route du Bourbonnais, mais pendant que nous cherchions à le découvrir, nous arrivâmes à la tête du faubourg. Je m'y étais fait précéder, au moment de la catastrophe, par mon courrier, avec l'ordre d'en faire partir ma voiture qui, depuis quelques heures stationnait avec mes aides de camp et mon secrétaire. mais les postillons avaient mis pied à terre, ils étaient sans doute dans quelque cabaret. On ne put les trouver. Je jetai un triste regard sur ma voiture, dans la quelle était une somme considérable en or. je crus le tout perdu. Un de mes aides de camp me tendit un portemanteau par la portière, mais nous passâmes si rapidement qu'aucun de nous ne put le saisir..." 

Souvenirs du maréchal Mac Donald - Librairie Plon, 1910

 

 

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