|
|
Convention pour le mariage de l'Empereur Napoléon avec l'Archiduchesse Marie-Louise - Archives du Ministère des Affaires Etrangères |
|
|
|
|
|
|
Demande de mariage par procuration du maréchal Berthier, le dimanche 11 mars 1810 |
|
|
|
|
|
|
Clemens von Metternich, devenu après Wagram, en juillet 1809, se voit confier les Affaires Etrangères an place de Stadion. Pour gagner du temps après cette défaite, il fera le mariage de l'Archiduchesse avec Napoléon. Il fera tout pour le défaire après la Campagne de Saxe de 1813... |
|
|
|
|
|
|
Les Mémoires du prince de Metternich, éditions Henri Javal, en 1959, en 4 volumes fort in 4°, dans boîtage |
|
|
|
|
|
|
Caroline Murat, soeur de Napoléon, épouse du roi de Naples Joachim Murat et aussi maîtresse de Metternich. Napoléon la charge du trousseau de noce et d'accompagner Marie-Louise venant en France pour son mariage. |
|
|
|
|
|
|
Carte du voyage de noces, tirée du livre Journal de Marie-Louise, L'Adieu à l'Empereur de Charles-Eloi Vial, aux éditions Vendémiaire. |
|
|
|
|
|
|
http://www.editions-vendemiaire.com/catalogue/collection-bibliotheque-du-xixe/l-adieu-a-l-empereur/ |
|
|
|
|
|
|
Plaque commémorative rappelant le violent incendie, lors du bal donné à l'Ambassade d'Autriche, à l'occasion du mariage impérial |
|
|
|
|
|
|
Marie-Louise, par Proudhon |
|
|
|
|
|
|
Marie-Louise écrivait plusieurs lettres par jour à Napoléon, et notamment à la Duchesse de Montebello, sa Dame d'honneur. Dans l'intimité de Marie-Louise, avec Corvisart et la maréchale Lannes : c'est un article de Suzanne Huart dans le S.N. de 1986. Louise Géhenneuc, épouse du maréchal Lannes, duc de Montebello, sera sa plus proche amie. Mais, elle fera tout pour la séparer de Napoléon en 1814. Elle détestait l'Empereur depuis la mort de son mari, tué à la bataille d'Essling en 1809 |
|
|
|
|
|
|
Portait de François II, Empereur d'Autriche, père de Marie-Louise. |
|
|
|
|
|
|
Traité de Paris, lundi 30 mai 1814. |
|
|
|
|
|
|
Article 2 : " Le royaume de France conserve l'intégrité de ses limites telles qu'elles existaient le 1er janvier 1792. " La France gardait la Savoie, Avignon et Montbéliard. |
|
|
|
|
|
|
Une convention est signée le 23 avril 1814, entre Monsieur frère du Roi et Lieutenant du royaume, avec l'Autriche, la Grande-Bretagne, la Russie et la Prusse. Ces conditions, transformées en traité, l'article 32 prévoit " Dans le délai de 2 mois toutes les Puissances, engagées de part et d'autre dans cette guerre, enverront des plénipotentiaires à Vienne pour régler dans un Congrès général les arrangements devant compléter ce présent traité. " |
|
|
|
|
|
|
Peinture de Pauline Auzou, 1810 |
|
|
|
|
|
|
Peinture de Georges Rouget, 1810 |
|
|
|
|
|
|
Peinture d'Alexandre Dufay, 1812 |
|
|
|
|
|
|
Peinture d'Alexandre Menjaud, 1812. |
|
|
|
|
|
|
Peinture de Louis Ducis, 1810. |
|
|
|
|
|
|
Ce bon docteur Corvisart, ne voulant pas aller à l'île d'Elbe, prescrit une cure thermale à Aix-en-Savoie |
|
|
|
|
|
|
Maison où a séjourné Marie-Louise, mais aussi Hortense...Aix étant en France, quelques problèmes vont se poser pour l'ex-Impératrice. |
|
|
|
|
|
|
Le ministre de la Police. |
|
|
|
|
|
|
Marie-Louise et la Cour d'Autriche entre les deux abdications, par le petit-fils du baron Méneval. |
|
|
|
|
|
|
Le château Farnese, à Colorno |
|
|
|
|
|
|
Au-dessus du porche d'entrée, les lettres M et L, entrelacées |
|
|
|
|
|
|
Raccourci de l'Histoire : c'est dans ce château qu'est né le comte de Narbonne, fils naturel de Louis XV et aide de camp de Napoléon, qui jouera un rôle lors de son mariage avec Marie-Louise... |
|
|
|
|
|
|
Marie-Louise, son second mari Adam Neipperg et leurs enfants. |
|
|
|
|
|
|
L'écu représentant Marie-Louise, duchesse de Parme. |
|
|
|
|
|
|
Aidée par Neipperg, Marie-Louise entreprend à Parme, des travaux envisagés par Napoléon, lorsque le duché était département français, comme ce pont, mais aussi des routes, écoles, hospices... |
|
|
|
|
|
|
De nos jours, le souvenir de la Duchesse est toujours positivement ressenti, comme le montre cette enseigne commerciale. |
|
|
|
|
|
|
Le Musée Glauco Lombardi à Parme. |
|
|
|
|
|
|
La dernière biographie de Marie-Louise |
|
|
La sépulture d'Adamo Neipperg dans l'église Santa Maria della Secatta |
|
|
|
|
|
|
|
1810 - LE VOYAGE DE NOCE DE NAPOLEON ET MARIE-LOUISE |
|
|
Dès le 4 avril 1810, après la visite
de Metternich, Napoléon et Marie-Louise quittent les Tuileries pour
Saint-Cloud, et l’on s’accorde une journée de repos. Le jeudi 5, on file sur Compiègne, où la lune de miel s’organise d’une façon
paisible. Jérôme, toujours couvert de bijoux, a 26 personnes à sa suite, Elisa 14,
Caroline et Augusta, épouse Eugène, au moins autant. En princesse royale bien élevée de la maison d’Autriche, tombée dans cette
famille de bourgeois corses, donnant du maman, du ma sœur, du mon frère,
Marie-Louise se tient en défiance. Faisant l’éloge de chacun, elle écrit à son père : " Ma belle-mère est une
très agréable et très respectable princesse, mes belles-soeurs sont fort
aimables, la vice-reine bien jolie, mais elle ne sait pas qu’on lit par-dessus
son épaule… " Comment discerner dans cet ensemble ? Elle perçoit une différence entre son
mari qui a des façons qui ne sont qu’à lui, pour faire oublier son origine. Il
a du brillant quand les autres ont du clinquant, s’il a de la gloire, les
autres ont du ridicule. Julie avec son pauvre visage maladif semble misérable
sous ses manteaux chargés de pierreries. D’ailleurs, elle ne tarde pas à
repartir à Mortefontaine, où l’attendent ses filles et ses nièces. Catherine de
Westphalie reste irritée du peu d’affabilité que Marie-Louise lui a montré à
Stuttgart. La femme d’Eugène, Augusta de Bavière ne lui pardonne pas sa déchéance d’être à
peine vice-reine et joint à la haine des Beauharnais vis-à-vis des Bonaparte, celle des
Wittelsbach vis-à-vis des Habsbourg. Elisa, enceinte et fatiguée, déplaît par
son air d’autorité et sa laideur masculine. Il n’y a que sa petite Napoléone, 4
ans, que Marie Louise prend en passion. Pauline l’intimide par l’éclat de sa beauté,
ses excès de toilettes. Caroline, depuis le renvoi de son chien Zozo, est
haïssable par son manque de tact. De plus le ton qu’elle prend, qui plaît aux
hommes, lui déplaît profondément. Il n’y a qu’Hortense, la plus affinée, la
mieux capable par son aisance et sa souplesse de réconcilier la nouvelle
Impératrice avec les formes françaises. Mais, elle doit, dans les larmes,
suivre son mari de Louis en Hollande. Les jours à Compiègne se passent dans les fêtes, pièces de théâtre, concerts,
parties de billard, mais aussi de cache-cache, colin-maillard et furet du
bois-joli. Chaque jour, des fournées de Parisiens montant pour être présentés,
font la révérence à l’Impératrice. La foule est telle que les chambres en ville
se louent 750 frs pour quelques jours, certains couchent dans leur voiture. Le
séjour devient triste et fastidieux. Napoléon se montre énervé et souvent
silencieux. Un jour, il reste immobile au milieu d’un cercle, fixant le parquet
sans dire un mot puis sortant comme d’un rêve, fait signe à sa femme et rentre
avec elle dans ses appartements. A 19 ans, la candide Marie-Louise découvre l’amour. Elle avouera que ses
premiers amusements est de rechercher les phrases censurées dans ses livres de
jeune fille pour contenter sa curiosité en remédiant à son ignorance. Napoléon ne s’éloigne pas trop de son épouse. Juste le temps de quelques galops
qui lui sont nécessaires, il revient bien vite au château pour retrouver
l’intimité conjugale. A 41 ans, Napoléon fait le jeune homme, comme son épouse
aime la danse, il apprend…Constant est chargé de lui serrer la taille qui
commence à s’épaissir, dans des gilets ajustés, de le pomponner avec des pâtes
adoucissantes, des pommades pour fixer ses cheveux légers. Il abandonne le
tabac à priser qui noircit ses narines et demande à Murat des bretelles, des jarretières
et des gants brodés. Son regard bleu foncé reste étonnamment jeune et
pénétrant, son sourire séduisant s’épanouit sur de petites dents régulières,
très blanches, chose très rare à cette époque. Finalement, Marie-Louise se
complaît cette l’intimité avec son mari qui se révèle être attachant. Quand il
doit s’absenter pour une réunion de travail, Marie-Louise s’inquiète : " Mais que fait donc mon méchant galant ? Il m’abandonne ? " Ces attentions touchent l’ogre enivré. Les chansonniers et les journaux étrangers s’emparent des diminutifs de Nana et
Popo, employés par la jeune femme. On croit rêver… Quand Napoléon se décide de partir en voyage pour faire connaître et admirer sa
jeune épouse, une sorte de voyage de noces. Après son voyage de Vienne à
Paris, quand même assez éprouvant, Marie-Louise aurait pu espérer un peu de
repos. Mais l’Empereur infatigable
voulait montrer l’Impératrice à l’Empire et l’Empire à l’Impératrice. On peut
se demander s’il ne fait pas une faute de goût en lui proposant les anciennes
provinces Autrichiennes de Belgique et des Pays-Bas ou au contraire s’il veut
consolider la réunification de la
Belgique et de la
Hollande en leur montrant la nouvelle Impératrice aux anciens
sujets de la maison d’Autriche. Pragmatique, Napoléon joint l’utile à
l’agréable. Un voyage de noces avec sa jeune femme et un voyage de travail. Après
l’expédition de Walcheren en 1809, il a l’intention de réunir toute la Hollande pour organiser
plus complètement la défense des côtes face à l’Angleterre, afin de consolider
le Blocus. Il compte également inspecter sa nouvelle
Marine après le coup d’arrêt de Trafalgar.
Frédéric Masson toujours très
précis (pp.228 in Marie-Louise, Librairie Paul Ollendorf) : " Cela ne va pas sans une
suite imposante. Le roi et la reine de Westphalie sont du voyage car l’Empereur
estime qu’il faut à sa femme quelque princesse pour compagne et qu’il est mieux
de la prendre allemande. Catherine est toute indiquée… On a pensé à la
vice-reine mais il paraît qu’elle est mal élevée et ce n’est qu’une
Wittelsbach. A défaut Eugène viendra, puis le Major général (Berthier), le
ministre de la Marine
(Decrès), car on ira à Anvers, le secrétaire d’Etat (Aghaton Fain), le service
de l’Empereur, 29 personnes, et pour l’Impératrice, outre la dame d’honneur
(Maréchale Lannes), le chevalier d’honneur (comte de Beauharnais)), le premier
écuyer (prince Aldobrandini Borghèse), trois dames du palais, deux chambellans,
deux écuyers, un médecin, quatre huissiers, trois femmes rouges, trois femmes
noires, deux blanches. Avec les soixante-dix gagistes
du service du grand maréchal (Duroc), pour la table, l’appartement et la
livrée, c’est cent vingt-deux personnes transportées dans trente-cinq voitures
exigeant cent quatre-vingt-huit chevaux. Il faut de plus dix-huit bidets pour
la selle, trente-neuf chevaux pour le service de Jérôme : c’est donc deux cent
cinquante chevaux de poste mis en mouvement. De plus les écuries impériales
fournissent neuf brigades de selle (quatre-vingt-dix-neuf chevaux), deux
attelages à huit, quatre à six pour voiture de ville, douze attelages à six
pour calèches à la Daumont
: cent douze chevaux et enfin il y a le service d’escorte : six cent vingt huit
cavaliers des divers corps de la garde plus cent quarante marins qu’on expédie
en poste à Anvers. C’est un corps d’armée qu’on mobilise. " Le service personnel de
l’Impératrice, en dehors de ce quelle partage avec l’Empereur, exige trois
berlines à chiffre à six chevaux et un fourgon à cassette. Une berline marche
avec chacun des services : le premier part douze heures avant Sa majesté, le
deuxième en même temps, le troisième douze heures après. Chaque berline
transporte une femme rouge, une noire, une blanche, un jeu de toilettes
habillées pour les différentes occasions et trois petits paquets garnis chacun
d’une toilette complète en chemises, camisoles, jupons, mouchoirs, bonnets de
nuit, bas, souliers, etc… pour remplacer les objets employés à chaque coucher
et éviter de déballer quand on ne séjourne pas. De plus, dans chaque berline,
un nécessaire complet, une bassinoire, un bidet avec sa seringue, un pot de
nuit, un étui avec trois verres, un oreiller, une couverture, un drap de peau,
une paire de draps de batiste. Les fourgons de toilette avec
les garçons d’atours vont avec le premier service. La chaise du premier
secrétaire de la dame d’honneur, où sont les présents, va avec la troisième :
car si l’Empereur se réserve les récompenses d’honneur, les tabatières à
portrait ou à chiffre, les bagues à l’N, les étoiles de la Légion. Si c’est en son nom, les
grosses gratifications aux soldats malades ou aux ouvriers des manufactures
qu’il visite, il veut pour Marie-Louise le rôle de bienfaisance, de conquérante
des coeurs, où excellait Joséphine. C’est elle qui va remettre, en son nom,
l’argent pour les pauvres, elle qui de ses mains distribuera les montres,
chaînes, bagues, bracelets aux jeunes filles qui lui offriront des fleurs, elle qui dira des mots de
remerciements, les paroles appropriées qui double la valeur des présents. C’est à elle, en effet, que ce
voyage est dédié. C’est vers elle que se dirigent
les hommages, c’est pour elle les arcs de triomphe
Le dimanche 27 avril, soit
moins d’un mois après être passés sous de dais du cardinal Fesch, Napoléon et
Marie-Louise, un mois après leur première nuit, quittent Compiègne de grand
matin, pour Saint Quentin. Le cortège se met en place, Metternich et Schwarzenberg sont du voyage.
Marie-Louise a pu dire au comte de Metternich : "Je suis sûre qu’à Vienne,
l’opinion générale est que je suis livrée à des angoisses journalières. Mais la
vérité n’est souvent pas vraisemblable. Je n’ai pas peur de Napoléon et je
commence à croire qu’il a peur de moi. " A Saint Quentin, l’arc de triomphe à l’entrée de la ville est décoré des deux
écussons accolés de la France
de l’Autriche. La fille du maire, Mlle Joly-Bammeville, présente des corbeilles
contenant les produits de la région : robe de linon brodée en or, châle façon
cachemire, pièce de mousseline et de batiste. Madame de Montebello lui remet
une montre avec sa chaîne en perles. Saint Quentin, et sa célèbre basilique qui souffrira dans cent ans du premier
conflit mondial, pourra araser ses remparts pour s’agrandir. L’Empereur l’a
promis au maire. Le soir, un grand bal termine la soirée. Caroline, arrivée de Paris, y assiste,
une moue décidée. De Saint Quentin à Cambrai le lendemain 28 avril, on déjeune sous la tente à
Bellicourt, à l’entrée du souterrain qui va de Riqueval à Macquincourt,
préfigurant le Canal Seine-Escaut. Napoléon inaugure le bief de partage et ses
deux souterrains, bief le plus élevé du canal. Le blocus continental
interdisant, par mer, le transport des charbons du Nord vers Paris, Napoléon
fait achever le canal. Il a compris de bonne heure que les voies d’eau sont les
premières routes que la nature nous a données. Le tunnel du Tronquoy est encore à sec mais on entre à Cambrai en gondole.
Marie-louise en garde un mauvais souvenir : " Il se fallut de peu que nous
fissions naufrage en chemin. Le gros prince de Schwarzenberg se penchait
tellement d’un côté et de l’autre que notre gondole prit tant d’eau que nous
eûmes les jambes mouillées jusqu’aux jarrets. Nous étions dans l’impossibilité
de changer de chaussures, il fallut donc continuer au grand regret de ces dames
qui avaient leurs toilettes abimées. La reine de Naples était de si mauvaise
humeur qu’on ne put lui parler du reste de la journée. "
Le 29 avril, les souverains, après avoir fait des bêtises à Cambrai, se rendent
à la messe, c’est dimanche, dans cette magnifique cathédrale Notre-Dame, puis
prennent la route de Valenciennes. Caroline Murat s’est éloignée avec
Metternich. Ce qui fait écrire à Marie-Louise, dans son carnet de voyage :
"M. de Metternich reste le plus vilain fat qui ait été sur terre. "
Au moins, elle n’a plus à supporter sa belle-sœur…Un arrêt à Valenciennes. Son premier voyage date du Directoire, en février 1798, quand général,
Bonaparte avait fait une tournée d’inspection par Dunkerque, Gand, Anvers. Il y
est revenu, Consul, en juillet1803, toujours par Gand, Anvers et Malines et y
réside plus d‘une semaine, avant de partir par Louvain puis Maestricht, Liège,
Huy, Namur et Givet, Mézières…Il revient en Empereur, l’année suivante, en août
1804, par Valenciennes, pour se rendre à Aix-la-Chapelle. Quittant Valenciennes pour la Belgique, le cortège
impérial passe par Jemappes et Mons. Napoléon, souhaitant prolonger la navigation vers la Sambre et la Meuse, visite les travaux du
canal de Mons à Condé. Il reçoit de l'ingénieur en chef Piou, un avant projet
de jonction avec la
Sambre. Un mois plus tard, le projet est approuvé...Après Condé-sur-l’Escaut, on entre dans le Hainaut, par la montée de Bon-Secours,
passant devant la basilique. Par la
Chaussée de Mons, on arrive à Anderlecht, vers 19 heures, pour
aller loger à Laeken...Le lundi 30 avril 1810, une
imposante flottille commandée par le vice-amiral, le Toulonnais Missiessy, en
présence du ministre Denis Decrès, quitte Anvers pour Bruxelles. Mardi 1er mai, suivant le canal qui va de la capitale Belge au Rupel, puis le
Rupel et l’Escaut, l’Empereur arrive triomphalement, dans un canot d’apparat à
Willebroek, devant l’escadre d’Anvers. Les canons de tous les vaisseaux tonnent
quand passe devant eux ce canot d’apparat ayant à bord les souverains,
Berthier, Decrès et les principaux personnages de la cour. Ce canot servira
durant tout le séjour. L’effort de Napoléon pour rétablir la marine commence à
porter ses fruits et il veut le montrer. Pour cela, le il procède au lancement
d’un vaisseau de 80, le Friedland, qui s’avance sur l’Escaut, béni par
le clergé de Malines. Napoléon visite les vaisseaux, mais à la coupée de l’Anversois, vaisseau
de 74, Marie-Louise se tord le pied droit…
Mercredi 2 mai : Napoléon reste cinq jours dans la région Anvers, soit à la Préfecture, soit dans
des logements, parfois improvisés, dans le vent et la pluie. Napoléon écrit à Louis : " J’ai fait lancer des vaisseaux hier. Déjà mon
escadre se porte à l’embouchure de l’Escaut. Ma flotte de Toulon, forte de 18
vaisseaux dont cinq à trois ponts est en appareillage. Un convoi considérable
et trois vaisseaux de 80 sont à Cherbourg pour menacer les îles de Jersey. Je
fais armer ma flottille de Boulogne, enfin je mets tout en mouvement pour tenir
en échec les anglais. Il me tarde de savoir quand vous mettrez vos neufs
vaisseaux en rade ". Jeudi 3 mai : A Anvers, on loge à la Préfecture. Visite
de l’arsenal et l’emplacement de la ville nouvelle projetée au-delà de
l’Escaut. On assiste au défilé du Géant et de ses suivants. Vendredi 4 mai : à Anvers, repas officiel le soir à l’Hôtel de ville. Un
courrier discret lui a annoncé la naissance, à Walewice, de son fils Alexandre
Waleski. Samedi 5 mai : Le roi Louis, maussade, rejoint. Napoléon lui réclame, en vertu
du Blocus, la livraison de vingt et un bâtiments de commerce Américains avec
les marchandises et de fournir pour juillet neuf vaisseaux. Louis raconte à son
frère qu’il vient de rencontrer le banquier Ouvrard qui se rend d’Amsterdam à
Paris où il doit demander à Fouché de nouvelles instructions pour la
négociation que mène à Londres, Pierre Labouchère, banquier Hollandais, fils
d’un protestant installé à La
Haye, beau-frère du banquier Londonien Baring et neveu d’un
armateur Nantais. Napoléon laisse éclater sa colère contre Fouché qui se permet de négocier la
paix dans son dos et sans son consentement. Louis, consterné, fera prévenir
Fouché par Malouet, préfet maritime à Anvers, du danger qui le menace. L’Empereur demande son avis sur cette affaire à Mollien, ministre du Trésor
Public, lui recommandant de surveiller Fouché. Mollien, qui est un adversaire
de Fouché, écrit à l’Empereur " qu’il s’agit d’un excès de légèreté et
comme d’habitude se semer partout des aventures pour tirer parti de celles que
le hasard pourraient conduire à bien ". Au retour, la foudre cependant va tomber sur Fouché comme, l’an dernier, elle
était tombée sur Talleyrand…Louis repart à Amsterdam sans participer à aucune fête. On visite le vaisseau Dalmatie, sans lui…Julien Ouvrard et Joseph Fouché sont deux grands Nantais, le premier de
Clisson, le second du Pellerin. Ils se connaissent. Fouché a été élu député à Nantes pendant la Révolution. A cette
époque le jeune Ouvrard débute dans le commerce maritime, Nantes étant la porte
du nouveau Continent Américain. Débiteur du Trésor en 1809, après son affaire des " Négociants réunis
", Ouvrard voit ses magasins saisis. Il est incarcéré à Sainte Pélagie,
puis libéré à l’automne. Ouvrard comprend que rien ne peut se faire sans paix maritime et reprend avec
Hope, de la banque Hope et Baring, à l’insu de Napoléon, un projet secret de
paix avec l’Angleterre. Ouvrard retournera en prison en juin 1810, Fouché exilé dans sa Sénatorerie
d’Aix-en-Provence…
Ce dimanche 6 mai, on quitte Anvers à 6 h. pour Breda, où
l’on est à 15 h. Louis Garros note qu’il est nerveux et fait une scène au
clergé venu le saluer. Marie-Louise écrit : " L’heure du déjeuner était passée depuis longtemps.
Il était près de deux heures et l’Empereur ne voulut jamais me permettre de
manger en voiture pour la bonne raison, disait-il, qu’il fallait qu’une femme
n’ait jamais besoin de manger. La colère que me donnaient ces beaux
raisonnements, jointe à la faim, m’accablèrent d’une migraine si affreuse
qu’arrivée à Breda, à quatre heures, je vis le moment où je devrais rester en
chemin. Mais l’Empereur, qui nous traite comme des grenadiers, nous force à
continuer. J’étais de si mauvaise humeur que l’Empereur se fâcha, mais tout cela
m’était fort égal et je le laissais gronder à tout son aise sans lui répondre.
Il n’y a rien qui apaise autant les hommes que ce moyen… " Départ de Breda
pour Bois-le-Duc (‘s-Hertogenbosch) ville des Pays-Bas, capitale du
Brabant-Septentrional et bientôt préfecture du département des Bouches-du-Rhin. Lundi 7 mai, A Bois-le-Duc. A 12 h. réception des autorités, visite de la ville
et des fortifications. On part le mardi 8 mai à 7h, passage par Gertruydenberg,
arrivée à Bergen op Zoom à 21 h. Mercredi 9 mai, De grand matin visite des
environs de Bergen op Zoom
Marie-Louise raconte : " J’accompagne l’Empereur à Flessingue, il me
coûterait trop de me séparer de lui. J’ai joui d’un spectacle qui m’ paru le
plus beau que j’ai jamais vu, celui de sept vaisseaux de guerre. Je suis encore
sourde de tous les coups de canon qu’on a tirés. Nous sommes montés à bord du
Charlemagne mais pour y parvenir il faut avoir du courage l’escalier ressemble
à une échelle dont les marches sont si hautes qu’il fallait monter avec le genou.
Il se joignit à cela assez de vent pour occasionner des accidents fort
désagréables. Je suis sûre que nous avons montré nos jambes à ces messieurs.
Aussi je me suis promis de ne plus monter sur un vaisseau de guerre sans un
pantalon ". C’est là, dans l’ancienne île de Walcheren, poussant vers Middelburg et
Flessingue, que Marie-Louise s’offre une joyeuse escapade sur la
plage. Avec Catherine de Wurtemberg, devenue reine de Westphalie, jeune épouse
de Jérôme et nièce du Tsar, elles ramassent des coquillages. Ne connaissant
rien à la marée, elles se font tremper par des vagues. Elle se retrouve
quelques instants, la jeune Luisel. Trois jours à Middelburg avec réceptions et
visites des travaux du port de Flessingue. Oudinot a commencé de prendre possession de la partie sud de la Hollande, en Brabant et
en Zelande. Louis abdiquera le 1er juillet 1810...Le général Oudinot s’est
distingué à Wagram, entre Masséna à gauche et Davout à droite. Dans une lettre
au ministre de la guerre, datée de Schoenbrunn le 29 juillet 1809, l’Empereur
dit : " C’est le général Oudinot qui a pris Wagram, le 6 à
midi ". Ce Lorrain en partira avec le bâton et un mois plus tard, pour
l’ensemble de son œuvre, il reçoit le titre de Duc, avec le domaine de Reggio,
assorti d’une rente de quatre-vingt mille francs. Quand il est désigné pour
occuper le sud de la Hollande,
Oudinot comprend que son rôle sera plus pacifique que militaire. Ce n’est pas
le héros des Grenadiers d’Oudinot, le héros de Friedland et de Wagram, mais
l’organisateur de la principauté de Neuchâtel, au nom de Berthier, qui va avoir
à démontrer ses talents. Oudinot ne pénètre pas au cœur de la Hollande. Il s’arrête à Bois-le-Duc
(‘s-Hertogenbosch) pour prendre la mesure, s’appliquant, en maintenant la
discipline de ses troupes, à respecter les coutumes, à ménager les personnes
avec tact et modération. La sagesse de son intervention fait accepter sans
heurt la présence toujours humiliante d’une armée étrangère. L’expédition
anglaise sur Walcheren, en 1809,
a laissé un cuisant souvenir à Napoléon, qui inspecte la
région minutieusement. Il reviendra, en 1811, contrôler. Oudinot reçoit les
souverains à Bois-le-Duc et à leur second voyage en Hollande en 1811, il sera
leur guide à Amsterdam. C’est maintenant qu’Oudinot apprend un malheur : la perte de son épouse
Charlotte Derlin, avec laquelle il a sept enfants. Elle décède, à l’âge de 41
ans, à Bar-le-Duc, le 22 mai 1810. Son fils aîné, Victor, est venu, à franc
étrier, lui apporter la terrible nouvelle.
Il faut lire cet épisode dans " Les Récits de Guerre et de Foyer " de
sa seconde épouse, la jeune et talentueuse Eugénie de Coucy , celle-là même
qui, cherchant son maréchal de mari, blessé à Polotsk, se verra prêter par
Augereau, en passant à Berlin, une paire de culottes de peau, pour pas qu'elle
ait froid aux cuisses, allant à Wilna, où elle trouvera son époux
convalescent....Après trois jours passés à Middelburg, qui sera préfecture
du département des Bouches de l'Escaut, départ après la messe. Arrêt à Fort
Lillo à19 h, au Fort Frederic-Henry. Arrivée à Anvers à minuit. Le lundi 14 mai, d’Anvers on part à 17 h, pour
Laeken où l’on arrive à 21 h. Vers 20 heures, le cortège est passé à Zemst. Le soir il y a réception et bal. Napoléon souffle à Marie-Louise : "vous
écrirez à Bon Papa, que vous avez fait danser vos bons Belges "…Le mardi
15 mai, toujours à Laeken, avec au théâtre ce soir. Le lendemain, les
souverains son invités à l’Hôtel de ville de Bruxelles où ils arrivent vers 21
h. L’Impératrice danse le quadrille avec son écuyer, le baron de Lalaing d’Audenarde
et le jeudi 17 mai, on laisse Laeken, pour Gand où l’on est le midi. Le soir,
de nouveau, fête à l’Hôtel de ville. Vendredi 18 mai : De bon matin, Napoléon
part de Gand par la rive gauche de l’Escaut, en passant par Sas-de-Gand,
Philippine, Terneuzen, Breskens qui fait face à Flessinge et Sluis/l’Ecluse. Ce
territoire de la rive gauche, après les caprices du Congrès de Vienne, est
désormais Néerlandais...L’Impératrice, elle, rentre directement de Gand à
Bruges vers 14 h.Vers 22 heures la berline de Napoléon entre dans Bruges par la Porte de Damme. Le bourgmestre présente les clefs de la ville à Napoléon. Malgré la pluie et
l’heure tardive, la foule est nombreuse à crier : "Vive l’Empereur, Vive
notre souverain " !
Samedi 19 mai : A Bruges, Napoléon et Marie-Louise visitent des tombeaux de
Charles le Téméraire et de Marie de Bourgogne à la Cathédrale Notre-Dame. De retour à la préfecture, l’Impératrice reçoit un grand nombre de dames de la
société bourgeoise. L’après-midi est consacré par le couple impérial à la
réception des officiers de la
Garde nationale et des régiments en garnison de la ville. Le
soir, le bourgmestre de Bruges offre une grande fête avec bal à l’Hôtel de
ville en l’honneur des souverains.
Le dimanche 20 mai, on arrive à Ostende par eau, à midi, visite du port, des
jetées, des digues et des fortifications. Fête, le soir et lundi on file
d’Ostende à Dunkerque où l’Empereur retrouve le roi Jérôme, avec qui il visite
les fortifications. Quittant Dunkerque, le 22, en fin de matinée, Napoléon et
Marie-Louise arrivent à Lille à 18 h. L’Impératrice y trouve une lettre de son
père à laquelle elle répond aussitôt : " Votre gracieuse lettres fut pour
moi comme un ange de consolation et je l’aie relue plus de dix fois.. "
Elle en profite pour demander à Mme de Luçay d’envoyer à Vienne des bracelets
pour les Archiduchesses ses soeurs et à sa mère une redingote de crêpe rose et
blanc, des habits de chasse, des chapeaux et une bordure en tapisserie. Ces
achats sont faits chez Leroy à Paris. Ce soir, à Lille, théâtre : on joue
Richard Cœur de Lion. Mercredi 23 mai : A Lille, réceptions revue de la
garnison sur l’Esplanade à 16 h. Fête dans la Salle des concerts le soir. Le jeudi matin, les
souverains quittent Lille, pour déjeuner chez le maire à Béthune. Arrivée à
Calais dans l’après-midi.
Vendredi 25 mai : Arrivée à la tour d’Odre à Boulogne. L’Empereur pour inquiéter
les Anglais passe des troupes en revue et rédige des observations pour faire
renforcer les défenses de Forts de Boulogne. Le soir réception. On quitte Boulogne, le lendemain avec un passage à Nempont-Saint-Firmin à 11 h.
pour déjeuner à la sous-préfecture de Montreuil, chère à Jean Valjean…Passage à Abbeville à 14 h. visite de Saint Valéry, arrêt à Fécamp, arrivée à
Dieppe à 18 h. Le dimanche matin, visite du port de Dieppe et messe du dimanche, suivie de
réception, puis départ à midi pour être au Havre à 21 h. Lundi 28 mai : Visite des chantiers au Havre, des bassins, des fortifications.
Il y a une réception en fin de matinée. On visite les frégates Amazone
et Elisa. Le soir, les souverains sont invités par la municipalité.
Départ du Havre le mercredi 30, à 7 h. Passage à Bolbec, Yvetot, Déville. On
est à Rouen 15 h. Fête donnée par la ville puis, Théâtre des Arts. On quitte
Rouen, ce vendredi 1er juin, dans la matinée. Après un arrêt à Louviers de 13 à
15 h. on passe à Saint Germain-en-Laye, pour être rendu à Saint-Cloud à 21h. Cette folle randonnée n’a pas été de tout repos. Le docteur
Yvan, sollicité pour la foulure au pied droit, à la coupée de l’Anversois,
le fait savoir à l’Empereur, parlant déjà d’espérances pour sa jeune épousée.
Marie-Louise a écrit à son père : " J’espère que le docteur Yvan a raison
quand il suggère qu’il y a quelques jours que je suis en espérance, mais il
n’est pas assez certain pour me permettre de l’annoncer. " Mais, désir de plaire au souverain ou stratagème, son diagnostique est trop
léger. Patience…
|
|
|
|
|
|
|
1813 - MARIE-LOUISE à CHERBOURG |
|
|
Après les victoires de Lutzen et Bautzen en mai 1813, Napoléon est en Saxe depuis quelques mois déjà. Il veut voir sa femme. Pour cela, il envoie un courrier à
Cambacérès. Le voyage est programmé dans ses moindres détails : " Elle
emmènera la duchesse (La maréchale Lannes), deux dames du palais, deux femmes rouges, deux femmes
noires, un préfet du palais, deux chambellans, deux écuyers dont un partira
vingt-quatre heures d’avance pour Metz afin de préparer la route, quatre pages,
son médecin. De plus elle aura un service de bouche composé de telle sorte que
sa table puisse être bien servie, vu que je n’emmènerai personne avec moi et
qu’il est possible que quelques rois ou princes d’Allemagne viennent la voir.
Le comte Caffarelli accompagnera l’Impératrice pour assurer les escortes…
" Marie-Louise, très heureuse de revoir son mari, se met en route le 23 juillet,
par la Ferté-sous-Jouarre,
pour Châlons, Clermont-en-Argonne, Verdun, Metz, Mayence. Avant de partir, elle a écrit à son père : "J’ai reçu votre dernière lettre elle m’a fait beaucoup de peine parce que
je vois la dernière espérance de paix perdue. Je vous plains intérieurement mon
cher Papa. Je suis persuadée que cette guerre apportera beaucoup de malheurs.
Comptez sur moi mon très cher Papa, si je puis vous rendre service à l’issue
des événements, je le ferai certainement. L’Empereur ne me chérirait pas s’il
n’était assuré des sentiments que j’ai pour vous, mais vous ne me chéririez pas
si mes premiers vœux n’étaient pas pour le bonheur de mon mari et de mon fils
"... En attendant que les choses se dessinent, au mois de
juillet, Napoléon fait une tournée de cinq jours dans les places de l’Elbe à la
veille d’affronter l’Europe entière. Il tâche de secouer et de ramener
l’opinion en France qui tourne trop vers la paix. Il écrit lettres sur lettres. A Savary : " Le ton de votre correspondance ne me plaît pas, vous m’ennuyer toujours
avec votre paix. Je connais mieux que vous la situation de l’Empire. Je veux la
paix plus que personne mais je ne ferai pas une paix déshonorante et qui nous
ramènerait une guerre plus acharnée avant un mois. " A Cambacérès : " J’ai vu plus de vingt lettres de ministres étrangers qui
écrivent chez eux qu’on veut la paix à tout prix à Paris. Tous les bavardages
font le plus grand mal à mes affaires. On a Paris bien des idées fausses si on
croit que la paix dépend de moi. " A ses maréchaux : " Je vois bien messieurs que vous ne voulez plus la
guerre. Berthier veut aller chasser à Grosbois, Rapp habiter son bel hôtel à
Paris." Au milieu de " ces harassements des siens ", c’est son mot, Napoléon se
sent isolé et cet isolement lui pèse. Il sait Maret persuadé de l’avarice
Autrichienne, Caulaincourt entiché du Tsar, Bernadotte guettant sa proie, les
intrigues de Murat et les courriers d’Espagne. Il sait par les rapports des
espions, l’arrivée des Anglais, les déplacements de Metternich, les allées et
venues de diplomates, de militaires entre Reichenbach et Gitschin aujourd’hui
en Tchéquie et théâtre d’une bataille austro-prussienne en 1866. Si l’Autriche, logiquement à cause de ce mariage autrichien, avait choisi
l’alliance française, en 1813, elle n’aurait pas été vaincue à Gitschin, le 29
juin 1866, ce qui va lui coûter très cher. Et cette solitude lui pèse. Il écrit à sa femme, tous les jours, et le 17
juillet : " Ma bonne Louise, je vais demain faire une course de 100 lieues
en Lusace. Je serai de retour le 22 et je partirai le 13 pour Mayence ou je
serai en 40 heures. Ma santé est fort bonne et je me réjouis de beaucoup de
plaisir de te revoir. Adio, mio bene. Nap. " Quand Marie-Louise arrive à Mayence, il la rejoint, le lundi 26 juillet, au
galop, suivi seulement du Major-général, deux aides de camp et deux écuyers. Le
séjour des deux époux à Mayence dure cinq jours. Ils y goûtent avec la joie de la réunion, les derniers hommages rendus à
l’Empereur d’Occident et à l’Impératrice. Hommages réduits, ce n’est plus le
parterre de rois d’Erfurt de 1808, le parterre de rois de Dresde du printemps
de 1812 : cinq petits princes de la Confédération du Rhin, voisins de Mayence, les
Grands-ducs de Hesse, de bade, de Francfort, les princes d’Isenbourg et de
Nassau. L’Empereur doit mesurer par là que sa fortune est déjà malade. Aussi bien, il
reçoit des dépêches de Dresde, de Prague qui le confirme dans l’idée que le
Congrès n’est qu’une comédie. Le mercredi 28 juillet, ils font, l’après-midi,
une belle promenade sur les deux rives du Rhin et le lendemain une visite de la
campagne environnante. Le vendredi et samedi sont consacrés aux réceptions.
Marie-Louise lui rapporte les rumeurs de Paris, auxquelles il est sensible. A
travers les propos de sa jeune femme, il devine la démoralisation commençante
encourageant la trahison naissante. En dépit des préoccupations, Napoléon se
montre débordant d’optimisme. Il a surtout souci de ne pas laisser croire que
l’attitude de Papa François diminue et diminuera jamais sa tendresse pour elle.
Il continue à être près d’elle galant, empressé. C’est ainsi qu’ils vont à Biberich, à Wiesbaden, à Cassel. Dans les dîners un
témoin raconte qu’on le voit soudain "pensif, silencieux, méditatif, au
point qu’il ne prend à ce qui se passe autour de lui qu’une part machinale
". Mais il se ressaisit vite, se montre jovial avec de grandes espérances
prévoyant un voyage de l’Impératrice à Cherbourg. Ce soir, l’Empereur pend
congé de son épouse, l’embrasse tendrement, monte à cheval et s’engage par le
pont de Cassel. De la fenêtre de sa chambre, Marie-Louise lui envoie un dernier
adieu de la main. Marie-Louise s’embarque sur un yacht, le 2 dans la matinée. Un second yacht et
deux bateaux de charge naviguent de conserve. Les voitures suivent la rive
gauche du Rhin. On arrive assez tard à Saint-Goar, car Marie-Louise s’est
arrêtée pour visiter les ruines d’un burg, qui passe pour être le berceau des
Metternich. Il fait beau à souhait, les paysages sont magnifiques. On va à
Coblentz, puis Cologne par le fleuve. Les rives, aux abords des villes, sont
couvertes de barques décorées. C’est un enchantement. Le 5 août Marie-Louise reprend ses équipages et va coucher à Aix-la-Chapelle.
On visite le lendemain, la cathédrale et une exposition des industries locales.
Départ pour Liège, coucher à Namur. Le 7, Rethel, le 8, Compiègne puis arrivée
le 9 août à Saint-Cloud. On pense déjà au prochain voyage à Cherbourg…Napoléon a quitté Mayence, le 1er août, pour Wurzburg, où il déjeune chez le
maréchal Augereau. Le soir, arrivée à Bamberg, petite halte chez le beau-père du maréchal
Berthier, on se remet en route vers Bayreuth, où l’on est au matin du mardi 3 août. Revue des troupes Bavaroises et Françaises, la dernière. Direction Dresde où l’on est le mercredi 4 août. Travail, réceptions, visites,
promenades. Le mardi 10 août, on fête la
Saint Napoléon en avance, fête de l’Empereur, avec grande
revue de 15.000 hommes...
Marie-Louise part pour Cherbourg. On a reculé la date de
départ au 17 août, pour qu’elle assiste à la Saint Napoléon le
15, à Paris. La dernière ! Elle reçoit les hommages dans la salle du Trône, entend la
messe et le Te Deum. Savary a préparé ce voyage dans l’Ouest. Il a demandé à son vieux camarade le
général Caffarelli, qui accompagne l’Impératrice de veiller à l’exactitude : " Procure toi beaucoup d’anecdotes obligeantes sur les personnes
présentées afin qu’elle ait une parole de bonté qui sera racontée par cent
bouches diverses et qui fera écrire autant de lettres dans le même
esprit." Tout cela, sans doute, il doit le dire à la Dame d’Honneur, maréchale Lannes, mais ce
serait perdre son temps " dit-il. Comme il craint de n’être pas bien compris, il insiste auprès de Caffarelli :" De ce voyage il peut résulter un grand bien ou de la tiédeur qui dans la
circonstance est un mal. L’Impératrice peut prendre de la confiance. On a déjà
de la vénération pour elle et on lui rendra au centuple le moindre accueil
qu’elle sait si bien embellir lorsqu’elle est livrée à elle-même. Mais pour Dieu mon ami, pas de "réfrigérants" ! Tu me comprends…
" Caffarelli ne fait pas le poids face la duchesse de Montebello qui retarde le
voyage, car une des dames ne lui plaît pas et on ne part que le 23 août. Le premier jour, on va à Evreux. Le deuxième, on déjeune à la Rivière-Thibouville,
puis on couche à Caen. A Caen, le préfet organise une offrande de bouquets de fleurs, avec choeurs de
dames et d’enfants. On offre un cheval blanc à Sa Majesté, le plus beau du
département. Les montres de Leroy font office de monnaie d’échange et par
hasard une montre est offerte à la petite Eugénie Pellapra, qui joue un rôle
dans la scène champêtre et dont la mère joua un autre rôle en 1810... Le lendemain, on est à Cherbourg. Le 26 août, l’Impératrice parcourt à pied sec
une partie du bassin, puis remonte en voiture jusqu’au château de Martinvasst,
déjà visité en mai 1811. Le 27, promenade au château de Querqueville que
Napoléon veut acheter et au retour on assiste à la mise en eau du bassin. Le
séjour à Cherbourg continue par un bal de la marine dans une salle de
l’Arsenal. Le 30, Marie-Louise va en canot dans la rade et déjeune sur la digue comme elle
l’avait fait avec Napoléon, lors du voyage de noce de 1810. Le soir, il y a spectacle avec les acteurs de
l’Opéra-comique venus de Paris. Le 31, l’Amiral Troude organise une sortie de pêche en mer. L’Impératrice
arrive à marée basse en calèche, suit la plage et à mesure qu’elle passe, on
tire les filets. Elle s’amuse beaucoup, pour mieux voir les poissons, elle fait
avancer la voiture qui a la mer jusqu’aux essieux. L’Impératrice est gaie par les nouvelles reçues ce matin. Le 26 août,
Napoléon a battu les Coalisés à Dresde. L’Empereur demande à Kellerman
qui est à Mayence : " Faites connaître par télégraphe à l’Impératrice que
j’ai remporté, hier, une grande victoire sur les armées Autrichienne, Russe
et Prussienne. " Le 1er septembre 1813, c’est le départ et les habitants viennent en cortège demander
d’appeler leur ville Napoléonbourg. Direction Valognes et coucher à Caen. Retour par Rouen et Mantes, pour être à Saint-Cloud, où attend
l’Archichancelier Cambacérès, suivant l’étiquette…
|
|
|
|
|
|
|
1814 - MARIE-LOUISE à CHAMONIX |
|
|
" Schönbrunn, 24 mai 1814, Mon cher Ami. Je ne t'ai pas écrit depuis bien longtemps, j'en ai bien
souffert mais ne m'accuses pas d'oubli, cela serait la chose qui me ferait
encore le plus cuisant des chagrins que j'ai éprouvé jusqu'à présent. Je crains
même que cette lettre ne te parvienne pas, j'essaie cependant toujours, j'aime
mieux qu'elle s'égare que d'avoir à me reprocher d'avoir manqué une occasion où
j'aurais pu t'en donner de mon fils. Comme je passe tristement mon temps loin
de toi, je sens tous les jours ce vide de plus en plus, je fais des voeux pour
te revoir. Ta bonne lettre du 24 (27 avril) m'a été remise à Melk, c'est mon
père qui me l'a envoyée, j'ai été bien contente en apprenant que tu es arrivé
heureusement. Cette nouvelle tardait à venir, et je t'assure que j'en étais
bien tourmentée. Je suis aussi bien contente de voir que tu trouves l'île
jolie, j'espère que le climat en est sain et que ta santé n'en souffrira pas.
J'espère que tu m'enverras quelqu'un qui pourrait me décrire tout cela, comme
je le questionnerais, mais je t'impatienterais à force de questions. Je veux te
broder un meuble pour ta chambre, je veux qu'elle ne soit ornée que de ma main. Ton fils t'embrasse, il ne s'est jamais mieux porté qu'à
présent, il grandit et se fortifie d'une manière étonnante et il devient aussi
tous les jours plus spirituel et plus intelligent. On trouve ici qu'il te
ressemble beaucoup, c'est une raison de plus pour qu'il me soit bien cher. Je
ne conçois pas qu'il n'ait pas été fatigué du voyage, je ne lui ai jamais vu le
teint aussi frais qu'à présent, il me parle beaucoup de toi, je lui en parle
encore plus. J'ai été reçue à merveille ici, j'ai été bien touchée de la
manière dont ma belle mère et toute ma famille ont bien voulu me recevoir, mais
j'ai été mécontente de moi, je n'ai pas eu de plaisir à les revoir, je deviens
indifférent à tout, je voudrais que cela puisse me rendre insensible, j'en
aurais besoin. Ma santé se remet un peu, je suis moins souffrante mais je
ne vais pas bien encore, je suis fatiguée, j'espère que les eaux me remettront
et que je n'aurai plus à te parler d'une chose aussi ennuyeuse que celle là,
que pour te dire que je me porte entièrement bien. M. Corvisart me charge de le
mettre à tes pieds, il est obligé d'aller faire un séjour à Paris pour ses
affaires, mais il m'a promis de revenir au bout d'un mois me rejoindre à Aix,
en attendant il me donne M. Métivier et un chirurgien nommé M. Herault qu'il me
garantit bon. La Duchesse,
le général Caffarelli, M. de Saint-Aignan partent aussi lundi, je resterai donc
seule avec mes tristes pensées, j'aime à m'y entretenir, la gaieté est finie
pour jamais chez moi. Le Comte de Lobau (le
général Georges Mouton prisonnier en Hongrie) arrive aujourd'hui ici, il
doit rester 3 jours avec moi, je serai contente de le recevoir, il a été si
attaché à toi que je serai contente de causer avec lui. Je te prie de me donner
de tes nouvelles, je les attends avec de l'impatience, en attendant je
t'embrasse et t'aime bien tendrement. Ta fidèle Amie Louise "
Le décès de l’Impératrice Joséphine, à La Malmaison, aura bientôt
des répercussions sur le vie de l’Impératrice Marie-Louise…Mais, pour l’instant
ce qui la préoccupe, c’est de rétablir sa santé et d’aller, comme le prescrit
le baron Corvisart, aux eaux d’Aix en Savoie. C’est également un prétexte de
quitter Vienne où Marie-Louise ne se sent pas à l’aise, tiraillée entre sa
Maison française et sa famille autrichienne. Elle a gardé de goût de la France, sa mode, sa
cuisine, ses coutumes. Elle a trouvé une alliée de choix parmi sa famille, la
vieille Reine de Naples Marie-Caroline, qui, autant elle détestait Napoléon qui
lui a pris son royaume, autant elle le respecte dans l’exil. Elle-même, s’est
exilée à Vienne, ne supportant plus les Anglais en Sicile. Elle conseille à
Marie-Louise de rejoindre son mari : « Il fallait attacher les draps de
votre lit à votre fenêtre et vous enfuir sous un déguisement, voilà ce que
j’aurais fait. Quand on est marié c’est pour la vie ! ». Cette forte aïeule,
sœur de Marie-Antoinette, est la mère de Marie-Amélie, future Reine des
Français, pour avoir épousé Louis-Philippe. Marie-Louise trouve un refuge
auprès de cette grand-mère romantique. Mais un jour que le petit Napoléon
demande " Quand reverrons-nous papa ? " Marie-Caroline qui n’y croit
guère répond d’une voix bourrue en manière de provocation : « Tu ne le
reverras plus ton papa ! » Alors Marie-Louise bondit, prend son fils dans
ses bras et dit avec fureur « Tu le verras, je te le jure ! Tu le verras ! » Son père François II rentre de Paris le 15 juin. Il ne pense
pas à rétracter sa parole concernant Aix en Savoie, mais dès le premier jour de
son retour il impose comme condition que son fils reste à Vienne par mesure de
sécurité car Aix est toujours en France et les rapports de police donne les
Bourbons comme fragiles sur leur trône et le pays de Savoie, un carrefour
d’espions. Le gouvernement de Louis XVIII sait que Fouché et Talleyrand, déçus
par leur Restauration, lorgnent déjà vers le Duc d’Orléans ou un retour de
Marie-Louise.
Marie-Louise accepte. Elle l'écrit à la maréchale Lannes,
rentrée à Paris, pour s'occuper des ses cinq enfants. " Je laisse mon fils
ici. Mon père m’a donné tant de bonnes raisons que je ne puis m’empêcher d’y
accéder. Je vous le dirai d’ailleurs en temps et en lieu. Cela ne m’empêchera
pas d’être bien tourmentée de na pas l’avoir près de moi. " Son fils vit à ses côtés, leurs chambres sont séparées par
un cabinet de toilettes. Avec Léopoldine, sa jeune soeur, Marie-Louise entraîne
le petit, dans des promenades et des visites au parc, au Jardin Tyrolien, à la
ménagerie. Toujours la foule respectueuse admire le fils de Napoléon. Plusieurs
fois par semaine, un élégant attelage aux armes napoléoniennes, les conduit au
Mölkerbastei, sur la colline du Kahlenberg, chez le Prince de Ligne, vieil
aristocrate européen de soixante dix neuf ans, né à Bruxelles. Possesseur d’une
immense fortune qu’il a perdue lors de l’occupation française de la Belgique, notamment du
château de Beloeil le Versailles belge, il supporte maintenant sa "gêne
" entouré de livres et de ses manuscrits. En 1809 il est séduit par
Napoléon victorieux et maintenant se passionne pour Marie-Louise, Iphigénie
devenue Andromaque. Le petit Bonaparte l’attendrit particulièrement " Il
est le plus bel enfant qu’on puisse imaginer. Sa ressemblance avec son aïeule
Marie-Thérèse est étonnante. La coupe angélique de son visage, la blancheur
éblouissante de son teint, le jeu des ses yeux, ses jolis cheveux blonds
tombant en grosse boucles ". Sans façon, le petit bonhomme s’assied sur
ses genoux et lui demande de raconter les batailles de son père, puis ils font
évoluer les petits soldats de plomb. Avec talent le Prince de ligne lui raconte
sa longue carrière au cours de laquelle il a vu beaucoup de gloire mais aussi
beaucoup de malheurs.
A Schönbrunn, Marie-Louise, avec une étiquette réduite,
reçoit comme une souveraine en visite. Les livrées de sa Maison, sa vaisselle
marquée de l’emblème napoléonien sont les mêmes qu’en France. Maria-Ludovica,
Impératrice d’Autriche vient régulièrement visiter sa belle-fille et partager
son repas. Sont invités Mme de brignoles, Méneval, Bausset qui côtoient les archiducs
et archiduchesses. La maréchale Lannes duchesse de Montebello, Corvisart et
Saint-Aignan sont repartis pour Paris, dès que la décence et la civilité l’ont
permis. Pendant ce temps Metternich est à Londres, il ne rentre à
Vienne que le 18 juillet. Mais les instructions sont formelles, l’enfant doit
rester à Vienne. Louis XVIII voit d’un mauvais œil que l’Impératrice vienne en
France à Aix prendre les eaux, il ne faut pas le contrarier car le duché de
Parme est toujours en balance.
" Schönbrunn, 22 juin 1814, Mon cher Ami. J'ai éprouvé hier un bien grand moment de bonheur lorsque M.
Méneval est venu m'apporter une lettre du général Bertrand du 27 mai qui me
donnait des nouvelles de ta santé. Quoique bien ancienne, elle m'a fait bien
grand plaisir parce que j'étais absolument sans nouvelles de l'île d'Elbe et
que cela me tourmentait bien. Je suis bien contente de voir que tu t'y trouves
bien et que tu songes à te faire bâtir une jolie maison de campagne. Je te
demande de m'y réserver un petit logement, car tu sais que je compte toujours
bien venir te voir le plus tôt que je pourrai, et je fais des voeux pour que
cela soit bientôt. J'ai été bien touchée de la manière dont mon père m'a reçue,
il a été au devant de tous mes désirs, il m'a dit qu'il n'y avait pas la
moindre difficulté d'aller aux eaux, mais il m'a conseillé de laisser mon fils
ici pendant ce temps. Il m'a dit que, comme j'allais sur la frontière de la France, on pourrait croire
que je voulais troubler la tranquillité, que cela pourrait m'attirer des
désagréments, ainsi qu'à mon fils, mais tu sais comme les mères se tourmentent
loin de leurs enfants. Le général Bertrand m'a écrit que tu m'envoyais à Parme des
chevaux d'attelage et des lanciers. J'ai dit qu'on laisse tout cela jusqu'à ce
que j'y arrive, je crains de ne pas pouvoir nourrir autant de chevaux, mais
quand j'y serai, je ferai un choix des meilleurs et je vendrai le reste. On dit
que le duché ne rendra presque rien la première année, de sorte que je vivrai
économiquement autant que possible. Ton fils t'embrasse, il est d'une gaieté à toute épreuve et
beau comme le jour, il recueille partout les suffrages ici. On le trouve
superbe et on trouve qu'il te ressemble beaucoup, ce qui me fait grand plaisir.
Il me parle toujours de toi et je lui parle encore plus souvent de toi. Ma
santé va beaucoup mieux, je suis un régime fort sévère que M. Corvisart m'a
prescrit et ma poitrine va bien mieux depuis ce temps. Je suis d'une tristesse
affreuse, qui me poursuit partout, et le reste du temps je passe à penser à
toi. Je partirai le 29 au soir pour les eaux, je compte aller le premier jour
jusqu'à Lambach, le 2 jusqu'à Kaunstein, le 3 à Mindelheim, le 4 à Mörseburg,
le 5 à Rasau, le 6 à Berne, où je m'arrêterai un jour, le 8 à Lucerne, le 9 à
Lausanne, le 10 à Genève où je m'arrêterai et je serai dans la douzième journée
à Aix. Comme je ne veux recevoir personne aux eaux, je prendrai le nom de la
comtesse de Colorno, qui est la maison de campagne de Parme. Si tu as la bonté
de me répondre, je te prierai de me faire passer la réponse à Aix, car elle ne
me trouverait plus ici, écris-moi souvent, mon cher Ami, c'est ma plus douce
consolation, et sois surtout persuadé que rien au monde ne pourra jamais faire
changer les tendres sentiments que j'ai pour toi. Je t'embrasse et t'aime de
tout mon coeur. Ta tendre et fidèle Amie Louise "...
Le 29 juin, c’est sous le nom de Duchesse de Colorno, que Marie-Louise
quitte Vienne,
accompagnée de Mme de Brignole, des lectrices Mmes Hurault de Sorbée et
Rabuson, M. de Méneval et de Bausset, des médecins Molivier, Herreau et
Lacornère, du quartier-maître Amelin, deux femmes de chambre, une
blanchisseuse, dix-sept hommes de service, un charron et trois courriers. Le
nom de Colorno est celui du château près de Parme. Quittant Vienne, " cette vilaine prison ", dans sa
dormeuse aux armes impériales, Marie-Louise écrit : "J’ai eu un moment
pénible, celui où j’ai pris congé de mon père. Dieu sait quand je le
reverrai…". Elle a toujours l’intention de passer d’Aix-en-Savoie à Porto-Ferraio. Elle commence sa tournée assez provocatrice qui ne manque
pas d’inquiéter le cabinet de Vienne. D’abord à Munich chez Eugène de
Beauharnais et son épouse Augusta de Bavière qui vient d’accoucher de son
cinquième enfant. On a vu qu’Eugène se trouvait à la Malmaison au moment du
décès de sa mère. Il avait vite su faire la route de Paris, pour s’entretenir
avec le Tsar, afin de retrouver une situation. Puis, Marie-Louise passe voir
ses beaux-frères, en Suisse. Maintenant qu’elle n’est plus Régente, elle n’en a
plus peur. Louis est aux eaux, à Baden, toujours insignifiant, réduit à
lui-même. Jérôme à Payerne réfléchissant à l’avenir. Joseph joue les vertueux à
Prangins, au bord du Lac Léman, entre Lausanne et Genève. Sans doute le
gouvernement autrichien n’a pas prévu ses rencontres avec la belle-famille et
flaire des relents de conspiration. Marie-Louise passe avec son cortège et
s’arrête quelques jours à Genève. Elle fait une longue promenade en bateau sur
le lac. Son discret séjour est commenté par la presse locale, touchée par
l’apparition romantique de l’Impératrice " vêtue d’une robe blanche sur
une tunique de soie verte, un châle à grandes draperies, un chapeau de paille
garni de dentelles et de fleurs. Son regard annonce une grande mélancolie et
une expression de bonté ".
« Récit d’une
excursion de l’Impératrice Marie-Louise aux glaciers de Savoie en juillet 1814
- Claude François Méneval »
Cet opuscule qui n’était pas destiné originairement à l’impression, devait
faire partie des Souvenirs sur Napoléon et Marie-Louise, lorsqu’ils ont paru la
première fois en 1843. Mais l’auteur a craint de mêler la futilité d’un genre
un peu passé de mode à la gravité de récits plus sérieux. La persistance dans
des préventions exagérées, dont l’ex-impératrice est encore l’objet, fait
regretter que cette lacune ait été laissée dans les Souvenirs. Le récit de
l’excursion ignorée de Marie-Louise aux glaciers de Savoie, récit écrit
immédiatement après le retour du Montanvers et qui, à défaut d’autre intérêt,
reproduit dans toute leur sincérité les impressions du moment, est l’expression
fidèle des sentiments de cette princesse, à l’époque de la chute de l’Empire.
La publication quoique tardive, de cette relation, qu’aucune suggestion n’a
provoquée, est un témoignage rendu à la vérité. L’auteur a pensé qu’il n’était
pas permis à un témoin oculaire de laisser peser sur la femme de Napoléon le
reproche de s’être empressée d’abandonner la cause de grand infortuné et même
d’avoir prémédité cette odieuse défection. La dignité nationale est intéressée,
jusqu’à un certain degré, à ce que l’injustice de cette accusation soit
démontrée. L’opinion publique, en l’admettant sans examen, dans un premier
moment de légitime irritation, a été exclusivement préoccupée de la conduite postérieure
de cette princesse et de l’oubli des sentiments dont le souvenir d’une
glorieuse union n’a pas été la sauvegarde. Elle a subi, à son insu, l’influence
d’un préjugé populaire répandu en France, préjugé qui, par une étrange
singularité, d’une femme bonne jusque la faiblesse et douée de beaucoup
d’agréments extérieurs, s’est plu à faire une femme méchante et laide.
L’attitude de Marie-Louise, dans ce grand désastre, reste à l’abri du reproche.
Un seul regret doit être exprimé, c’est qu’elle n’ait pas pris, à Blois, une
initiative dont le succès eût pu produire d’heureux résultats. Sa timidité,
fruit d’une éducation imposée par une autorité paternelle, mais essentiellement
despotique, et l’habitude d’être dirigée, ne l’eût peut-être pas arrêtée. Mais la
juste crainte de traverser les projets de l’Empereur Napoléon, qui lui
prescrivait dans ses lettres, d’être toujours à portée de communiquer avec son
père, lui ôtait toute liberté d’action. Ce moment perdu ne s’est pas retrouvé.
Le but de cette publication est de faire connaître qu’elle était la situation
d’esprit de l’ex-impératrice dans les terribles circonstances où elle est
tombée sous la dépendance des nouveaux maîtres de l’Europe. Un fatal concert
s’établit alors entre eux sur la portée du rôle qu’ils lui destinaient à son
insu. Le Congrès de Vienne, ce foyer où bouillonnaient les ambitions, les
rivalités et les haines qui poussaient tous les cabinets de l’Europe à la curée
des dépouilles de l’Empire, a vu s’accomplir des sinistres résolutions, conçues
dans les conseils d’une ténébreuse politique. La ruse et la violence ont été
mises en ouvre pour détourner du droit chemin et pour avilir une épouse, une
mère, après l’avoir précipitée d’un rang dans lequel elle n’avait recueilli
jusque là que le respect des peuples. La Sainte Alliance
n’a pas reculé devant l’oubli de la morale, devant la violation des lois
divines et humaines, pour consommer par la perte d’une faible femme, la ruine
de l’homme auquel son sort était lié, appelant ces honteux auxiliaires à l’aide
de la conjuration générale de l’Europe contre ce redoutable adversaire.
Marie-Louise n’avait pas encore été entourée des pièges qui furent tendus plus
tard à son inexpérience. Elle n’avait pas encore vu le général Neipperg qu’elle
ne trouva à Aix qu’après son retour du Montanvers. Des menaces combinées avec
des promesses fallacieuses, des appels à sa piété filiale, enfin des séductions
de tous genres ne l’avaient pas encore détachée d’un époux, au sort duquel
l’attachaient des liens du devoir et de l’affection. Les regrets qu’elle
exprimait excitaient d’autant plus les sympathies de l’auteur, qu’ils étaient
en harmonie avec les sentiments dont il est pénétré pour une mémoire auguste et
chère, sentiments fondés sur une connaissance intime du génie de
Napoléon, acquise par une longue habitude de la confiance. Captive et violemment séparé de son époux, la catastrophe de l’Empire avait
jeté dans l’âme de Marie-Louise une profonde tristesse. A la douleur qu’elle
éprouvait se mêlait un vif ressentiment de la froide insensibilité qui, en
disposant d’elle sans la consulter, la frappait dans ses affections et menaçait
de rompre des liens que, dans sa conscience, elle regardait comme
indissolubles. Tout son désir était de s’affranchir de cette tyrannie.
Persuadée qu’un fois sortie de Vienne, elle n’y reviendrait plus, elle était
impatiente de partir et ne cessait de présenter son voyage à Aix comme exigé
impérieusement par l’état précaire de sa santé et l’excursion aux glaciers de
Savoie comme une diversion à de légitimes chagrins. Ceux qui prendront la peine de lire cette relation pardonneront à son auteur de
revenir sur une époque qui rappelle une fidélité au malheur contre laquelle ont
conspiré, avec un succès qu’on ne peut trop déplorer, une politique implacable
d’un côté, de l’autre un naturel timide et irrésolu, l’absence et le retour à
de premières impressions dont un trop court séjour parmi nous n’avait pu
effacer la trace. Le récit de cet épisode de l’Epopée impériale, quoique très futile au fond, a
un côté utile. Il rétablit les faits en renvoyant le blâme à qui il appartient.
C’est à ce titre qu’il s’adresse surtout aux écrivains qui entreprendront
d’écrire l’histoire de notre temps et comme un appel à leur impartialité. Il
est nécessaire d’ajouter qu’une vaine prétention à la renommée littéraire,
prétention qui serait d’ailleurs peu justifiée par l’exilité de cette
production, que le désir d’assurer un lendemain à une de ces œuvre fugitives
destinées à ne vivre qu’un jour, ne portent point l’auteur à tirer de
l’obscurité ce récit entremêlé le rimes. La forme originelle de ce petit récit
et les frivoles ornements dont il est revêtu n’ont été conservés qu’afin que
reproduit dans toute son intégrité, sa date fût en quelque sorte fixée."
FIN DE L'AVERTISSEMENT.
Vous avez bien remarqué que dans son Avertissement,
Claude-François Meneval, donne son avis sur ces journées capitales entre Blois
et Orléans. Devenues fatales, suite à l'arrivée du général Schouwaloff, qui
descendu à l'Auberge de La
Galère, distribue argent d'une main, passeport de l'autre
pour éparpiller tout le ministère, qui suit la Régente. Esseulée,
Marie-Louise sera ainsi plus vulnérable. L'Auberge La Galère était, au XVIII°, le
plus grand hôtel de Blois, dernière maison sur la Loire, immeuble situé
aujourd'hui à l'angle de la
Place de la
Grève et du Quai de Foix. Le beau-frère de Caulaincourt,
Saint-Aignan accompagnait Schouwaloff. C'est Caulaincourt, lui-même, qui avait
demandé au Tsar, un de ses aides de camp pour escorter Saint-Aignan, les routes
étant devenues peu sûres...On voit la souplesse du Tsar ! Après l'Avertissement
il faut passer au Prologue avant d'attaquer la montagne...
" PROLOGUE : Avant de raconter le voyage de l’ex-impératrice aux glaciers
de Savoie, je dois rappeler les circonstances qui ont donné lieu
à cette excursion. Notre brave armée décimée, mais non vaincue, après une lutte héroïque soutenue
contre toute l’Europe coalisée, fut forcée de céder au nombre, aidé par la
trahison. Le monde connaît sa résistance obstinée, sa gloire et ses malheurs.
Paris fut envahi après la fatale retraite de la régente, qui, accompagnée de
son fils et suivie par les principales autorités. Elle y arriva dans la soirée
du 2 avril. C’est le triste anniversaire d’un jour mémorable. Quatre ans
auparavant, à pareil jour, la fille des césars avait fait à Paris, comme
Impératrice des Français, une pompeuse entrée accueillie par les transports de
tout un peuple enivré, confiant dans l’avenir. Le temps était à jamais passé du
retour des anniversaires fameux qui rappelaient tant d’époques heureuses et
glorieuses ! Six jours se passèrent dans l’attente du parti que prendrait
l’Empereur, dont la correspondance avec l’Impératrice, était journalière. Le 8
(avril 1814), le général Russe Schouwaloff arriva à Blois et notifia à
cette princesse une décision du conseil souverain des alliés, qui le chargeait
de la conduire à Orléans avec son fils. La mission de cet envoyé des alliés,
quand l’Empereur d’Autriche et son ministre n’étaient pas encore arrivés à
Paris, était d’un sinistre augure. Elle causa à Marie-Louise une douloureuse
émotion. Mais il fallait obéir ou tenter une résistance impossible. Elle partit
le lendemain pour Orléans, sous la conduite du général Schouwaloff, et trouva à
Angerville un camp russe qui lui fournit l’escorte. Pendant son séjour à
Orléans, le duc de Cadore (Champagny), que Napoléon l’avait engagé à
envoyer près de son père, et qui fut obligé de courir jusqu’à Chanceaux, près
de Dijon, où ce prince était retenu par les mouvements de l’armée française,
rapporta à l’Impératrice des lettres dont le contenu ne la rassura point. Elles
renfermaient des protestations de tendresse et d’intérêt, mais aucune promesse
positive. Ses inquiétudes s’en accrurent. La retraite des Français qui
l’avaient suivie lui porta un nouveau coup. Elle se porta à une douleur
immodérée. Ses yeux étaient constamment gonflés par les larmes. Son teint était
empourpré par une ardeur fiévreuse, et tous ses traits bouleversés par une vive
souffrance. Quand le prince Paul Esterhazy et le prince Wenzel-Lichtenstein se
présentèrent, le 12 (avril 1814), à Orléans, pour l’inviter à se rendre
immédiatement à Rambouillet, où son père devait l’attendre, elle se disposait à
partir pour Fontainebleau. L’assurance qui lui fut donnée par ces envoyés du
Prince Metternich, que l’Empereur Napoléon était prévenu de ce rendez-vous,
ranima ses espérances. Elle fut rassurée par la pensée que son époux, qui lui
avait itérativement recommandé de se tenir en communication avec l’Empereur
d’Autriche, approuvait l’entrevue, et qu’elle ne recourrait pas en vain à la
protection d’un père, sur l’affection duquel elle devait compter. Arrivée à
grande hâte à Rambouillet, le 13 avril à dix heures du matin, après avoir
voyagé pendant toute la nuit, Marie-Louise n’y trouva point son père, ses yeux
cherchèrent en vain ses serviteurs et ses gardes. Ils ne rencontrèrent que de
hideux Cosaques, maîtres des grilles et des avenues du château. Sa surprise fut
grande de n’y point trouver son père. Ce prince n’était même pas encore à
Paris, où il n’arriva que le lendemain 14. Ce ne fut que le 16 qu’il vint enfin
à Rambouillet, suivi par M. de Metternich. Quant à l’agrément qui avait été en
effet demandé à l’Empereur Napoléon pour le lieu de l’entrevue, ce prince n’eut
pas à le donner. On ne l’avait pas attendu pour enlever l’Impératrice
d’Orléans. Pour expliquer la précipitation avec laquelle elle fut entraînée à
Rambouillet, il suffira d’ajouter que le lendemain du jour où elle partit
d’Orléans, le général Cambronne y arriva avec deux bataillons de la Garde Impériale,
pour protéger son voyage à Fontainebleau. Cette mission du général Cambronne,
dont elle n’avait pas été prévenue, n’était sans doute pas ignorée des alliés.
Son anxiété, un moment endormie, se réveilla. Elle craignit d’être retenue
captive. Mais, au sortir de Blois, elle était déjà trop réellement prisonnière
de la coalition ! Le général russe qui l’avait conduite de Blois à Orléans,
sous escorte russe avait été remplacé dans le trajet d’Orléans à Rambouillet
par des généraux autrichiens. Quand elle vint de Rambouillet à Grosbois où son
père lui avait donné rendez-vous, des Français qui l’avaient suivie à Blois et
à Orléans, il en restait à peine trois qui s’attachèrent à sa fortune. Lorsque
de Grosbois, elle partit pour Vienne, elle était escortée par un général et par
un état-major autrichiens. Là, elle avait fait à la France ses adieux éternels
! Pendant son mélancolique voyage à travers nos provinces dévastées et dans les
Etats Autrichiens, sa tristesse avait redoublé. Ses nuits étaient troublées par
de pénibles insomnies et son visage était souvent baigné de pleurs. Après une
de ces nuits sans sommeil, elle me dit un jour, dans le Tyrol, les larmes
aux yeux, qu’elle avait manqué de résolution à Blois, qu’aucune raison
n’aurait dû retarder son départ pour Fontainebleau. Louable, mais inutile
regret que le temps n’a pas emporté tout entier !...
Le docteur Corvisart, dans lequel elle avait toute
confiance, avait jugé que l’usage des bains d’Aix, en Savoie, à l’exclusion de
tous autres, lui était absolument nécessaire. En attendant que la saison
favorable fut arrivée, l’empereur François désira que sa fille allât passer
quelque temps à Vienne, au sein de sa famille, promettant de ne pas s’opposer
aux prescriptions du célèbre médecin et de la laisser ensuite libre de
s’établir, soit à l’île d’Elbe avec l’Empereur Napoléon, soit dans les Etats de
Parme qui lui avaient été concédés par un traité. Après cinq semaines données aux douceurs de la vie de famille, l’Impératrice,
impatiente de se rapprocher de la
France, vers laquelle ses souvenirs, ses sympathies la
reportaient souvent, s’occupa avec activité de son départ. Elle était conduite
à Aix, moins par la nécessité de soigner sa santé, que le désir d’y revoir
quelques amis de France, et par l’espérance d’être mise, après la saison des
eaux, en possession du duché de Parme, où elle serait maîtresse de ses actions.
La voix alors toute puissante du devoir, et une affection sincère l’appelaient
aussi à l’île d’Elbe. On répétait à Marie-Louise que la nouvelle vie qu’elle
allait commencer avec un maître déchu, dont la disgrâce aigrirait l’humeur, ne
serait pas toujours exempte de nuages. Mais la pensée que Napoléon avait
toujours été pour elle un bon mari, et qu’il avait toujours un noble cœur,
combattait ces insinuations. Un autre motif la portait à s’éloigner de Vienne,
c’était le désir d’échapper à la jalouse tutelle de sa belle-mère, et de
soustraire à l’ennui que lui causait l’expression, répétée sans cesse autour
d’elle, des sentiments qu’elle ne partageait pas. Ce voyage aux glaciers de
Savoie, et même une excursion en Suisse, si une prolongation d’absence était
nécessaire, lui donnerait le temps d’attendre l’effet des promesses de
l’Empereur son père.
Les deux époux n’avaient pas cessé de correspondre. Ils échangèrent même des
lettres pendant ce voyage. L’Empereur, sans désapprouver le choix des eaux
d’Aix, aurait préféré qu’elle pût aller prendre les bains à pise ou dans une autre
partie de la Toscane,
ne pensant pas que le séjour d’Aix, trop voisin de la nouvelle France, convînt
à celle qui avait été impératrice des Français. Du reste, il paraissait se
flatter de l’espoir de posséder sa femme et son fils durant une partie de l’année
à l’île d’Elbe. C’était l’objet de tous ses vœux. Quand l’Impératrice
s’ennuierait des rochers de l’île d’Elbe, elle retournerait à Parme. Je
recevais des lettres du général Bertrand écrites dans le même sens. Napoléon
devait envoyer, de Porto-Ferrajo, dans cette ville, ce qu’il fit en effet, un
détachement de sa garde, pour protéger l’Impératrice et pour lui servir
d’escorte, quand elle viendrait à l’île d’Elbe. Ce voyage était donc désiré par les deux époux. L’Empereur d’Autriche objecta
d’abord qu’il devait y avoir en Allemagne des eaux qui pourraient convenir à sa
fille. Il céda enfin à ses instances. Le voyage fut résolu, à la condition
qu’un agent Autrichien irait résider auprès d’elle à Aix, après son retour des
glaciers de Savoie. Son fils devait aller la rejoindre.
Le 28 juin, l’Impératrice, alla faire ses adieux à son père
aux bains de Baden, dans la vallée de Sainte-Hélène, à deux milles de Vienne.
Le lendemain, jour fixé pour le départ, une indisposition subite de Madame la
comtesse de Brignole faillit ajourner son voyage. Cette indisposition, dont la
gravité apparente nous avait fort inquiétés, cessa subitement dans la soirée.
L’Impératrice, après avoir embrassé son fils qui fut laissé aux soins de Madame
la comtesse de Montesquiou, prit congé de sa grand-mère la Reine de Sicile, de ses
frères, de ses sœurs et de ses oncles. Elle partit de Schöenbrunn à onze heures
du soir. L’Impératrice d’Autriche, sa belle-mère, était venue de Vienne pour la
mettre en voiture. Marie-Louise voyageait sous le nom de duchesse de Colorno, nom emprunté à l’un
des châteaux de Parme. Elle n’était accompagnée que par des Français. C’était
une première concession faite à ses souvenirs de la France, et une
condescendance, jugée utile pour d’impuissantes velléités d’indépendance. On
parait la victime et l’on semait sa route de fleurs, pour la conduire plus
sûrement au lieu du sacrifice. Une division Autrichienne cantonnée dans les
environs devait exercer autour d’elle une surveillance inaperçue. Elle alla coucher le lendemain à l’abbaye de Lambach, et le troisième jour,
elle arriva dans la soirée à Münich. Le prince Eugène et la princesse sa femme
l’attendaient à la poste. Ils l’emmenèrent souper au palais, où elle trouva la
soeur cadette de la princesse Eugène, qui avait été mariée en 1810 au prince
royal de Würtemberg et Marie-Louise était bien loin de se douter qu’elle
embrassait en elle sa future belle-mère. La duchesse de Colorno partit de Münich pour continuer son
voyage. Elle ne s’arrêta qu’à Morsburg, pour y prendre quelques heures de
repos. Après avoir passé la journée à Constance et visité l’île de Mainau,
après avoir traversé Baden où elle rencontra le roi Louis qui y prenait les
bains, et Arau, où elle visita le beau cabinet de costumes de M. Meyer, elle alla
descendre à Berne, à l’auberge du Faucon. Je n’emprunterai pas aux nombreux itinéraires de la Suisse, la description de
cette ville patricienne aux rues bordées d’arcades et de la délicieuse campagne
qui l’entoure. La duchesse était attendue à Payerne par le roi Joseph, qui la
conduisit à son château de Prangins, où elle reçut l’hospitalité élégante qui
distinguait le maître de cette agréable résidence. Elle y passa la journée du
10 (juillet). Dans la soirée du même jour, elle vint aux Sécherons, auberge
renommée aux portes de Genève, d’où elle devait partir pour son voyage du
Montanvers (devenu aujourd’hui Montenvers). »
Fin du Prologue
Le 11 juillet,
Marie-Louise et sa suite partent pour Chamonix, en Savoie, restée en partie
française. Le programme n’est pas de tout repos, mais la montagne semble créer
un état de grâce chez l’Impératrice. Sa fatigue disparaît ainsi que ses
étouffements. L’altitude lui est bénéfique et son emploi du temps teint de la
performance sportive. Le premier jour, excursion à dos de mulet, interrompue
par un violent orage, comme on en connaît en montagne. Le jour suivant, Marie-Louise passe sept heures à cheval,
ses dames suivent en char à bancs. Ensuite, visite du Glacier des Bossons.
« J’ai laissé la duchesse de Colorno à l’auberge de
Secherons, après son retour de Prangins, se disposant à partir pour son voyage
au Montanvers. En effet, le lendemain 11 juillet, de très-grand matin, en même
temps que le roi Joseph prenait congé de sa belle-sœur, pour retourner chez
lui, cette princesse montait en voiture pour se rendre dans la vallée du
Prieuré. Elle quittait les Sécherons, résolue à faire dans la même journée les
dix-huit lieues qui séparent Genève de Chamouni. Sa suite se composait de
madame la comtesse de Brignole, de mademoiselle Rabusson, lectrice de la
princesse, du fiancé de cette dernière, le docteur Hereau, et de moi. Elle
voulut bien nous admettre. Le soleil s’élevait sur l’horizon et le ciel
brillait dans un éclat radieux. La chaleur qui commençait à se faire sentir, séchait
la rosée dont les perles humides s’effaçaient lentement sur les prairies et sur
les buissons...Genève sommeillait encore, quand nous traversâmes ses rues
solitaires pour gagner la route qui conduit à Bonneville. Cette ancienne
capitale du Faucigny est comme la première porte des Alpes, dont les piliers
sont deux grands pics, le Molé et le Brezon, aux pieds desquels la vallée est
bâtie. (Aujourd’hui le Môle et Brizon). Il était dix heures quand nous arrivâmes à Bonneville, brulés par un soleil
ardent, qui ne nous avait pas ôté l’appétit. Nous descendîmes à l’auberge de la Couronne, où nous
attendait un déjeuner préparé par un cuisinier envoyé à l’avance. Ce fut avec
un vrai plaisir que nous prîmes place à une table fort proprement servie, que
garnissait une chair abondante et délicate. Quelque fut notre impatience de
continuer notre voyage, nous dûmes laisser reposer nos chevaux, pendant deux
heures. Le trajet de Bonneville à Cluse (Cluses) se fait à travers une
vallée fertile, couverte d’arbres fruitiers et flanquée de montagnes boisées
jusqu’à leur sommet. On arrive à Cluse par un chemin étroit taillé dans le roc,
sans soupçonner l’existence de cette petite ville dont la vue est masquée par
des masses de rochers. Elle st assez pauvre et habitée en grande parie par de
forgerons et des fabricants de ressorts d’horlogerie. La rivière de l’Arve traverse cette petite cité, dont les laborieux habitants
semblent cacher là leur active industrie. Elle coule emprisonnée sous un pont
d’une seule arche. Cluse justifie son nom. On y est enfermé ans une enceinte de
rochers. A l’extérieur, on ne l’aperçoit quand on y est entré, on ne sait pas
comment on en sortira. L’issue, comme l’entrée, est une espèce de faux-fuyant.
A la sortie de Cluse, on suit le cours de l’Arve, en longeant des côtes
abruptes qui s’avancent tellement sur la route, qu’elles paraissent en quelques
endroits l’intercepter. Puis la vallée commence à s’élargir. Elle présente une
vaste arène, autour de laquelle sont groupées les montagnes. Nous aperçûmes à
deux cent toises au-dessus de nos têtes à gauche de la route, les bouches
béantes des Grottes de Balme. Elles semblaient nous inviter a en tenter
l’escalade. A deux pas de là se présente, adossé à la montagne le village de
Maglans (Magland). Les blocs épars dans la prairie qui étale ses riches
tapis au pied de ce village, attestent que les habitants ont cherché sous les
rochers suspendus sur leurs toits une protection quelquefois infidèle. Nous
arrivâmes bientôt en vue du Nant-d’Arpensaz, cascade tombant du haut d’une
montagne qui est à gauche de la route. Des grands aspects que nous venions
d’admirer, c’était le premier que rencontrait notre vue. Nous espérions jouir
d’un magnifique spectacle : notre curiosité fut médiocrement satisfaite. Pour
voir cette cascade avec tous ses avantages, il eût fallu nous dit-on venir au
moment de la fonte des neiges. Nous arrivâmes à trois heures et demie à
Saint-Martin, petit village où il faut se munir de mulets et de char-à-bancs,
le chemin cessant d’être praticable pour les voitures. Saint-Martin se trouve
sur la route directe de Genève à Chamouni. (La commune de Saint-Martin a été
absorbée par Sallanches en 1977). Nous dûmes renoncer à visiter les beaux
sites des environs de Salenches (Sallanches) et les bains de Saint-Gervais.
Nous voulions profiter du reste du jour pour arriver. Nous nous arrêtâmes donc
qu’un instant à l’auberge du Mont-Blanc, tenu par Chenet. Ce ne fut pas sans de
vives démonstrations de regret que le bonhomme Chenet nous vit décidés à
continuer notre route. C’est à notre station du lac de Chede que nous eûmes la
première révélation de l’immensité du Mont-Blanc. Là, on commence à le voir
distinctement. En promenant les yeux sur cette masse colossale, et en les
élevant jusqu’au sommet, on ne peut se lasser d’admirer ce géant de la terre,
contre lequel l’action du temps et la main de l’homme sont impuissantes. Au
lieu de subir la loi commune des choses d’ici-bas, le Mont-Blanc, semblable au
soleil, paraît rajeunir et se renouveler sans cesse ? Assis sur sa base
immuable, il voit passer à ses pieds comme une ombre, l’homme, ce roi de la
création, qui est par rapport à lui, ce qu’est pour nous l’insecte l’éphémère
qui naît vieillit et meurt entre deux couchers de soleil. A peu de distance de Servoz, sont des bâtiments servant à l’exploitation de
mines de cuivre te de plomb découvertes récemment. On nous montra au haut d’une
colline, les ruines du château de Saint-Michel (il reste encore une tour
visible), ancien fort destiné à défendre l’entrée de la vallée de Chamouni.
Nous traversâmes l’Arve sur le pont Pélissier. Il était huit heures du soir
quand nous atteignîmes Les Montées, chemin rapide taillé dans le roc à gauche
duquel la rivière roule ses eaux tumultueuses au fond d’un précipice. Cette
traversée présentait l’aspect le plus sauvage. Tantôt c’était unes espèce de
cirque dont l’enceinte, formée par de hautes montagnes, ne laissait voir que le
ciel. Tantôt c’était un défilé serpentant entre de grands rochers. Nous hâtions
le pas, espérant arriver à temps à Chamouni, mais les légères vapeurs dont
l’aspect nous avait inquiétés à Servoz, s’étaient condensées. Elles formaient
des nuées menaçantes qui venaient s’amonceler sur les cimes, comme à un
sinistre rendez-vous. La faible lueur du crépuscule laissait entrevoir sur le
bord de la route des croix plantées en mémoire de tragiques accidents. Le
signal de l’orage fut donné par un coup de tonnerre qui retentit dans le
lointain et parcourut en grondant, les échos des montagnes. Les nuages
s’épaississaient, le vent commençait à s’engouffrer en sifflant, dans les
sapins qu’il faisait ployer sous son effort. Bientôt la pluie tomba par
torrents. Le Nant-de-Nayin était déjà enflé par l’affluence des eaux, quand
nous le traversâmes. A neuf heures, nous entrions dans la Vallée du Prieuré,
poursuivis par l’orage, dont la voix menaçante se rapprochait de nous et
hurlait, comme si un cœur de démons s’y fût mêlé. Le désir de lui échapper nous
aurait donné des ailes, mais l’obscurité nous forçait à marcher avec précaution.
Nous n’apercevions ni le ciel, ni la terre. La nuit nous avait surpris dans les
pas les plus dangereux, où nous aurions eu besoin de toute la clarté du jour.
Au même instant, une explosion formidable, prolongée et multipliée par les
échos, agita l’air avec violence. La foudre venait de tomber à côté de nous...
Il nous restait encore deux lieues à faire. Le désordre se mit dans notre
petite troupe. Je me trouvai seul avec la duchesse et ses guides. Deux guides
dirigeaient sa marche au milieu des ténèbres. Nous parvînmes dans cet état sur
les bords de la Griaz,
dont les mugissements, entendus de loin, augmentaient notre anxiété. Nous
hésitions, incertains...Les torrents de Nayin et de la Griaz s’ils pouvaient parler
auraient à raconter plus d’un naufrage. Nous gagnâmes le long village des Ouches.
Nouveau
départ pour la vallée de l'Arve et Chamouny. Nous mettions pied à terre, chaque
fois qu'il se trouvait sur la route quelque curiosité qui le méritait. M. de
Turpin prenait à l'instant un croquis. Notre seconde journée se termina à
Chamouny, où nous couchâmes au Prieuré. L’orage continuait, la pluie
redoublait. Nous nous arrêtâmes sous l’auvent d’une maison qui nous offrît un
refuge momentané, pendant le temps qu’un des guides allait frapper à toutes les
portes, pour implorer le secours d’une lumière, mais partout on répondit par un
silence obstiné. Nous étions trop préoccupés de nos misères pour réfléchir à
notre bizarre position. En effet, quel épisode tragi-comique d’une merveilleuse
histoire ! Une grande princesse, accoutumée avoir tous ses désirs prévenus,
dont les pas étaient naguère suivis par les populations accourant en foule sur
son passage, avides de voir et de la saluer par des acclamations, aujourd’hui
délaissée, errait dans le désordre d’une fugitive, mais sans les honneurs de la
proscription, poursuivie par la tempête, oubliée par ses amis comme par ses
ennemis et n’ayant pour cortège que deux humbles guides, auxquels elle s’était
confiée. Elle ne pouvait se faire ouvrir dans une des plus pauvres contrées du
grand Empire, sur lequel elle régnait trois mois auparavant ! Ces fâcheux
souvenirs ont souvent attristé notre voyage. Le moindre incident les réveillait
en nous. Ils défrayaient nos entretiens habituels avec la princesse qui avait
toujours quelque trait à y ajouter. Elle se plaisait à honorer d’éloges mérités
la conduite loyale de quelques fonctionnaires, naguère attachés à sa maison et
flétrissait d’un blâme sévère la désertion de tant d’autres qui s’étaient hâtés
d’outrager l’idole qu’ils venaient d’encenser. Je tomberais dans de
continuelles redites, si je rapportais toutes les réflexions que ces souvenirs
faisaient naître. Nous n’avions pas un lieu de refuge. La duchesse de Colorno
n’avait pour se garantir de l’orage que la voûte mobile d’un parapluie, frêle
abri, que les rafales menaçaient à chaque instant de renverser. D’épaisses
ténèbres nous environnaient. Notre situation devenait intolérable. Nous
maudissions le sommeil léthargique de ces montagnards, aussi engourdis que
leurs marmottes. Dans l’excès de notre ressentiment, nous cherchions des yeux,
quand nous aperçûmes un point brillant qui scintillait au loin, comme une
étoile imperceptible. Nous suivions avec anxiété les progrès de cette lumière.
Peu à peu, elle se dessina et nous arriva enfin. Ce n’était qu’une lanterne
mais elle nous éblouit comme un soleil. Nous nous lançâmes intrépidement sur
les traces de nos guides dans la direction qu’ils nous indiquèrent. Après une
demi-heure de marche, nous fûmes rencontrés par d’autres guides, qu’un heureux
pressentiment amenait au-devant de nous. Tout-à-fait rassurés, nous posâmes un
pied hardi sur les roches glissantes autour desquelles bouillonnaient les eaux
tumultueuses du Taconnaz et des Bossons. A peu de distance du hameau des
Bossons, nous passâmes l’Arve, ce fidèle compagnon de notre route, sur le pont
de Pierre-Haute et quand nous croyions être encore loin du but de notre voyage,
nous touchâmes le seuil d’un humble édifice qui nous apparut un port ouvert à
notre détresse. Nous étions dans la pauvre auberge de la Ville de Londres, au village
de Chamouni. Nous fîmes allumer un grand feu pour nous sécher, car nous étions
mouillés jusqu’à la peau. La duchesse était sans mouchoir, elle avait perdu le
sien dans le désordre de la route. Elle fut réduite, pour sa toilette, à de
rudes serviettes et aux soins d’une bonne grosse servante, dont le zèle
empressé et la maladresse ingénue excitaient son hilarité. Plusieurs heures se passèrent avant que
quelqu’un de sa suite put la rejoindre. Elle soupa à peine. La fatigue lui
avait ôté l’appétit. Enfin à une heure du matin, elle alla se coucher et j’en
fis autant, espérant que la journée du lendemain nous dédommagerait des
mésaventures de la veille. Une de nos compagnes de voyage n’avait pas pu se
résoudre à quitter la retraite qu’elle avait trouvée dans une modeste cabane.
La pauvre comtesse de Brignole y passa la nuit sur un banc qui lui servit de
lit, peu édifiée de notre agreste promenade. Elle ne nous revint que le
lendemain, n’ayant pris aucune nourriture depuis vingt-quatre heures, à
demi-morte de fatigue. La duchesse de Colorno était infatigable et hardie
jusqu’à la témérité. On eut dit qu’elle cherchait à s’étourdir. Elle montrait
une égale humeur et une constance qui étonnait les guides. La comtesse de
Brignole lui ressemblait peu. Habituée aux délicatesses de sa molle Italie et
aux douces promenades des belles campagnes de Gênes, que baignent les tièdes
vapeurs d’une atmosphère embaumée ‘escalade des rochers et la traversée des
torrents lui souriait peu. Mais elle cachait sous une gracieuse nonchalance une
âme forte et un caractère énergique. Nous espérions une meilleure journée pour
le lendemain, mais notre attente fut trompée. Notre chagrin fut extrême en
voyant au lever du jour, des nuages épais descendant des hautes montagnes qui
nous entouraient, s’étendant comme un voile sur l’étroite Vallée du Prieuré.
Ces sombres nuées y répandaient une demi obscurité qui revêtait des ses teintes
grisâtres tous les objets environnants. Le glacier des Bois, avec sa bruyante
et monotone cascade et le glacier des Bossons formaient tout notre horizon. Le
Mont Blanc, enveloppé d’un manteau de brouillard y cachait sa tête et ses
vastes contours. La matinée se passa à observer le ciel et à acquérir la triste
certitude que la pluie durerait toute la journée. Le mauvais temps continua en
effet sans interruption. Notre impatience nous ramenait sans cesse aux étroites
fenêtres de nos cellules et nous nous en éloignons chaque fois plus découragés.
Nous restâmes ainsi dans un désoeuvrement plein d’ennui, jusqu’à deux heures de
l’après-midi, épiant toujours une éclaircie. La duchesse de Colorno, après
avoir fait chez le Buffon en boutique quelques emplettes de minéraux et de
bijoux, fit avancer ses mules et se rendit entre deux ondées, au glacier des
Bossons, devant lequel nous passâmes une heure autant pour tuer le temps que
pour considérer les escarpements des cette montagne de glace. Le glacier peut
être traversé dans sa largeur par un beau temps, mais sa surface était
tellement couverte d’eau et de sable délayé, qu’elle était impraticable. Nous
continuâmes d’approcher, le plus près qu’il nous fut possible, les glaces
supérieures. La duchesse gravissait hardiment la côte au milieu des éclats
dispersés des roches et des arbres brisés, malgré les remontrances de ses
guides. Il fallut se contenter de cette excursion insignifiante et revenir
accompagnés par une nouvelle dose de pluie, à notre gîte, où nous étions de
retour à cinq heures. La soirée se passa à déplorer l’inconstance du temps et à
faire des projets pour le lendemain. Mais ces petites contrariétés qui
affectaient si éminemment le touriste, étaient dominées par une pensée plus
grave, qui était l’objet de nos fréquentes préoccupations ? C’était le souvenir
de l’Empereur, dont l’Impératrice devait trouver des nouvelles à son arrivée à
Aix. Que faisait-il en ce moment ? Retiré dans une île qui n’était pour lui
qu’une prison, sa pensée se reportait sans doute vers sa femme et son fils,
dont une politique sans générosité l’avait séparé. A l’étroit dans ses modestes
états, où son génie ne pouvait déployer ses ailes, pouvait-il trouver dans
l’humilité et dans le cercle resserré de ses occupations présentes dont la
prodigieuse activité avait besoin ? Privé des premières consolations de la vie,
isolé des siens dans ces circonstances douloureuses, où l’âme la plus fortement
trempée a besoin de l’ineffable douceur des affections de famille, quel
soulagement pouvait être apporté aux peines cruelles dont ce noble cœur était
affligé ? Puis faisant un retour sur elle-même, maîtresse en apparence des ses
actions, il lui était au moins permis de chercher dans la liberté d’un voyage,
une distraction à ses chagrins. Mainte fois un doute venait traverser son
esprit. Lui serait-il accordé de se réunir à l’Empereur et de remettre son fils
dans ses bras ? Pourrait-elle se partager entre ses Etats de Parme et l’île
d’Elbe ? Quel avenir se déroulait obscur devant elle ! Quelle impatience elle
avait de voir son sort enfin fixé ! Ces mélancoliques pensées occupaient son
esprit et décelaient une peine intérieure qui se trahissait souvent par des
larmes. Il s’y mêlait d’amères réflexions sur la condition des princesses, qui
ne sont comptées dans les calculs des cabinets, que comme des instruments de
l’ambition de leurs maisons."
Le 13 juillet :
elle escalade le Montanvert et s’aventure deux heures sur la Mer de Glace, ce qui
l’enthousiasme. Au retour son mulet fait un tel saut qu’elle manque de se
rompre le cou. Le 14, elle franchit le col de Balme, encore plus haut que le
Montanvert. La vue est superbe, mais encore les orages abrègent la course. On se
réfugie dans une caverne où s’abritent les vaches par gros temps et c’est là
qu’on déjeune. Le groupe descend ensuite la Forclaz d’où on découvre le bas du Valais, la
vallée du Rhône et le bourg de Martigny. Le soir étape à Martigny, où le général
Bonaparte s’est arrêté en 1800.
" Dès l’aube du jour, le ciel avait de nombreux observateurs. A six heures, le
soleil fit un effort pour se dégager des nuages qui le couvraient. Nous
suivions des yeux les progrès de ses rayons qui, perçant les brouillards de
leur trait de feu, inondèrent bientôt tout l’espace d’une lumière éclatante. Il
annonçait la plus belle journée. Il tint parole. A son aspect tout fut prêt en
un instant. La duchesse de Colorno descendit de son appartement, radieuse comme
l’astre qui s’élevait sur l’horizon. Montée sur sa fidèle Marquise, elle se
dirigea sur le Montanvers, accompagnée des personnes de sa suite, précédée et
suivie par Jacques Crotet, chef de ses guides et par dix-huit autres guides
portant presque tous des noms fameux, tels que les frères Terraz, Cachat dit le
Géant, Jacques des Dames, Coutet, Balmat, Paccard qui avaient fait plusieurs
fois le voyage du Mont Blanc, du Montanvers et des principaux glaciers avec de
Saussure, Duluc, Bourrit et autres savants et curieux. Nous n‘avions pas oublié
de nous munir de la fidèle compagne du voyageur dans les montagnes, la longue
canne ferrée, surmontée d’un corne de chamois. Nous traversâmes la plaine de
Chamouni. A mesure que nous approchions des montagnes, des champs cultivés
faisaient place aux prairies. La vallée se rétrécissait. Arrivés au pied du
mont de Charmoz, qui conduit au Montanvers, le terrain devenait plus inégal et
se couvrait de sapins et de bouleaux. Nous arrivâmes, en gravissant une pente
douce jusqu’à un sentier raide et glissant, appelé le Chemin des Chasseurs de
Cristal. Là nous quittâmes nos mulets et nous fîmes à pied le reste de la
route, parce que la montagne est presque à pic et inaccessible, même aux
mulets. On s’arrêta à la fontaine de Caillet. Après nous être reposés un moment
auprès de cette fontaine, halte à mi-chemin du Montanvers, nous entrâmes dans
un bois touffu, en gravissant des sentiers abruptes, qui serpentaient sur les
flancs de la montagne, souvent sillonnés par des couloirs d’avalanches, tandis
que des torrents invisibles grondaient à nos côtés au fon des abîmes. Des
pointes de pyramides de glace perçaient à travers les sapins. Nous profitions
de tous les éclaircis pour arrêter nos regards sur la vallée qui nous était
opposée et pour jouir de l’aspect imposant du Mont Brévent et de la chaîne des
Aiguilles Rouges, qui y dominaient. Nous marchions depuis quatre heures,
lorsque la vue de la cabane du Berger, espèce de hutte bâtie en pierres sèches
et couverte de morceaux d’ardoises, nous annonça le terme de notre voyage. Nous
atteignîmes enfin le Montenvers, et eûmes la première vue de la Mer de Glace. Nous fûmes
éblouis par le spectacle qui s’offrit à nos yeux. Nous avions sous les pieds
une longue vallée blanche, le lit d’un fleuve immense arrêté dans son cours ou
plutôt une mer immobile, tourmentée par des vagues furieuses, qu’une congélation
subite aurait surprises. Des groupes de montagnes pyramidales, du haut
desquelles descendaient des nappes énormes de glace, enfermaient cette froide
vallée où la nature semblait ensevelie sous un vaste linceul. Aussi loin que la
vue pouvait s’étendre, elle s’égarait dans un désert sans limites, hérissé de
cônes monstrueux et déchiré par de profondes crevasses. Nous contemplions dans
une admiration muette les chaînes de ces glaciers qui se liaient les uns aux
autres et cet amas prodigieux d’aiguilles, les moindres s’élevant à des
hauteurs démesurées en affectant des formes à la fois bizarre et magnifiques.
C’était une scène de désordre et de confusion, de bouleversement et de ruine,
une image du chaos, dont la plume et le pinceau sont impuissants à reproduire
la sauvage mais sublime grandeur. Presque
à nos côtés se dressait l’Aiguille du Dru, au pied de laquelle s’étendait un
abondant pâturage, plus loin, dominait l’Aiguille de l’Argentière, la première
en hauteur après le Mont Blanc, puis les Aiguilles du Bochard et des Charmoz,
celle du Moine et du Couvercle, le Talèfre dont le glacier est taillé en
gradins de cristal, le long glacier du Tacul, la grande et la petite Jorasse.
Enfin, paraissait dans le lointain, d’un côté l’Aiguille du Midi et de l’autre le
Géant et dans le fond le colossal Mont Blanc aussi vieux que le monde, entouré
de pics au-dessus desquels il élevait sa tête couronnée de neiges éternelles.
L’émotion que cause cet imposant spectacle ne peut s’exprimer. Telle a dû être
la terre avant la création. Le premier aspect de ces grands phénomènes jette
une surprise qui suspend la pensée. On reste absorbé dans une contemplation
muette, comme fasciné. Ces groupes monstrueux, l’énormité de leurs masses, leur
immobilité, le morne silence qui les environne inspirent une rêverie pleine de
tristesse. On attend avec anxiété l’apparition d’une créature vivante qui jette
une étincelle de vie sur cette nature inanimée. Mais aucun oiseau n’ose essayer
ses ailes dans l’atmosphère de cette zone glacière. L’imagination craint
d’aborder ces solitudes dont la pompe sauvage l’épouvante, et si , prenant un
essor timide, elle s’enhardit à mesurer les hauteurs, à en interroger les
abîmes, elle n’y trouve que des régions inconnues, stériles, inhospitalières.
Semblable à la colombe sortie de l’arche, ne trouvant où se poser, elle replie
ses ailes, épuisée par son vol solitaire et retombe découragée. Nous nous
arrachâmes à ces informes mais attachantes beautés et montâmes à l’hospice, où
nous attendait un frugal repas, aiguillonné par la vivacité de l’air plus que
par le mouvement de la route. Nous n’étions nullement fatigués car l’air est si
pur dans ces hautes régions qu’il donne au voyageur des forces nouvelles.
L’hospice est une cabane de pierre élevée par les soins de M. Félix Desportes,
ancien résident de France à Genève, qui a rempli des fonctions importantes sous
l’Empire. Après le déjeuner nous allâmes visiter la Mer de Glace. Ses bords sont
couverts de blocs de granit vomis par le glacier. Des buissons de rhododendron
croissent dans les intervalles. Un sentier presque à pic nous conduisit sur
cette mer qui, bien qu’exempte d’orages, n’en a pas moins de dangers. La
duchesse de Colorno voulut y descendre pour voir de plus près ses grandes
vagues immobiles. Nous l’y suivîmes, armées de nos cannes ferrées. Ces puits
dont le bleu transparent laissait voir le fond, étaient les uns à sec, les
autres remplis d’eau limpide. Quand nous passions au pied de quelque colonne de
glace, notre princesse toute grande impératrice qu’elle était, et nous qui
cheminions à sa suite, nous nous trouvions réciproquement bien petits. A trois
heures nous nous remîmes en route pour descendre du Montanvers par les sentiers
du bois de la Filia
dont la pente est presque verticale. Au bas du glacier des Bois, une voûte de
glace s’ouvre pour donner passage au torrent de l’Arveron. Nos guides disaient
avoir remarqué que, depuis quelque temps, la montagne de glace s’avançait vers
la plaine d’une manière sensible. Nous retrouvâmes nos mulets au bas de la
montagne et nous reprîmes le chemin de Chamouni. Nous étions de retour à
l’auberge de la Ville-de-Londres
à sept heures du soir, un peu fatigués d’une assez pénible excursion que la
duchesse de Colorno soutint avec une constance qui ne s’était pas démentie.
Elle avait voulu faire toutes les courses à pied ou à l’aide de sa mule, sans
permettre qu’on la portât. Cependant nous avions fait près de neuf lieues, en
gravissant des pentes qui nous avaient conduit à une hauteur d’environ six
mille pieds. Notre itinéraire devait nous ramener à Genève, en passant par Martigny, pour
voir la fameuse cascade de Pissevache. Deux routes conduisent à Martigny, l’une
monte au col de Balme, l’autre passe par le Val d’Orsine (Vallorcine) et la Tête Noire, en tournant
le col de Balme. Ce dernier chemin est moins montueux et plus court, mais
étroit et pierreux. La duchesse préféra au défilé plat et raboteux de la Tête Noire, le dôme
tapissé de verdure du col de Balme, du sommet duquel on découvre une admirable
perspective. Le lendemain 14 juillet, le départ eu lieu à six heures, la
traversée du col exigeant dix heures de marche. L’air vif du matin obligea la
duchesse à descendre de sa mule aux Prés, pour gagner à pied la hameau de
Tines. A gauche régnait une chaîne de collines boisées, et à droite une
prairie. Nous vîmes à la montée de l’Avencher, une belle chute sur l’Arve. Nous
remontâmes le cours de cette rivière, en la côtoyant d’abord à gauche et
ensuite à droite, après l’avoir traversée sur un pont négligemment construit
avec des troncs d’arbres qu’assemblaient de simples liens d’osier. Au village
d’Argentières, on découvre le glacier qui descend de l’aiguille du même nom.
C’est auprès d’Argentières que la route se divise : à droite elle mène au mont
de Balme que nous devions traverser, à gauche, au Val d’Orsine. (la route
actuelle, moderne et bien roulante passe par Vallorcine). Avant d’atteindre le
pied du mont de Balme, nous passâmes par le hameau du Tour, où l’on arrive par
une petite plaine entremêlée de bouquets de sapins et de terres cultivées, et
en franchissant le lit d’un torrent auquel sa rapidité a fait donné le nom de
l’Abîme. Le hameau du Tour, qui a aussi son aiguille et son glacier, ferme de
ce côté la vallée du Prieuré, dont une extrémité nue, inculte, semée de débris,
est entourée de montagnes qui s’élèvent en amphithéâtre. Là commencent les
rampes de Balme. Nous laissâmes derrière nous la vallée de Chamouni
qu’éclairaient d’une lumière dorée les premiers rayons du soleil. Ses paisibles
chaumières se détachaient sur la fraîche verdure de prairies. Les sommités et
les arêtes des glaciers scintillaient comme des pointés de diamants, tandis que
les masses des bois reposaient dans l’obscurité. Arrivés au chalet de
Charamillan, on mit pied à terre. Nous jetions souvent les yeux en arrière,
pour considérer la Mont
Blanc qui paraissait grandir et venir vers nous, à mesure que
nous montions. On distinguait dans l’éloignement, sur la gauche, les chalets de
Balme et de nombreux troupeaux disséminés sur le revers de la montagne. Enfin
nous aperçûmes le sommet du col de Balme, où une croix de bois placée sur une
borne de pierre, formant ce qu’on appelle le Monument, marquait la limite entre
la Savoie et
le Valais. La vallée du Valais se déroulait devant nous, sillonnée par les eaux
du Rhône et de la Drance,
et bordée d’une chaîne de monts inaccessibles. On pouvait compter les bourgs et
les hameaux groupés sur les bords des deux rivières. On découvrait le
commencement de la belle route du Simplon, et le mont du Grand Saint-Bernard,
autre théâtre de sa gloire. Si l’on reportait les yeux en arrière, on planait
sur la vallée de Chamouni, et l’on pouvait saluer d’un dernier regard le Mont
Blanc père de tous les glaciers de Savoie et roi de toutes les montagnes de
l’Europe. Les passages de la
Tête Noire et du col de Balme se rejoignent dans un vallon,
au pied de la montagne de La
Forclaz, qu’il faut traverser pour aller à Martigny. C’est là
que nous trouvâmes nos mulets que nous avions quitté pour suivre la route du
col de Balme. Le Valais, vu su sommet de La Forclaz, offre encore un splendide aspect. Nous
suivîmes un sentier qui se trouva être le lit d’un torrent. Les cailloux
mouvants dont il était semé rendaient notre marche insupportable. Nous fûmes
obligés de faire une mortelle randonnée dans ce sentier rocailleux jusqu’à au
village du Fond-des-Râpes, d’où part le chemin qui monte au Saint-Bernard. Là,
nous fûmes reçus à notre grande satisfaction dans un char-à-banc. Après avoir
passé la rivière de la Drance
et traversé le bourg de Martigny, nous arrivâmes à cinq heures du soir dans la
ville de ce nom, éloignée du bourg d’un quart de lieue. Nous étions plus
fatigués des cahots de notre malencontreuse patache, que des dix lieues que
nous venions de faire. Nous passâmes la nuit dans une auberge dont j’ai oublié
le nom, nous proposant de repartir le lendemain de bonne heure pour Bex, afin
de profiter de la journée pour visiter la saline de Bévieux. Notre intérêt
était vivement excité par cette ardeur de notre princesse, exercée sur les plus
nobles sujets, qui triomphait des délicatesses de son sexe et des habitudes de
mollesse qu’on devait s’attendre à trouver dans le haut rang où elle est née.
Quand je la voyais chevaucher allégrement, je lui parlais de ses promenades
ultra-matinales de Saint Cloud. Dans les belles journées d’été, éveillée au
point du jour par l’Empereur, elle partait à cheval avec lui, pour faire des
courses dans les bois environnants. Quand elle revenait à Saint-Cloud, le
Palais, à peine réveillé, la voyait rentrer avec surprise, ignorant qu’elle fut
sortie et la croyant encore endormie sous les courtines impériales. Ce souvenir
lui rappelait celui des leçons d’équitation que lui avait données l’Empereur,
après le déjeuner dans l’allée de la terrasse, faisant suite au salon de
famille. Là prenant le rôle d’écuyer, sans quitter ses bas de soie blancs ni
ses souliers à boucles d’or ovales, Napoléon montait à cheval et se plaçait à
côté de l’Impératrice. En voulant régler l’allure de cette princesse sur la sienne,
il excitait son cheval et accueillait par de bruyants éclats de rire les
frayeurs sans danger qu’il provoquait. Ces souvenirs se retraçaient à l’esprit
de Marie-Louise dans toute sa fraîcheur. Il lui échappait de dire en soupirant
: c’était le bon temps ! ".
Le 15 juillet
on part pour Bex, sur la route de Monthey. On déjeune à la cascade de
Pissevache avant de visiter les Salines de Bévieux. Le 16, retour à Genève, par
le Lac Léman, sous un déluge. Ces quelques jours au rythme endiablé ont
transformé Marie-Louise. Enfin sortie des tracasseries de Schönbrunn, elle se
trouve libre de mener une vie sans horaire, sans étiquette, entouré de
personnes amies. Méneval écrit " Ce voyage se révèle comme la plus grande
distraction qu’elle ait rencontrée depuis son départ de Paris et lui procure
une utile diversion aux chagrins qui l’avaient accablée ".
« Le 15, à sept heures du matin,
reposée par une bonne nuit des fatigues de la veille, elle partit de Martigny
dans une calèche du pays. Elle arriva à huit heures et demie au Pissevache. Je
ne sais quelle grossière tradition a imposé à cette belle cascade, cette
dénomination ignoble. Cette cascade est une rivière tombant du sommet d’une
montagne à travers d’épaisses touffes de feuillage. Sa largeur est moyenne et
sa hauteur d’environ trois cents pieds, mais tout son ensemble est d’un effet
harmonieux et pittoresque. Nous montâmes jusqu’au bord du bassin, en bravant
une pluie imperceptible que chassait un vent impétueux causé par la rapidité du
torrent. Mais nous fûmes bientôt forcés d’en descendre. Nous poursuivîmes notre
route en traversant un détroit resserré entre la montagne et le Rhône qui
débouche dans une petite vallée agréable et bien cultivée On voit de la route
l’ermitage de Saint-Maurice, pratiqué dans le roc et planant sur la vallée. A
l’extrémité de cette vallée, on franchit un défilé formé par deux pics d’une
prodigieuse élévation, la Dent
du Midi et la Dent
de Morcle. Le Rhône comprimé en cet endroit, coule avec la rapidité d’un trait sous
un beau pont d’un seul arche qu’on prétend être de construction romaine. La
douane placée au milieu du pont ferme par une grille la communication entre le
Valais et le canton de Vaud, et marque la limite entre les deux pays. Le
Mont-Saint-Branchier dominait derrière nous à l’autre extrémité de la vallée et
semblait en clore l’entrée. Nous arrivâmes à Bex, une demi-heure après avoir
traversé Saint-Maurice, par une jolie route qu’ombrageaient de beaux
châtaigniers. Bex est un gros bourg dont la situation est charmante. Le pays
est riche, varié et baigné par la rivière l’Arençon. Nous descendîmes à
l’auberge l’Union dont je dois louer la propreté et l’élégance. A deux heures
et demie, nous montâmes en char-à-banc pour aller visiter les salines de
Bévieux situées à une heure de chemin de Bex. La route est belle et bordée,
comme elles le sont toutes par des arbres fruitiers qui y entretiennent l’ombre
et la fraîcheur. Nos routes vastes et dégradées sont ornées de fastueuses et
stériles avenues. Ici le luxe cède à l’utile, les routes sont belles,
suffisamment larges et bien entretenues. Elles présentent partout l’aspect d’un
long verger. La route que nous suivions nous conduisit au sentier qui mène aux
salines, en remontant le torrent de la Grionne. Arrivée
au lieu d’exploitation des eaux salées, la duchesse fut reçue par le directeur
de la saline qui lui expliqua les procédés employés pour fabriquer le sel. Nous
étions de retour à Bex avant la nuit, la sérénité du temps nous invitait à nous
embarquer sur le lac pour retourner à Genève. Le lendemain, à six heures du
matin, nous partîmes pour aller nous embarquer à Villeneuve, bourg situé à la
pointe du lac de Genève. La duchesse de Colorno fut reçue à Villeneuve au
milieu d’une affluence considérable, par de jeunes filles vêtues de blanc qui
lui présentèrent des fleurs. Elle monta dans bateau pavoisé de guirlandes
formées par de branches de cerisiers chargées de leur fruit, vivement touchée
de ces hommages naïfs, contrastant avec le scrupule qui avait partout respecté
son incognito. Les autorités grandes et petites du pays qu’elle avait traversé
avaient ignoré son rang avec la plus grande circonspection. Cette froide
réserve, dont elle ne se plaignit pas, rappelait à notre souvenir l’étonnement
muet des soixante ou quatre-vingts curieux rassemblés dans la cour du
Caroussel, qui avaient assisté trois mois auparavant à son fatal départ de
Paris. L’apathie des rares témoins de cette scène, contrastait avec le candide
empressement des Vaudois. Le bienveillant empressement de ces bons Helvétiens
décelait en même temps leur partialité pour la France. Nous voguâmes
heureusement jusqu’à la hauteur du village de Meillerie, au milieu d’un bassin
formé par les Alpes et le Jura, entre d’immenses coteaux couverts de bois, de
prairies, de vignobles et de maisons de plaisance, dont chaque site est un
point de vue. Nous longions de près la côte entre Saint-Gengoulph
(Saint-Gingolph) et Evian, jouissant de l’agréable perspective entre ces lieux
favorisés de la nature. Le désir de visiter les rochers de Meillerie, théâtre
des amours de Saint-Preux et de Julie, nous engagea à descendre à terre. Mais
la pluie nous surprit, accompagnée d’un vent très vif qui nous soufflait au
visage. Elle nous força à regagner notre bateau dans lequel nous eûmes de la
peine à remonter. Bientôt la place ne fut plus tenable, la pluie que nous
avions prise pour un grain passager, si fréquent dans ces pays de montagnes,
tomba avec redoublement et l’aspect du ciel annonçait qu’elle durerait
longtemps. La duchesse de Colorno se décida à relâcher à Evian, où nous fûmes
assez heureux pour trouver une voiture qui nous recueillit et, par Thonon puis
Yvoire, nous ramena à Genève.Ainsi se passa ce voyage de six jours, à
l’agrément duquel les accidents même concoururent Ce petit voyage avait fait
utile diversion à d’amers chagrins et versé un peu de baume sur des plaies
toutes récentes
Le 17 juillet
au soir, les voyageurs sont à Carouge. Ils voient arriver un officier, vêtu de
l’uniforme des hussards hongrois, pelisse jetée sur l’épaule.Il ouvre la portière de la voiture aux armes napoléoniennes
de Marie-Louise, se présente : Adam Albert von Neipperg…
|
|
|
|
|
|
|
Les historiens, qui n’ont pas utilisé les documents des archives
de Vienne, ont établi une thèse disant que Metternich a conçu le projet de
nommer auprès de Marie-Louise le général-comte Neipperg, ce " Don Juan
éprouvé " qui doit faire oublier Napoléon à sa femme.
Or, force est de
constater que lors du départ de Marie-Louise, le 29 juin, Metternich se trouve
à Londres. Il ne rentre à Vienne que le 18 juillet, soit trois semaines après
que l’Impératrice quitte Schönbrunn. Le désir de voir Marie-Louise accompagnée
durant son séjour, est manifesté, tout d’abord, par Maria-Ludovica qui propose
" un général capable d’envoyer à l’Empereur des rapports précis et le cas
échéant aider l’Archiduchesse de ses conseils ". L’Archiduc Jean, qui se
méfie de la suite française, approuve : " Il faut un honnête homme, sûr,
intelligent et du parti de l’Autriche, qui empêcherait de perdre de vue, la
volonté et les conseils de son père ". On pense au Prince Nicholas Esterhazy, d’un rang assez élevé
pour accompagner. Il est jugé trop âgé pour faire la conversation à une jeune
femme de 22 ans, François II charge donc Schwarzenberg, de trouver la perle
rare, un général qui soit diplomate. Schwarzenberg nomme Neipperg, libre en ce
moment, commandant une division à Pavie. En attendant, le comte Karaczay
précédera Marie-Louise dans son voyage pour préparer les relais. Durant l’absence de Metternich, c’est le Conseiller d’état
Hudelist, qui assure l’intérim. Il écrit à Metternich, le 26 juin : " J’aurais bien
souhaité ajourner le voyage d’Aix jusqu’à l’arrivée de Votre Altesse, mais les
instances de sa fille, son état de santé et la conviction qu’elle a de ne
pouvoir se quérir qu’à Aix, furent plus forte que toutes les objections ". Hudelist soumet à l’Empereur François les instructions
(Punktationen) pour le comte Neipperg : " Sa Majesté ayant décidé que le
général comte Neipperg devait se trouver comme voyageur pendant le séjour de
l’Impératrice Marie-Louise à Aix afin d’observer les événements d’une façon
entièrement discrète, il faudra qu’il ait constamment devant les yeux les
instructions suivantes qui lui permettront de remplir sa mission, qu’il doit
considérer comme un épreuve particulière de l’augustissime confiance placée en
lui.
Il doit se rendre immédiatement à Aix-en-Savoie afin
d’arriver quelques jours avant l’Impératrice, pour y prendre les mesures
nécessaires. Il notifiera aux autorités locales l’arrivée de l’Impératrice et
son désir de garder son plus strict incognito sous le nom de Duchesse de
Colorno. S.M. l’Empereur a notifié au Roi de France, par une lettre
confidentielle, la résolution prise, uniquement en vue de rétablir sa santé. Le
général Neipperg ne possède en dehors de son rang militaire aucun autre titre,
soit officiel ou diplomatique. Il ne doit se considérer que comme voyageur
jouissant de l’honneur d’être chargé par son souverain d’une mission
particulièrement discrète. Son premier devoir est d’observer tranquillement et
sans la moindre ostentation la conduite de madame la Duchesse de Colorno, afin
de pouvoir envoyer, aussi vite que possible, à sa majesté l’Empereur des rapports
détaillés et entièrement authentiques. Puisque l’Impératrice a été instruite
par Son Auguste Père qu’Elle trouverait monsieur le comte de Neipperg à Aix,
l’accès libre auprès d’Elle lui est assuré. Le général de Neipperg déclarera
dès la première audience à Madame la Duchesse, qu’il a été envoyé à Aix pour être,
quoique n’étant pas muni d’une mission officielle, à Sa disposition pour toutes
les éventualités. On s’en remet à sa sagesse pour qu’il assure, en cas
d’événements extraordinaires, une voie de correspondance, au moins d’Aix à
Milan, à laquelle on peut confier des rapports importants. Il n’est guère
nécessaire d’insister sur ce fait que la correspondance et les communications
de Madame la Duchesse
de Colorno, avec l’île d’Elbe, exigent la plus étroite surveillance. Aussi
est-il nécessaire de découvrir les différents canaux qui pourraient être
utilisés. Le comte de Neipperg tâchera de détourner Madame la Duchesse, avec le tact
nécessaire, de toute idée d’un voyage à l’île d’Elbe, voyage qui remplirait de
chagrin le cœur paternel de sa Majesté qui formule les souhaits les plus
tendres pour le bien-être de sa fille bien-aimée. Il ne manquera pas d’essayer
par tous les moyens de L’en dissuader et fera son possible pour gagner au moins
le temps nécessaire afin que les instructions précises de la part de Sa Majesté
puissent arriver à temps et au pis aller et si toutes les représentations
étaient vaines, il suivra la
Duchesse de Colorno à l’île d’Elbe. Tous les passeports délivrés à Vienne à Madame l’Archiduchesse
et à Sa suite n’étant valable que pour le trajet de Vienne à Aix et pour le
retour ici, de nouveaux passeports étant nécessaires pour tout autre
déplacement, cette circonstance peut être exploitée très avantageusement pour
empêcher de pareils voyages. L’employé de police Siebert, qui apporte ces
instructions au comte de Neipperg, lui est adjoint pendant le séjour à Aix.
"
En fait, Neipperg n’est pas candidat au poste, mais une
telle mission ne peut se refuser. Le 24 août, la pensant terminée, il fera un courrier pour
réintégrer l’armée. On peut donc penser que le hasard a bien fait les choses ? Pas
uniquement, car le pedigree de Neipperg le prédestinait, comme on l’a vu déjà, toujours
proche des événements, en particulier s’agissant de Bernadotte ou de Murat.
A
l’heure où il va rejoindre Marie-Louise, le passé de Neipperg est des plus
honorables. A quinze ans en 1790, il entre dans l’armée autrichienne. Deux ans
plus tard il fait ses premières armes à Jemmapes où il est renversé de cheval
et laissé pour mort. Ramassé le lendemain, transporté à l’hôpital on trouve
qu’il parle trop bien le Français pour un Allemand et on veut le faire fusiller
comme émigré. Dans les combats de Neerwinden, un coup de sabre lui arrache
l’œil droit. Rentré en Autriche, il reprend du service auprès de l’Archiduc
Charles. Il sert à Marengo en 1800. Envoyé à Paris pour traiter de l’échange de
prisonniers, il s’acquitte avec succès de sa mission. Il épouse la comtesse
Teresa Pola, avec qui il a quatre enfants, Alfred, Ferdinand, Gustave et Erwin.
Nommé ambassadeur à Stockholm, auprès de Bernadotte, Metternich le charge de
faire comprendre au nouveau futur roi que l’intérêt de la Suède est de se rapprocher
de la Russie
et de l’Angleterre. Il sera décoré, pour ce mérite, de la Grande croix de l’épée.
Devenu la coqueluche de Stockholm, Madame de Staël le rencontre. Metternich
voit en lui un habile et efficace diplomate. En 1810, à l'occasion du mariage
de Marie-Louise d'Autriche et Napoléon, il est affecté à l'ambassade
autrichienne à Paris, où il est décoré, par Napoléon, de la Légion d'honneur...
Puis,
Metternich l’envoie à Naples pour débaucher Murat qui cherche à se maintenir
sur son trône. Avant la bataille de Leipzig, Murat propose aux Autrichiens un corps
de 30.000 hommes contre garantie de son royaume, sans la Sicile, mais augmenté des
Etats du Pape. A Leipzig, Neipperg se distingue et y gagne le titre de
feld-maréchal. Par le Traité du 11 janvier 1814, le beau-frère de Napoléon
engage ses armées aux côtés de l’Autriche. Murat, cité par Albert Sorel (t.
VIII pp.237) : " J’ai fait tout ce que l’Autriche a voulu. J’ai signé
aveuglément l’alliance que le comte de Neipperg m’a soumise. Je remets
entièrement mes intérêts dans les mains de l’Empereur François et me place avec
confiance sous l’égide de la loyauté du gouvernement autrichien. Je suis
convaincu que je ne m’en repentirai jamais. Mais je vous répète encore que vous
devez m’agrandir, me rendre plus fort pour ne plus être à votre charge. Vous ne
tirerez aucun parti de tous ces petites états que vous voulez établir en
Italie…"
Ensuite Metternich l’envoie en Italie du Nord, pour tenter de
circonvenir le vice-roi Eugène de Beauharnais, quand intervient la fin de la
campagne de France.
Adam Neipperg, issu d’une vieille famille noble de Souabe,
est le fils d'un diplomate. Son père, en mission diplomatique à Paris avant la Révolution, est renommé
pour son goût pour la table et le jeu et pour " l’amour de la mécanique
plus que pour la mécanique de l’amour ". En effet, laissant son épouse
libre, il se consacre à l'invention d'une machine à écrire. Son épouse,
Marie-Louise comtesse de Hatzfeld-Wildemburg, met au monde à Vienne, en 1775,
celui qui deviendra le général Neipperg.
Méneval, toujours très prude, précise
: " Quelque temps après la mort du Comte d’H…, père de Mme C…, la femme de
celui-ci trouva, dans ses papiers, une lettre de la comtesse de Neipperg au
comte d’H…qui lui donna la preuve que le jeune Neipperg était bien le fils du
comte d’H… Le général Neipperg se trouvait donc le frère de la comtesse C… et
ne l’ignorait point ".
Neipperg a 42 ans, soit 20 ans de plus que
Marie-Louise. Grand, chevelure blonde très bouclée, un anneau à l’oreille
gauche, suivant la mode orchestrée par le Prince de Ligne, un visage énergique
souligné par un bandeau noir sur l’œil masquant sa blessure de guerre qui l’a
rendu borgne, l’autre œil étant vif et perçant. Le premier contact reste froid.
Tout de suite, Marie-Louise l’a reconnu pour l’avoir rencontré à Prague.
Méneval note : " Sa vue causa à l’Impératrice une impression désagréable
qu’elle ne dissimula pas "
|
|
|
|
|
|
|